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Valeurs chrétiennes : Education

Enseigner en Absurdie

Enseigner en Absurdie

De Marion Duvauchel, Contractuelle occasionnelle, Fondatrice de la Pteah barang au Cambodge :

J’ai récemment été appelée à assurer un court remplacement dans un lycée du Var, dans une petite ville appelée « la Seyne ». Nous passerons avec élégance sur des échanges par courriel d’une sobriété si parfaite que je ne réussissais pas à déterminer  s’il s’agissait d’un ou de deux remplacements et si la date fournie était celle du début ou de la fin de la mission. J’ai fini par poser la question avec une insistance presque indélicate si bien que le courriel suivant me précisait : « c’est cela ». Avec une inaltérable sobriété… Il ne restait plus qu’à décrocher le téléphone. A la décharge de la malheureuse employée du Rectorat, la proviseure adjointe était en congé ce mercredi là. Cela explique sans doute l’extrême difficulté de fournir des informations claires et précises. Pour des raisons qui m’échappent encore, on m’a fait venir à 8h 30 du matin. Sans doute pour me punir d’avoir dérangée la direction. Le premier cours de la journée était à 12h. La signature du contrat prend un quart d’heure, ça faisait pas mal d’heures à tuer.

Cette première heure de cours devait me mettre en face d’une terminale technologique dont c’était la seule heure de la journée. Un seul élève s’est présenté, qui n’aspirait qu’à une chose, qu’on le libère. Ce que j’ai fait, car avec un élève, on doit faire cours la porte ouverte, ce que je trouve désagréable. Nul ne s’en est ému à la vie scolaire. Notre administration a des nerfs d’acier. Je suppose qu’il faut s’en féliciter.

J’ai donc commencé mon premier cours à 14h, mettant à profit ces heures d’attente pour une matinée « découverte ». Côté réforme, qu’on se rassure, elle  n’est pas encore mise en place. On fait « comme avant ». Dans ses conséquences, ce sera d’abord pour cet établissement la suppression d’un poste en mathématiques. On s’en doutait un peu que cette réforme n’’avait pas pour but le bien des élèves, des enseignants ou de la société.

Le collègue que je remplaçais a un service de cinq classes de 35 élèves hormis la classe technologique, où ils ne sont que vingt trois, teigneux et insolents pour les uns,  d’une passivité de hérisson pour les autres, roulés en boule en attendant que les choses passent. Car le harcèlement n’est possible que parce qu’il n’est ni réprimé, ni puni. Or, il ne m’a fallu que quelques heures pour comprendre qu’une partie de la classe, celle qui ne veut pas être enseignée, persécute silencieusement l’autre partie, celle qui veut recevoir un enseignement.

Le lycée Beaussier est à la pointe. Très écologiquement, on y a tout dématérialisé. Il n’y a donc plus de manuels de philosophie. C’est vrai que les manuels, c’est désuet, passé de mode, inutile et encombrant. Mais enfin, ça avait quelques vertus et ça rendait quelques services aux remplaçants et peut-être même aux titulaires. Surtout, je voudrais bien qu’on m’explique pourquoi les futurs enseignants ont à passer une épreuve de didactique, redoutable,  qui consiste à analyser un chapitre de manuel et à l’exploiter dans un cours ou une séquence. C’est sans doute parce qu’il leur faut être capable d’analyser les supports qui sont à leur disposition, non… Oui, mais si on n’a plus de manuels, alors on va supprimer cette épreuve effroyable ?

Il n’y a donc plus de manuels, mais il y a, au lycée Beaussier de la Seyne, une salle de reprographie tout à fait chic avec des photocopieuses énormes et flambant neuves. Las, au bout de 7 copies, systématiquement, le système se déconnecte : il faut donc s’armer de patience et retaper tout le protocole toutes les sept photocopies. Les enseignants, c’est connu, depuis qu’ils n’ont plus de manuels, ont du temps à revendre.

Le lycée ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : l’an prochain les élèves auront des tablettes. Mais attention, ils seront toujours trente cinq par classes. Oserais-je formuler une autre question : on va leur enseigner quoi, avec ces tablettes ? Et comment on va être sûr, en cours de philosophie par exemple, que ce qu’ils lisent sur ces merveilleuses petites machines, c’est bien le texte de Platon (quand il vire les poètes de sa cité), que l’enseignant a décidé de leur proposer. On va passer dans les rangs pour vérifier ? Quelle formation vont-ils recevoir les enseignants, pour utiliser ces technologies supposées restituer à nos lycéens une intelligence qui, pour la plupart, les a désertés grâce aux efforts conjoints des politiques et des Diafoirus de l’Éducation?

Fin novembre, ces quatre classes de lycée général S et ES n’avaient donc jamais fait le moindre exercice de dissertation. Mais pour le bac 2020, y aura t-il toujours une dissertation ? Les lycéens avaient un cahier avec quelques pages de cours, – puisqu’il n’y a plus de manuels, on dicte un cours, comme avant, ça occupe les mains ; ils avaient une liste de termes philosophiques avec leur définition, et quelques textes de philosophes. Au terme d’un semestre.

Ne blâmons pas l’enseignant : comment faire autrement avec trente cinq élèves incultes, dont un bon tiers nourrit dans son cœur une haine profonde pour l’étude et ne voit guère d’intérêt à se pencher sur la grave question de la conscience réfléchissante ou déterminante, qui devait faire l’objet de son prochain cours, avant qu’il ne tombe malade.

Ajoutons que ces jeunes, il faut les faire écrire si on veut qu’ils soient capables de disserter ou de commenter le jour fatidique de l’épreuve du bac. Et il faut corriger tout ce papier. 35 X 4 plus 23X1. Vertigineux et déprimant.

Car la moitié de cette brillante jeunesse ne veut pas être enseignée. En revanche, cette brillante jeunesse connait ses droits et surtout, surtout, elle connait l’absence des nôtres, de droits, et elle l’affirme avec une belle assurance : « madame, mais vous, les professeurs, vous n’avez aucun droit ». C’était une jeune tunisienne d’un âge mental avoisinant les dix ans, et du niveau intellectuel des séries de M6. « Mais non, vous n’avez pas le droit de mettre une note de participation, mais non vous n’avez pas le droit de nous renvoyer de classe »…  Ah oui ?

Quand bien même cela ne serait pas tout à fait vrai, l’extrême satisfaction et la certitude visiblement éprouvées à proclamer cet état de fait supposé a de quoi déstabiliser les plus solides. Et surtout, elle interdit un sain climat d’enseignement et de dialogue sinon socratique, du moins pédagogique.

Disons-le, l’islam n’est pas le problème majeur dans ce lycée varois. L’islam est un problème majeur dans un certain nombre de lycées, dans un certain nombre d’endroits que l‘on connaît généralement plutôt bien. L’islam est un problème crucial dans certaines zones où il demanderait un traitement adapté : une petite armée de Brubaker, des enseignants formés aux arts martiaux, au physique d’un Seeley Booth dans Bones, et de temps en temps, des militaires, des vrais, pour parler de la guerre. Pourquoi de la guerre ? Parce qu’ils la veulent : il faut donc leur en parler.

Mais ailleurs qu’au lycée la Floride de Marseille ou en Seine Saint-Denis?

Ailleurs, c’est l’Absurdie. Des tablettes pour les élèves mais pour enseigner quoi ?

Quel est le grand projet macronien organisé et mis en œuvre par le Premier ministre? Il est d’une simplicité merveilleuse: il s’agit de fabriquer un prolétariat « français » taillable et corvéable à merci, pour affronter les grands défis majeurs comme la transition écologique ou l’école inclusive et la société post-moderne sans entrailles, sans âme, sans histoire et sans Dieu, surtout celui de l’Évangile.

Ce projet d’un prolétariat universel, il existe déjà dans l’Éducation nationale. Tout au bas de l’échelle, il y a un « lumpenprolétariat », les contractuels, des jeunes qui assument généralement des remplacements de titulaires épuisés pour financer leurs études ou pour commencer de gagner leur vie en attendant de réussir un concours toujours aussi difficile, mais de plus en plus absurde et inadapté. Qu’on songe à cette fameuse épreuve de didactique : apprendre à analyser des manuels qu’on a dématérialisé.

Si, avec un doctorat de philosophie, quinze ans d’expérience dans deux disciplines et un CAPES de lettres modernes, je suis parfois contractuelle, c’est parce que j’ai démissionné il y a trois ans.

La réforme de M. Blanquer a un objectif caché : les facs. Expliquez-moi comment des futurs économistes vont pouvoir suivre un cursus de sciences économiques et sociales sans un niveau suffisant en mathématiques ?

Mais réfléchissons. Dans une dizaine d’années, les diplômés des universités françaises titulaires de masters divers (obtenus dans des conditions que la presse ferait bien de dévoiler un peu si elle faisait son métier), feront des collages et des photocopies dans les entreprises, au mieux du secrétariat technique. Les économistes, les vrais, ceux qui auront suivi un cursus adapté, ceux-là verront leurs livres en vente sur les comptoirs des librairies et iront plastronner sur les plateaux de C’est dans l’air ou de C politique en évoquant les défis majeurs que les Français devront affronterceux-là viendront des quelques universités prestigieuses ou des instituts de sciences politiques où ils auront soutenu leur thèse en anglais (cela se fait déjà).

Ce qu’on veut, c’est un prolétariat interchangeable, dont la chimère mondialiste a besoin pour produire à bas prix des choses dont on n’a nul besoin pendant qu’ailleurs, au Cambodge par exemple – pays que je connais bien -, des familles vivent dans des taudis construits sur des mares d’eau putride ; ou pendant qu’ici les paysans se suicident parce qu’ils ne gagnent pas leur vie ; pendant qu’on soumet la jeunesse à une propagande éhontée sur ce qui est désormais bon pour elle : le transgenre, l’euthanasie, la pornographie pour tous, l’histoire de France trafiquée, et un enseignement général dévasté sans aucun profit pour l’enseignement professionnel.

Une société qui dégrade l’amour, déprécie le courage, dévalue les aspirations les plus hautes, refuse de reprogrammer le patrimoine de culture et de sagesse qu’elle a hérité ne peut s’attendre à une jeunesse inventive, bienveillante, vaillante et innovante. Tous ces jeunes vantés sur la chaîne Arte, qui se promènent à travers l’Europe dans le cadre de programmes divers, constitueront la masse de ceux qui, ayant bénéficié des avantages de ces nouvelles structures de formation, s’en feront les serviteurs zélés et reprogrammeront la nouvelle culture de marketing anglo-saxon dont ils auront été gavés. Les autres, ma foi, ils iront s’inscrire au parti de M. Mélenchon ou de quelque épigone. Dans le meilleur des cas, ils endosseront à leur tour un gilet jaune et dans le pire, ils mettront une cagoule noire.

J’oubliais : à la fin du deuxième jour, je suis allée rendre la clé de la salle de classe et annoncer que je ne terminerai pas le remplacement.

Je n’ai pas eu de nouvelles du Rectorat.

Ni du lycée…

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