Sur son blog, Thibaud Collin répond à Mgr Vesco, évêque d'Oran, qui vient de publier un ouvrage plaidant pour un changement concernant les divorcés-adultères. Extraits :
"[…] Le nœud de l’argumentation est que l’Eglise ne peut demander aux « divorcés remariés » de rompre la « nouvelle alliance » qu’ils ont conclue. Pourquoi une telle demande serait-elle impossible ? La raison invoquée est que la seconde union comme « tout amour conjugal véritable » est indissoluble. Effectivement en bonne logique un lien indissoluble ne peut être délié. Mais en quoi la seconde union, qui semble prospérer sur la dissolution de la première, est-elle déclarée indissoluble? C’est là que Mgr Vesco fait preuve de prouesses pour convaincre son lecteur se demandant s’il n’est pas face à de magnifiques « sophismes » (ignorant les intentions profondes de notre auteur je ne peux que mettre entre guillemets ce terme) ! Il reprend la doctrine traditionnelle selon laquelle le mariage est institué par le Créateur et qu’à ce titre le mariage civil entre deux non-baptisés est indissoluble. Ce n’est donc pas le sacrement qui rend le lien conjugal indissoluble. Au contraire, à l’origine Dieu a créé l’homme et la femme afin qu’ils se donnent l’un à l’autre et ne forment plus qu’une seule chair ; et c’est pour cela que le Christ tout en rappelant le dessein divin originel a fait du mariage un sacrement qui conjointement communique la grâce nécessaire pour y être fidèle et signifie son union indissoluble avec l’Eglise. Comment s’appuyer sur une telle doctrine pour reconnaître que la seconde union étant indissoluble l’Eglise ne peut exiger une séparation pour avoir accès aux sacrements ? C’est que indissoluble désigne pour lui indélébile, ineffaçable ; un lien est dit indissoluble parce qu’il crée du « définitif » (par exemple les enfants nés de l’union) ayant donc une certaine objectivité que même l’Eglise doit respecter. La nouvelle acception de ce terme lui permet d’opposer à la discipline sacramentelle une réalité qui semble devoir s’imposer d’autant plus à l’Eglise qu’elle est présentée comme une propriété de « tout amour véritable qui vient de Dieu » (p. 61). Une fois validée la légitimité anthropologique de la seconde union, la seule question qui reste à régler est : l’Eglise peut-elle s’entêter à refuser la réconciliation et l’eucharistie indistinctement à tous ceux qui se sont engagés dans une nouvelle union ( = dans « un amour véritable ») ?
Pour rendre possible ce qui est aujourd’hui impossible, il convient de contester la notion de « persistance en état de péché » signifiant le refus du repentir et donc de la réconciliation (canon 915). En effet, une telle notion rend caduque toute l’élaboration à laquelle il est arrivé puisque cela présuppose que la nouvelle union n’est pas en soi définitive, bref que ce qui est appelé du définitif n’est en fait que la réitération d’un acte volontaire par définition contingent parce que libre. Pour cela Mgr Vesco, tournant le dos à une approche de théologie morale, va utiliser une distinction strictement juridique entre infraction instantanée et infraction continue. La première, nous dit-il, est circonscrite dans le temps. Il prend l’exemple du meurtre effectué à tel instant mais qui emporte des conséquences définitives sur lesquelles le meutrier ne peut plus rien. La seconde se prolonge dans le temps, tel le vol avec recel. Ici l’infraction se réalise aussi longtemps que la personne n’a pas volontairement mis fin à la situation. Pour l’Eglise actuelle, les fidèles vivant dans une seconde union sont dans une infraction continue. Mgr Vesco cherche à convaincre son lecteur qu’ils sont au contraire dans une infraction instantanée. La grande différence entre les deux est que, coupable d’une infraction instantanée, je peux être pardonné alors même que mon acte mauvais a causé des conséquences irréversibles. Le pardon éventuel que le meutrier repenti reçoit ne rend pas la vie à sa victime. En revanche, pour recevoir le pardon dans une infraction continue, il faut d’abord volontairement y mettre fin. Le bénéfice rhétorique de l’analogie est évident.
Les « divorcés remariés » étant installés dans une nouvelle union présentée comme définitive et indissoluble, il convient de dissocier l’acte mauvais (la rupture de la première union et l’entrée dans la seconde) des conséquences définitives en elles-mêmes bonnes (l’amour, la vie familiale, l’éducation des enfants etc.). De même que le meutrier peut recevoir le pardon de son acte sans que les conséquences définitives en soient modifiées, de même les divorcés remariés devraient pouvoir recevoir un pardon sans que l’Eglise leur demande préalablement de renoncer à leur vie maritale présentée de toute façon comme inéluctable et indissoluble. Le présupposé de toute l’argumentation est que les remariés civilement ne sont plus libres et responsables de ce qu’ils vivent aujourd’hui ! Ils ont peut-être été coupables jadis mais leur situation actuelle n’a plus de lien direct et vivant avec un tel choix. Cette atomisation de la volonté soulève la question de ce que Mgr Vesco entend par « amour véritable ». En effet, de deux choses l’une : soit cet amour est vu comme un don de soi libre et on peut difficilement affirmer que la situation actuelle est un fait échappant à la volonté des amants ; dans ce cas l’exigence de l’Eglise est réalisable, bien que peut-être héroïque ; soit cet amour est soustrait à l’empire de la volonté mais alors il s’agit d’une inclination passionnelle vécue comme une fatalité ; dans ce cas, on ne voit pas en quoi un tel amour pourrait être désigné comme « véritable » et exigerait de l’Eglise un respect absolu.
L’argumentation de Mgr Vesco est donc inconsistante car elle affirme comme nécessaire (la vie dans la deuxième union) ce qui est en réalité contingent (car reposant sur la volonté) pour contraindre l’Eglise à valider un changement de vie somme toute éminemment contingent (on peut certes subir un divorce mais on ne peut pas vivre en couple contre son gré) ! Cette erreur vient d’une ignorance de la nature du mariage aussi bien naturel que sacramentel. Le lien conjugal est le don de soi réciproque que l’homme et la femme font librement l’un à l’autre. Un don n’est pas un prêt, il ne peut donc qu’être unique et exclusif jusqu’à la mort d’un des deux conjoints. On ne peut se donner corps et âme qu’à une seule personne vivante. La mort seule peut ainsi détruire le lien conjugal. Tout engagement dans une nouvelle union est ipso facto une infidélité et un mensonge puisque signifiant un don de soi impossible à faire m’étant déjà donné à mon conjoint. Parler comme le fait Mgr Vesco tout au long de son livre (jusque dans son titre) d’ « amour véritable » implique une réduction psychologique de l’amour humain. La vérité objective de la conjugalité a été évacuée pour faire place à la sincérité subjective. Tout le soubassement anthropologique et éthique de la doctrine du mariage est occulté au profit d’une approche mesurée par les sciences humaines et l’esprit du positivisme juridique actuel. Tout cela lui permet de contourner la radicalité de la Parole de Dieu sur le mariage indissoluble. […]"