Les différentes traductions en italien/allemand/anglais/français des ‘principes non-négociables’ expliquent largement les différences de positions prises par les Conférences épiscopales française et américaine : tandis que la France a connu un mouvement général pour vider de leur substance ou de leur caractère obligatoire ces « principes non-négociables », les Etats-Unis les ont pris au pied de la lettre. Or, de fait, la lettre ne semblait pas la même en français et en anglais.
En français
Joseph, Cardinal Ratzinger, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, publiée le 24 novembre 2002 en la Solennité du Christ-Roi de l’Univers (document approuvé par Jean-Paul II, et qui appartient donc au magistère personnel des papes) :
« La conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d’encourager par son vote la mise en œuvre d’un programme politique ou d’une loi dans lesquels le contenu fondamental de la foi et de la morale serait évincé par la présentation de propositions différentes de ce contenu ou opposées à lui. Parce que la foi est un tout indivisible, il n’est pas logique d’isoler un de ses éléments au détriment de la totalité de la doctrine catholique. L’engagement politique en faveur d’un aspect isolé de la doctrine sociale de l’Église ne suffit pas à répondre totalement à la responsabilité pour le bien commun. »
Bon nombre d’interprètes « autorisés » de la pensée du pape, ou au moins du prédigéré de la Conférence des Evêques de France, ont tiré argument de la tournure à connotation morale « encourager par son vote » pour “enseigner” que l’on peut (voire même doit) dissocier l’intention du vote de l’effet du vote.
Et hop, plus d’impossibilité de voter par exemple pour un candidat promouvant le “mariage” homosexuel (François Hollande en 2012). Je peux en effet ne pas vouloir « encourager » le mariage homosexuel, et voter pourtant pour François Hollande. Voter, ou laisser voter : en effet, hop ! plus besoin pour les évêques de changer leur disque (rayé et inadapté au second tour de 2012) sur le seul et unique vote qu’un “catholique” doit tenir pour inacceptable (le vote nazi, ou sa version française connue comme « tradinazionaliste »).
Les enfants avortés et ceux empêchés de grandir entre un père et une mère, apprécieront les fruits du silence épiscopal.
En italien et en allemand
Le cardinal Ratzinger a très certainement rédigé cette note dans l’une ou l’autre de ces langues, qu’il maîtrisait parfaitement. Or en italien comme en allemand, il y a une insistance sur la matérialité du vote : le propre vote, il proprio voto, die eigene Stimme.
Le verbe utilisé (encourager, favorire, unterstützen), et le complément (mise en œuvre, attuazione, Umsetzung) pourraient également recevoir des traductions plus nettes : personne ne peut encourager/favoriser/aider par son propre vote la mise en œuvre/exécution/réalisation d’un programme politique ou d’une seule loi [contraire aux contenus fondamentaux de la foi et de la morale].
En anglais
La traduction anglaise mérite quant à elle d’être citée et traduite intégralement :
« A well-formed Christian conscience does not permit one to vote for a political program or an individual law which contradicts the fundamental contents of faith and morals. The Christian faith is an integral unity, and thus it is incoherent to isolate some particular element to the detriment of the whole of Catholic doctrine. A political commitment to a single isolated aspect of the Church’s social doctrine does not exhaust one’s responsibility towards the common good. »
Nous pourrions traduire ainsi :
« Une conscience chrétienne bien formée ne permet pas à quiconque de voter pour un programme politique ou une loi individuelle qui contredit les contenus fondamentaux de la foi et de la morale. La foi chrétienne est une unité intégrale, et il est ainsi incohérent d’isoler quelque élément particulier au détriment de l’ensemble de la doctrine catholique. Un engagement politique en faveur d’un aspect isolé de la doctrine sociale de l’Eglise ne suffit pas à épuiser la responsabilité de chacun envers [l’intégralité du] bien commun. »
Rappelons pour comparaison la bien piètre traduction française :
« La conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d’encourager par son vote la mise en œuvre d’un programme politique ou d’une loi dans lesquels le contenu fondamental de la foi et de la morale serait évincé par la présentation de propositions différentes de ce contenu ou opposées à lui. Parce que la foi est un tout indivisible, il n’est pas logique d’isoler un de ses éléments au détriment de la totalité de la doctrine catholique. L’engagement politique en faveur d’un aspect isolé de la doctrine sociale de l’Église ne suffit pas à répondre totalement à la responsabilité pour le bien commun. »
Conclusion
Comment s’étonner, dès lors, que la Conférence des évêques américains ait pu publier un commentaire catégorique de ces principes, ou qu’un « bref catéchisme pour votants catholiques » connaisse aux Etats-Unis un grand succès ?
Jean-Paul II, quand il était professeur de morale à Cracovie, aimait à rappeler l’histoire de ce prêtre polonais, à qui les nazis (ou les communistes ?) avaient demandé de signer une lettre de calomnies contre son évêque. Le prêtre a refusé, la police politique a fait entrer une petite jeune fille, et dit qu’elle mourrait s’il ne signait pas. Le prêtre a refusé. Et la fille a été tuée, peut-être à coup de pieds, sous ses yeux. On lui a demandé après s’il ne se sentait pas responsable de la mort de cette jeune fille. Et le prêtre a répondu :
« Ma responsabilité était de ne pas mentir. D’autres gens ont décidé, parce que je refusais de mentir, de tuer cette jeune fille. »
Chacun est responsable de ce que représente son vote. Et une élection n’est pas un jeu de hasard : ce n’est pas parce que je fais tel calcul plus ou moins subtil que le vote va basculer dans un sens ou un autre parce que 2 millions de personnes auront pu être touchées par la même intuition géniale.
Je ne suis responsable que de ce que soutient ma voix. Et même si je ne représente qu’à peine plus du cinquante millionièmes du corps électoral (c’est-à-dire 2 millionièmes de 1% du corps électoral, ce qui suffirait à me faire exercer pleinement le pouvoir, si je m’en tiens à mon catéchisme civique et moral), je reste responsable de ce que je soutiens par mon vote.
Si l’on s’en tient à ce que Jean-Paul II et Benoît XVI ont enseigné, à ce qu’ils ont enseigné explicitement, il y a des points non-négociables, et hiérarchisés, au premier rang desquels le respect de la vie (de la conception à la mort naturelles), de la famille, du droit des parents à éduquer eux-mêmes leurs enfants. Les évêques américains l’ont très bien compris.
Tout le reste – silences biaisés, arguties pour vider les textes de leur sens – n’est qu’enfumage.
Et la Conférence des évêques de France s’est illustrée par un silence coupable au second tour de 2012 (Hollande vs Sarkozy).
Dans un souci d’apaisement qui sera sans nul doute porté à notre crédit, nous ne soulèverons pas la question de savoir s’il est catholique de choisir de « favoriser par son vote » de sauver des enfants de l’avortement (au risque que par ailleurs soient diminuées les allocations versées aux immigrés réfugiés, voire même que soient renvoyés dans leur pays d’origine des immigrés en plus grand nombre). La question serait en somme de savoir si sauver la vie d’un enfant in utero est en soi infiniment supérieur à toute question de redistribution des richesses, ou de répartition des personnes immigrées entre tel ou tel pays.
Nous rappellerons simplement Amoris Laetitia (N°179), où le pape François défend clairement l’idée que le premier étranger à accueillir, et à accueillir inconditionnellement, c’est l’enfant à naître :
« Ceux qui assument le défi d’adopter et qui accueillent une personne de manière inconditionnelle et gratuite deviennent des médiations de cet amour de Dieu qui dit : « Même si les femmes oubliaient [les fils de leurs entrailles], Moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49, 15) »
« Dieu a fait l’homme tout droit, et lui, cherche bien des calculs ». (Qo 7,29)
NOTA
Nous rappelons ci-dessous les versions italienne, allemande, anglaise, du paragraphe que nous avons brièvement commenté.
Joseph, Cardinal Ratzinger, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002, en la Solennité du Christ-Roi de l’Univers (document approuvé expressément par Jean-Paul II, qui appartient donc au magistère personnel des papes) :
« La coscienza cristiana ben formata non permette a nessuno di favorire con il proprio voto l’attuazione di un programma politico o di una singola legge in cui i contenuti fondamentali della fede e della morale siano sovvertiti dalla presentazione di proposte alternative o contrarie a tali contenuti. Poiché la fede costituisce come un’unità inscindibile, non è logico l’isolamento di uno solo dei suoi contenuti a scapito della totalità della dottrina cattolica. L’impegno politico per un aspetto isolato della dottrina sociale della Chiesa non è sufficiente ad esaurire la responsabilità per il bene comune. »
« Das gut gebildete christliche Gewissen niemandem gestattet, mit der eigenen Stimme die Umsetzung eines politischen Programms zu unterstützen, in dem die grundlegenden Inhalte des Glaubens und der Moral durch alternative oder diesen Inhalten widersprechende Vorschläge umgestoßen werden. Weil der Glaube eine untrennbare Einheit bildet, ist es nicht möglich, auch nur einen seiner Inhalte herauszulösen, ohne der ganzen katholischen Lehre zu schaden. Der politische Einsatz für einen isolierten Aspekt der Soziallehre der Kirche würde der Verantwortung für das Gemeinwohl nicht gerecht. »
« A well-formed Christian conscience does not permit one to vote for a political program or an individual law which contradicts the fundamental contents of faith and morals. The Christian faith is an integral unity, and thus it is incoherent to isolate some particular element to the detriment of the whole of Catholic doctrine. A political commitment to a single isolated aspect of the Church’s social doctrine does not exhaust one’s responsibility towards the common good. »
Voir aussi : Benoît XVI, Discours aux participants du Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006.