Michel Barnier a été interrogé longuement dans le JDD. Extraits sur l’immigration puis l’euthanasie :
Vous évoquez une prise de conscience européenne « extrêmement forte » sur la question migratoire. En quoi consiste-t-elle ?
Que le Premier ministre polonais, chrétien-démocrate, prenne des mesures telles qu’il vient de les annoncer et évoque la pression insupportable de l’immigration en provenance de la Biélorussie et de la Russie est un vrai changement. Que le chancelier socialiste allemand rétablisse des contrôles aux frontières interpelle. Et je pourrais citer d’autres pays comme le Danemark. Il y a une prise de conscience assez unanime, un nouvel état d’esprit européen.
Cela fait pourtant des années que les peuples européens, et certains gouvernements, alertent sur ce sujet et mettent la pression sur les responsables politiques. Vous évoquez une prise de conscience, mais qu’en est-il des actes ?
Nous allons accélérer la mise en place du pacte Asile et immigration qui a été voté il y a quelques mois à peine, en le transposant dans notre loi nationale. Je comprends l’impatience mais je fais confiance au ministre de l’Intérieur et à son équipe, comme au gouvernement tout entier, pour transposer ces textes et les compléter afin d’avoir les outils nécessaires à une meilleure lutte contre l’immigration clandestine. Prenez l’exemple de Frontex : il a été décidé un renforcement des effectifs aux frontières de plus de 10 000 agents pour accroître les contrôles à nos frontières extérieures. Nous venons par ailleurs de rétablir des contrôles à nos frontières intérieures.
Qui étaient déjà rétablis depuis 2015…
Oui, en 2015, après les attentats. Je viens de décider de leur prolongation à la frontière italienne notamment, et nous l’élargissons à une partie plus importante de nos frontières.
Vous évoquez ici des décisions nationales qui sont prises au Danemark, en Hongrie, en Italie, en Pologne, en Allemagne et même en France… Reste une question : l’Union européenne permet-elle de prévenir le franchissement de ses frontières extérieures ou devons-nous gérer un flux illégal qui entre de toute façon en Europe ?
À la frontière italienne, j’ai vu une gestion très efficace entre l’Italie et la France, et je suis heureux qu’un climat de coopération soit rétabli avec ce grand pays. Je vais d’ailleurs me rendre à Rome en novembre pour rencontrer Giorgia Meloni. Quant aux frontières extérieures que vous évoquez, il n’y a pas de fatalité. L’application rapide du pacte Asile et immigration doit précisément permettre de renforcer les contrôles et de mieux organiser le traitement des demandes d’asile à partir des frontières extérieures de l’Union. […]
Le refoulement aux frontières extérieures est interdit, l’externalisation des demandes d’asile rencontre beaucoup de résistance, et la « directive retour » oblige les États à laisser trente jours aux clandestins pour quitter d’eux-mêmes le pays dont ils viennent de franchir illégalement la frontière. La prise de conscience que vous évoquez n’empêche pas l’interdiction, dans les faits, de prévenir le franchissement illégal de nos frontières ?
La Commission européenne, avec ce nouvel état d’esprit, a décidé elle-même de rouvrir les discussions sur la « directive retour ». Nous allons soutenir cette mesure pour qu’elle soit une des priorités du premier semestre 2025, sous la présidence polonaise. Nous prendrons des mesures également de notre côté, en tirant par exemple les leçons de la mort tragique de Philippine, en allongeant les délais de rétention des étrangers que nous voulons éloigner.
À ce propos, le ministre de l’Intérieur a également évoqué la nécessité d’un bras de fer avec les pays d’origine qui rechignent très largement à délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires aux éloignements. Il a évoqué la restriction des visas, de l’aide au développement et même la renégociation des mécanismes de préférence commerciale. Êtes-vous prêt à activer ces leviers ?
Dans le cadre européen, nous pouvons utiliser les mêmes moyens que l’Italie a utilisés avec la Libye ou la Tunisie.
Cela concerne les pays de départ, pas forcément d’origine. Mais comment renvoyer les étrangers frappés par des OQTF ou des interdictions de territoire dans leurs pays qui ne collaborent pas ?
Dans un esprit de dialogue, nous allons prolonger ou reprendre les discussions avec ces pays. On ne le fera pas de manière agressive, mais en mettant à plat tous les outils de la coopération bilatérale.
Vous sentez un dialogue possible ?
C’est dans l’intérêt de tous, à condition de ne pas les mettre en accusation, parce qu’ils ont leurs propres contraintes. Mais il y a des pays proches de la France comme l’Algérie et le Maroc avec qui le dialogue est possible. Et nous pourrons en effet examiner toutes les dimensions, si nécessaire, de la délivrance des visas à l’aide au développement.
Donc les actes concernent la répartition des migrants illégaux en Europe, ou leur éloignement, mais pas leur entrée ?
Oui, les personnes dont on a refusé la demande d’asile doivent repartir. Et les personnes que nous acceptons d’accueillir doivent être mieux intégrées. […]
Vous évoquez une loi à venir. Y aura-t-il aussi des mesures retoquées par le Conseil constitutionnel dans la dernière loi ? Faut-il par exemple durcir les conditions du regroupement familial ? Questionner les prestations sociales accordées aux étrangers ?
Il va y avoir un projet de loi du gouvernement sur la transposition du pacte. Et nous allons également avancer sur tous les abus et tous les détournements. De manière concrète, en respectant l’État de droit.
Faut-il remettre en cause l’aide médicale d’État (AME) qui continue de faire débat ?
Il doit y avoir une maîtrise des dépenses de l’AME et le gouvernement et le Parlement prendront toutes les dispositions pour que ces dernières ne progressent plus. Il est important de s’assurer que l’AME ne soit jamais détournée de son but, à savoir un outil de santé publique.
Lors de votre discours de politique générale, vous avez parlé d’ouvrir un dialogue d’ici 2025 sur la fin de vie, ce qu’appellent de leurs vœux un nombre important de soignants. Deux jours après, vous parliez de « reprendre le travail au moment où il a été interrompu pour gagner du temps ». Quelle sera finalement la méthode du retour de ce texte au Parlement ?
Nous reprendrons au Parlement le fil de ce qui a fait l’objet d’un débat de grande qualité avant la dissolution. Mais avant de reprendre le débat parlementaire, je souhaite consulter les acteurs, et en particulier les parlementaires, quelles que soient leurs sensibilités, les personnalités qualifiées, les soignants, les associations. C’est à l’issue de cette consultation que nous préciserons le calendrier et les modalités, en nous appuyant sur les travaux de l’Assemblée nationale. […]