Extrait de l’entretien accordé par Eric Zemmour au Point à l’occasion de la sortie de son nouveau livre :
Après Mélancolie française (2010) et Le Suicide français (2014), vous publiez un nouveau livre sur l’histoire. N’avez-vous pas peur de vous répéter ?
Proust disait qu’on écrit toujours le même livre. Au-delà de ça, c’est un nouveau travail avec une forme différente : il s’agit cette fois-ci d’une galerie de portraits. Je pense qu’il y a aujourd’hui une réflexion plus que nécessaire à avoir sur l’histoire de France. Nous vivons un moment fatidique où la guerre de l’histoire est de nouveau à l’ordre du jour. La plupart des historiens n’assument plus l’histoire de France. Ils font une histoire des individus, des minorités ou du monde. Je pense qu’au milieu de ça, il y a une histoire nationale à rédiger. Et j’ai essayé de faire ce travail (…)
Mais dans le livre, vous êtes nuancé sur la Saint-Barthélemy et, dans vos interventions, vous avez défendu la position de la France sur Maurice Audin, ce militant communiste torturé…
Ce n’est pas de la romance que de ne pas faire de la morale à des gens qui ont vécu il y a des siècles. Je ne dis pas que la France a toujours raison. J’essaie de comprendre les motivations des actes passés. Il y a une vulgate historienne qui condamne la France tout le temps. Quand je cite Montaigne – qui n’est pas le chef de la ligue des catholiques ! – expliquant qu’il fallait faire la Saint-Barthélemy, cela ne vous questionne pas ? J’ai découvert que Catherine de Médicis n’était pas cette va-t-en-guerre que l’on présente à chaque fois. Qu’elle n’était pas hostile aux protestants. J’essaie donc de comprendre pourquoi elle en arrive à ce massacre. Et je m’aperçois qu’il y avait à l’époque un fondamentalisme protestant qui exaspérait le bon peuple. En écrivant cela, j’ai l’impression de faire plus œuvre d’histoire que les historiens qui se contentent de répéter la vulgate.
Quelle est votre « certaine idée de la France », pour reprendre les mots du général de Gaulle ?
Je cite souvent cette phrase d’André Suarès : « Qu’il aille ou pas à l’église, le peuple français a l’Évangile dans le sang. Et les plus graves erreurs de la France, c’est quand elle met du sentiment dans la politique. » On pourrait résumer l’histoire de France à cette phrase. La France est ancrée dans ses racines chrétiennes, même chez ceux qui vomissent le christianisme (ils sont plus chrétiens qu’ils ne le croient) : universalisme, amour de l’humanité. C’est son génie. Mais, en même temps, le christianisme mal compris (amour de l’autre exclusif, sentimentalisme dévoyé) est sa face sombre ; la France s’oublie. Les droits de l’homme, par exemple, ont participé à la grandeur de la France, aujourd’hui, ils vont la conduire à sa mort. Notre histoire oscille entre ses deux penchants.
Mis à part Robespierre, vous parlez peu des hommes de la République. Pas de Jules Ferry pour la mise en place de l’école – que vous avez longtemps vanté –, pas de laïcité…
La République n’est qu’un régime, ce n’est pas le Graal. Le Graal, c’est la France. Je fais une différence, car, aujourd’hui, les élites bien-pensantes de gauche exaltent la République pour mieux abandonner la France. Ils ne parlent jamais de la République française, mais de la République. Comme si c’était une République universelle (…)
Dans un déplacement au Danemark, le président de la République, Emmanuel Macron, a vanté ce « peuple luthérien » qui vit ses transformations sans trop de drames comparé aux « Gaulois réfractaires ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est exactement ce que j’explique dans le livre. Depuis Voltaire, Montesquieu et encore plus depuis la défaite de Waterloo, les élites reprochent à la France d’être restée catholique. Guizot et Renan le disent. C’est une constance depuis 200 ans et vous remarquez qu’aujourd’hui nos élites sont fascinées par les Allemands, qui sont protestants !