Discours de Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance VITA, tenu lors de la manifestation contre l’euthanasie, lundi aux Invalides :
Chers amis,
A cette heure même 6 autres rassemblements se tiennent dans 6 grandes villes de notre pays. Nous sommes ici, non loin de l’Assemblée nationale et aussi à proximité immédiate de l’institution nationale des Invalides, réunis dans la gravité.
Car arrive ce soir, en séance publique, un projet de loi gravissime par son contenu et ses conséquences.
Toxique et néfaste, il l’était déjà quand le président de la République l’a présenté, dissimulé derrière les mots trompeurs d’aide à mourir et de fraternité. Et nous avons immédiatement dénoncé l’évidente supercherie. Car il s’agissait bel et bien du suicide assisté et de l’euthanasie ; c’est-à-dire de la fourniture à des patients de poison mortel à s’auto-administrer ou à se faire administrer par un tiers, éventuellement même par un proche. Quel basculement !
Depuis 2500 ans et l’antique serment d’Hippocrate, le système de santé est protégé par l’interdit de donner la mort à une personne malade, qui doit être toujours soulagée, sans acharnement thérapeutique, mais jamais tuée. Et voilà qu’on lèverait cet interdit de tuer, clé de voute de la déontologie médicale qui protège le faible du fort, notamment du mortel abus de faiblesse qui consiste à laisser entendre que certaines vies seraient devenues indignes d’être vécues.
Les critères d’éligibilité de la prétendue « aide à mourir » du projet gouvernemental étaient présentés comme stricts, garantis, rassurants. Il n’en est rien. Celui de « pronostic vital engagé à moyen terme » comme celui de « souffrances psychologiques jugée insupportable » ouvraient la voie à toutes les dérives. Car ils sont inopérants, invérifiables… Nous l’avons démontré lors de notre audition à l’Assemblée nationale devant la commission spéciale chargée d’étudier ce texte de loi.
Nul ne pouvait par ailleurs ignorer l’effet domino que l’on observe dans tous les pays qui ont, peu ou prou, légalisé suicide assisté ou euthanasie : les digues qui ne tiennent pas sont des pièges. On commence par forcer la légalisation pour telle ou telle situation présentée comme extrême, savamment orchestrée. Mais il s’agit de faire sauter le verrou. En ensuite, au nom de l’égalité, tout glisse et le cadre disparait. C’est ainsi que dans ces pays, on euthanasie ou suicide des personnes qui n’ont pas de maladie mortelle, mais seulement des souffrances psychiques ou des polypathologies liées à l’âge, tout en délaissant les soins palliatifs.
Voilà ce que promettait ce projet, mais nous n’en sommes plus là. Car cet effet domino a déjà commencé puisque la commission spéciale a lourdement aggravé ce projet avant son arrivée en séance plénière. Nous l’avons constaté lors de notre audition : les députés-militants qui se sont pressés dans cette commission ont pratiquement fait sauter toutes les digues. Nous n’allons pas le détailler. Deux exemples : l’exigence d’un pronostic vital engagé a été supprimée ; et des délais de réflexions sont passé de 2 jours (ce qui était déjà affligeant) à zéro !
Si la loi est votée en l’état, on va pouvoir euthanasier rapidement une personne qui ne souffre en rien d’une maladie mortelle et sans que quiconque puisse l’en protéger, car il n’y a pas de recours possible. Il est même prévu une amende de 15.000 euros et un emprisonnement d’un an pour quiconque prétendrait dissuader quelqu’un de recourir au suicide assisté ou à l’euthanasie. On peut estimer à 40.000 morts par euthanasie chaque année le résultat de ce qu’est devenu ce texte qui se présentait comme minimaliste. Voilà ce que devient la fraternité dont la loi se revendique !
Nous pouvons dire notre colère en entendant Madame Vautrin, ministre de la Santé, se prétendre surprise de ces ajouts, alors que c’est le gouvernement qui a allumé cet incendie qu’il savait incontrôlable.
Voilà le sens de notre alerte et de notre présence aujourd’hui.
Les sept dominos géants que vous avez sous les yeux sont tour à tour déstabilisés, menacés par ce texte de loi, tandis que nous faisons tout pour les sauvegarder.
- Premièrement, la prévention du suicide grande cause nationale qui ne devrait souffrir aucune exception serait entamée si l’Etat organisait des suicides assistés : exclure de cette prévention ceux qui ont le plus besoin d’être protégés du suicide est une discrimination injuste.
- Deuxièmement, les soins palliatifs sont dénaturés et concurrencés par la prétendue « aide à mourir » qui veut faire croire que faire mourir est un soin alors que toute la culture palliative se fonde sur le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’administration délibérée de la mort.
- Troisièmement, les progrès dans la lutte contre la douleur sont découragés quand l’injection létale est proposée comme solution, une solution qui risque d’être de facilité, dictée par l’incompétence alors que les centres de lutte contre la douleur sont encore trop peu nombreux et surchargés.
- Quatrièmement, la confiance soignant-soigné est à son tour ruinée par la levée de l’interdit de tuer. C’est le risque de toute-puissance des soignants qui a conduit à formaliser cet interdit dans la relation de soins : peut-on faire confiance à la main qui soigne quand elle peut tuer ?
- Cinquièmement, la paix sociale serait minée par les conflits inhérents à la pratique du suicide assistée et de l’euthanasie, conflits au sein des équipes soignantes et des familles, mobilisation de la justice, sans oublier les incessantes controverses politique autour des révisions d’une telle loi.
- Sixièmement, la protection des plus fragiles serait mise à mal par une pratique faisant intrusion dans les moments de grande vulnérabilité : elle risque d’inciter les plus faibles à l’auto-exclusion. Comment résister à la pression de proches, de soignants, de la société qui vous juge sans utilité ni valeur ?
- Enfin, septième domino, c’est donc le principe même de fraternité, qui se mesure dans ces six premiers dominos, qui est bousculé. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette loi, qu’elle se prétende de fraternité, alors que c’est la fraternité qu’elle abat.
Nous l’avons dit, cet effet domino est en place. Il commence même. Les amendements votés en commission ne font que confirmer notre alerte.
Ne tuons pas la fraternité ! Tel est notre cri. Tel est l’enjeu de notre mobilisation. Au lieu de saper tous ces fondements de la fraternité, le gouvernement serait mieux inspiré de les renforcer en commençant par prendre soin de notre système de santé si fragile, des personnes âgées dépendantes et finalement de tous ceux qui doutent, du fait de leur isolement, de leur précarité ou de leur dépendance, au point de se demander si elles ont encore une place dans la société.