Jean-Frédéric Poisson, président de Via, ancien député, et auteur de Soins palliatifs, la vraie alternative à l’euthanasie, a répondu à nos questions.
La « convention citoyenne » a remis son rapport sur la fin de vie. Que vous inspire cette méthode ?
Les résultats de cette consultation ne sont une surprise pour personne. Dès le lancement de cette convention, nous savions que les jeux étaient faits : un sondage de l’IFOP du 8 avril 2022 indiquait, selon une formulation assez insidieuse que « 93% des Français considèrent que la loi française devrait autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». Dans le même temps, vingt nouvelles personnalités en faveur de l’euthanasie ont été intégrées au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) par décret du gouvernement. Malgré quelques opposants auxquels il faut rendre hommage, le Comité a rendu un avis favorable à la légalisation de l’euthanasie en invoquant « l’évolution de la société et de ses valeurs ».
Dès lors, tous les feux étaient au vert pour que la Convention citoyenne travaille prioritairement sur les questions touchant à l’euthanasie et au suicide assisté, pendant que les mêmes médias oubliaient de notifier le fait que plus de 83 % des citoyens ayant pris part à la Convention considéraient au préalable que le cadre d’accompagnement de la fin de vie proposé — c’est-à-dire les « soins palliatifs » — ne « répondait pas aux situations rencontrées ». Or, les soins palliatifs sont justement une disposition qui, la plupart du temps, permet de ne pas avoir recours à l’euthanasie et d’accompagner le mourant dans les conditions humaines et éthiques jusqu’à sa fin de vie naturelle.
Enfin, dès février, une communication du gouvernement nous apprenait que les résultats de la Convention ne seraient pris en compte que s’ils allaient dans son sens. Pour résumer, le CCNE et le sondage IFOP ont préparé le terrain pour une Convention citoyenne non élue par le peuple et qui ne représente qu’elle-même. Tout cela veste conforme à ce que déclarait à l’automne le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, selon qui de toutes façons, quelle que serait le résultat de la convention citoyenne, on irait vers la légalisation de l’euthanasie. Quoi qu’il en soit, le combat n’est pas encore achevé, il ne fait que commencer.
Le président laisse entendre qu’il veut « en même temps » légaliser « l’aide active à mourir » et augmenter l’offre de soins palliatifs. Cela vous semble-t-il raisonnable ?
Il est contradictoire de promouvoir dans le même temps l’euthanasie et les soins palliatifs. Ces deux pratiques ne sont pas deux dispositions complémentaires, mais la traduction de deux visions opposées de la civilisation dans leur rapport à l’être humain. La première nous est vendue comme la seule et unique manière de « mourir dans la dignité », comme si la maladie pouvait enlever sa dignité à un être humain et qu’il était possible de la lui rendre en lui ôtant la vie avec son consentement plus ou moins éclairé. Le second, les soins palliatifs, est brandi à chaque fois comme une contrepartie opportune, mais il ne s’agit depuis les dernières années que d’un effet de communication puisque vingt-six départements, malgré les diverses lois promulguées au cours des dernières décennies, ne disposent toujours pas, à ce jour, de structure adaptée au développement des soins palliatifs.
Pourtant, ces derniers rendent bien souvent obsolète la volonté de recourir à l’euthanasie lorsque le malade est la victime d’une maladie incurable. Ainsi, les professionnels de santé savent qu’une grande majorité de malades cessent de demander la mort lorsque les hôpitaux mettent en place un accompagnement adapté. Dans ce contexte, il est préoccupant de voir que les politiques de soins palliatifs ne font figure que de « gadget » dans les consultations et les propositions de loi promouvant l’euthanasie et le suicide assisté auxquelles elles sont intégrées.
Certains proposent d’accepter le suicide assisté pour éviter la légalisation de l’euthanasie. Qu’en pensez-vous ?
C’est un leurre comme cela a été le cas pour les autres lois de bioéthique : à partir du moment où l’on met un pied dans la porte, les tenants du progressisme s’engouffrent dans la brèche et affirment que « rien ne doit pouvoir entraver la marche du progrès ». Comment expliquer les efforts importants consacrés à la prévention suicide dans les politiques publiques (il n’est que de consulter le site internet du ministère de la santé pour s’en convaincre) et la promotion du suicide assisté dans le cadre de la fin de vie ? Comment ce qui est considéré comme un mal dont il faut protéger la population française pourrait-il devenir un bien du seul fait qu’il est encadré par on ne sait quelle paravent de procédure ? Et d’une manière générale, voyons bien que cette légalisation du suicide assisté impliquerait moralement celui qui fournit le produit létal, ce qui en ferait, de fait, un complice du suicide par fourniture de moyen. Ce n’est pas acceptable !
Le suicide assisté et la légalisation de l’euthanasie sont condamnables sur le pan éthique et constitueraient, s’ils étaient acceptés, un effondrement anthropologique inédit.
Beaucoup nous disent que le combat est perdu d’avance, tant les sondages semblent accréditer l’idée d’une écrasante majorité de Français favorables à l’euthanasie. Voyez-vous des raisons d’espérer de votre côté ?
Bien sûr : je souhaite rappeler que dans les résultats de la fameuse « convention citoyenne sur la fin de vie », 75% des citoyens invités à débattre sur ce sujet étaient favorables à une évolution de la loi pour une « aide active à mourir ». On remarquera une baisse certaine par rapport à celui du sempiternel sondage IFOP du 8 avril 2022 brandi à chaque occasion et qui était de 93%. Bien sûr, cette comparaison ne tient que si l’on estime que la consultation représente fidèlement l’avis de l’ensemble des Français. Pourtant, il n’est pas interdit de penser que les partisans de l’euthanasie perdent du poids, et cela pour une raison très simple : plus les Français comprennent, s’éduquent, se renseignent sur un sujet qui les a touchés ou qui les touchera forcément tôt ou tard, moins ils sont unanimes concernant la question de la fin de vie. Notamment depuis les excès de la période du Covid, en particulier contre les anciens de nos maisons de retraite, qui ont choqué beaucoup de nos concitoyens.
Nous avons la responsabilité d’aider les Français à comprendre que le vrai progrès consiste à prendre soin de l’Homme jusque dans les difficultés, à l’accompagner en respectant sa dignité avant toute considération sentimentale, économique ou sociale. Cette compréhension passe par notre investissement, que nous travaillions en politique, dans le journalisme, dans les associations ou même que nous soyons de simples citoyens. Rappelons également que treize organisations représentant 800.000 soignants qui sont en première ligne dans ce combat ont déclaré récemment rejeter la pratique de l’euthanasie considérée comme « incompatible avec le métier du soin ». C’est très grave, à tous les sens du terme. Enfin, chacun d’entre nous a le moyen de diffuser et faire connaître les témoignages des accompagnants de soins palliatifs qui sont les plus édifiants et sans doute les plus efficaces militants contre le droit de tuer : ces témoignages sont emprunts d’une telle force, d’une telle simplicité, d’une telle humanité que leur impact est à chaque fois irrésistible. Chacun peut prendre sa part à ce combat important en propageant ces prises de parole.
L’un des enjeux majeurs de ce combat est un enjeu sémantique. Comment lutter contre les euphémismes et les enfumages des partisans de la culture de mort ?
La meilleure manière de lutter autour des questions sémantiques consiste à rappeler sans cesse la vérité. Il faut refuser de se laisser piéger par les altérations telles que « l’aide active à mourir » concernant l’euthanasie ; comme c’était le cas pour la « gestation pour autrui » pour ne pas dire « mère porteuse ». L’apparente générosité de ces mots cache des mensonges : l’euthanasie consiste effectivement à mettre fin aux jours de son prochain. Point.
Bien sûr, ce combat n’est pas aisé : il est exigeant, impose un retour à la racine des mots, une formation, une détermination à l’évoquer inlassablement sur les plateaux, les réunions, interviews et conférences, les réunions de famille et les dîners en ville… Mais il est vital de le mener malgré tout et de dévoiler la réalité sordide qui se cache derrière l’esthétique bienveillante et mensongère des mots employés par nos adversaires.
© Photo Frédéric Ayroulet
Arwen
La plupart des Français connaissent mal les soins palliatifs, personnel médical compris.
Les soins palliatifs n’ayant pas été encouragés, l’on se t’œuvre vers l’euthanasie, faute de mieux.