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Culture

L’ordre naturel ne consiste pas à “construire” la société à partir des individus, mais à faire naître et grandir des personnes dans la piété filiale

L’ordre naturel ne consiste pas à “construire” la société à partir des individus, mais à faire naître et grandir des personnes dans la piété filiale

Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur la visite du pape à Marseille :

« Les événements ne sont que l’écume des choses, ce qui m’intéresse, c’est la mer ». A l’école du poète Paul Valéry, une semaine après la visite du pape François à Marseille et au-delà de la question dramatique des vagues migratoires, intéressons-nous à ce qui fait une nation. Que seraient en effet les vertus d’accueil et les charmes de la paix, si la conscience des ingrédients qui permettent les unes et garantissent les autres venait à disparaître ? A quoi bon ouvrir des portes, si ces dernières ne sont pas fixées sur des murs porteurs ?

L’identité nationale, loin d’être un gros mot, relève de ces réalités naturelles mises en lumière par Platon, Aristote puis prolongées par toute la scholastique. Jean-Paul II, dans son testament politique Mémoire et identité (Flammarion, 2005) parle de la famille, de la nation et de la patrie comme « des réalités irremplaçables ». La nation représente la grande communauté des hommes unis par des liens divers, mais surtout, précisément par la culture. La nation existe, selon lui, “par” la culture et “pour” la culture. Le pape polonais allait même jusqu’à parler « du droit de la nation au fondement de sa culture et de son avenir ».

Dans son célèbre discours Qu’est-ce qu’une nation ? prononcé à la Sorbonne en 1882, Ernest Renan répondra à cette vaste question avec le génie synthétique propre aux esprits brillants. Sa définition porte encore aujourd’hui à méditation :

 « Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire, voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple ».

Oui, la souveraineté fondamentale d’une nation se manifeste dans sa culture et la pérennité de son histoire : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ». La nation représente ce tabernacle institutionnel contenant en son sein un peuple qui, ayant pris conscience de lui, s’aime lui-même et entend exister comme une réalité objective à ses propres yeux. Autrement dit, elle est « une communauté de destin enracinée dans un héritage commun » selon la formule de Taine. La tradition philosophique venue de la Grèce et reprise à son compte par la doctrine sociale catholique a ainsi toujours considéré que les nations sont la dimension naturelle de la vie politique. Le concept de nation correspond aux besoins d’une humanité finie. La communauté morale de l’humanité existe bien mais elle est trop vaste pour s’incarner politiquement dans une philia illimitée. Le catéchisme affirme nettement que seul Dieu, en effet, peut aimer également tous les hommes. L’homme, lui, n’est pas capable de cela. Il ne peut aimer concrètement que son plus proche. Les plus idéalistes trouveront cette limite humaine regrettable mais le réalisme nous fera constater qu’il s’agit d’un défi déjà loin d’être relevé par tous…

Dans une tribune publiée dans Le Figaro, le philosophe Pierre Manent s’est ému, avec la franchise et la précision qu’on lui connaît, du regard politique du pape François sur les migrations dont l’Europe est actuellement la destination principale. « On est frappé par la légèreté avec laquelle le pape François considère les attachements humains. La distinction n’est pas faite entre le devoir de secourir qui est en effet inconditionnel et l’obligation de recevoir dans la citoyenneté qui ne saurait avoir le même caractère ». La perplexité de Pierre Manent se comprend. L’Eglise, dans son enseignement constant, a toujours considéré effectivement que l’ordre naturel ne consistait pas à “construire” la société à partir des individus, en les faisant souscrire à un “contrat social” d’après un “projet de société”, mais à faire naître et grandir des personnes dans la piété filiale, au sein de familles déjà groupées entre elles en une société. La nation est, en réalité, une famille de familles. L’idée du contrat social – et a fortiori du pacte républicain ! – passé entre personnes individuelles et conçu comme fondement et lien de la société politique, en est au contraire destructeur parce qu’il déclasse, relativise, estompe la réalité familiale et la réalité nationale.

Cette vision rousseauiste se retrouve dans le code civil issu de la Révolution et dont Renan, déjà cité plus haut, avait analysé sans concession les insuffisances et limites :

« Un code de lois qui semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire, où l’homme avisé est l’égoïste qui s’arrange pour avoir le moins de devoirs possibles, ne peut engendrer que faiblesse et petitesse ».  

Tout à l’inverse, la piété nationale ne saurait être un revêtement accessoire de la patrie temporelle mais bien plutôt une condition de sa survie. Elle est œuvre de justice et gage de fiertés. Grave danger que de se montrer désinvolte ou indifférent à l’égard du patrimoine moral et intellectuel de sa nation. A faire fi de ses racines, comment ambitionner d’offrir des fruits ? Si l’on n’honore pas, on commence à négliger et l’on court alors le risque de se retrouver désarmé, plus vite qu’on ne le pense, devant la barbarie.

Beaucoup se posent la question si l’on peut encore, si l’on peut toujours, attendre du christianisme les énergies par lesquelles il a tant de fois dans le passé, guéri, voire ressuscité les nations. Cette inquiétude, légitime, mériterait cependant d’être remplacée par une certitude plus stimulante : la continuité historique de la nation française ne passera que par un christianisme retrouvé. Libre à chacun de s’en convaincre. Et, surtout, d’y contribuer.

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