Le père Pascal Ide, prêtre du diocèse de Paris et membre de la communauté de l’Emmanuel, Docteur en médecine, en philosophie et en théologie, vient de publier un ouvrage intéressant sur le complotisme et l’anticomplotisme. L’auteur distingue trois positions :
- le tout-complot ou complotisme
- le rien-complot ou anticomplotisme
- l’affirmation intermédiaire selon laquelle certains complots existent
Il défend la 3e posture et souligne que le complotisme blesse l’intelligence. Le père Ide décline les différents biais cognitifs qui alimentent les théories plus ou moins farfelues :
- le biais de simplicité refuse les schémas complexes (chaque fait a une seule cause, au choix : la franc-maçonnerie, les Juifs, Big Pharma, la CIA, etc.) ;
- le biais de confirmation retient tous les témoignages qui vont dans son sens et rejette ceux qui s’en écartent (évidemment, c’est plus rapide que d’analyser des avis contradictoires) ;
- l’effet de surconfiance joue en défaveur de la personne peu informée, qui a tendance à surévaluer sa compétence (combien de spécialistes en climatologie ?);
- le biais de proportionnalité, qui cherche à tout effet une cause proportionnelle (il n’y a plus de place pour l’accidentel, l’erreur ou l’incompétence pourtant notoire de nos gouvernants) ;
- le biais d’intentionnalité, qui cherche à tout événement une cause et un sens (assassinat du pape Jean-Paul Ier ou de Lady Diana…);
- le biais de focalisation concentre toute l’attention sur le complot et réduit le champ de conscience.
L’auteur en dégage cinq principes du complotisme :
- « rien n’arrive par accident »,
- « tout ce qui arrive est le résultat d’intentions cachées »,
- « rien n’est ce qui paraît : on nous manipule »,
- « tout est lié – de façon occulte »,
- « toute vérité officielle doit être impitoyablement critiquée. »
Selon l’auteur
Si les complots existent, la vérité avance donc entre deux erreurs opposées : l’excès qui consiste à voir des complots là où ils n’existent pas ; et le défaut qui consiste à nier l’existence des complots qui existent effectivement.
Dans Claves, l’abbé Roy propose une critique de cet ouvrage en deux parties, ici et là. Il écrit notamment :
Un second aspect que nous aimerions voir creusé est celui du complotisme en matière de religion, dans ses ressorts psychologiques et spirituels, ses canaux et ses possibilités de guérison. Là encore il nous semble qu’un phénomène de grande ampleur se déploie (presque) silencieusement sous la toile d’internet, où de nombreux prédicateurs aux opinions extrêmes et souvent hétérodoxe rencontrent une très large audience. Le complotisme fondamentaliste (créationnisme américain, platisme, géocentrisme…) ou sédévacantiste vit de beaux jours à l’heure d’internet et détourne un grand nombre d’âmes assoiffées de vérité mais mal orientées ou peu retenues par les institutions de l’Église visible. Face à ce phénomène, la parole de l’Église et de ses représentants est souvent décrédibilisée, voire systématiquement invalidée. Le discernement est encore complexifié par la structure divine de l’Église et le dogme de son indéfectibilité, avec l’assistance infaillible promise au Magistère. La nécessité de connaître les différents degrés d’expression pontificale, d’affermir les fondamentaux de la foi, de poser sur l’institution visible un regard toujours surnaturel, en sont encore augmentées.
Une remarque du père Ide nous parait ici très ajustée : c’est aussi l’impasse quasi-totale de la prédication catholique sur les fins dernières, la question du jugement et de la parousie, l’oubli gêné de l’Apocalypse et des prophéties eschatologiques du Christ, qui font le lit de ceux qui prophétisent à tort et à travers sur des cataclysmes supposés imminents…
Comment éviter les impasses du conspirationnisme religieux ? Comment renouer les liens avec ceux qui y sont tombés ? Comment trouver le chemin d’un dialogue réparateur ? Y a-t-il un anticomplotisme religieux qui relèverait de la même blessure ? L’ouvrage du père Ide permet de poser des principes et des symptômes dont le développement nous semble représenter une véritable nécessité pastorale pour l’Église des années 2020.