"Ainsi donc François Hollande persiste à vouloir faire d’une forme «d’exception d’euthanasie» l’une des avancées sociétales de sa présidence, si les Français l’élisent le 6 mai prochain. Hier, dans l’émission de France 2 «Des paroles et des actes», le parallèle a été esquissé entre l’engagement de campagne de François Mitterrand, en 1981 – s’il était élu – d’abroger la peine de mort, et celui de Français Hollande de permettre à chacun de rester maître de son destin. De l’abrogation de la peine capitale à l’instauration d’une peine de mort consentie pour soi-même, contre soi-même. Redoutable retournement symbolique qui interpelle l’électeur de gauche que j’ai toujours été. Je peux bien l’écrire ici, n’ayant plus de responsabilité éditoriale dans aucun titre de la presse française. […]
Il faut relire l’interview de Jacques Attali publiée en 1981 et consultable par tout un chacun sur internet. Je cite quelques extraits :
«Je crois que dans la logique même du système industriel dans lequel nous nous trouvons, l’allongement de la durée de la vie n’est plus un objectif souhaité (…) Pourquoi ? Parce qu’aussi longtemps qu’il s’agissait d’allonger l’espérance de vie afin d’atteindre le seuil maximum de rentabilité de la machine humaine, en termes de travail, c’était parfait. Mais dès qu’on dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société (…) Du point de vue de la société, il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. (…) On pourrait accepter l’idée d’allongement de l’espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et créer ainsi un marché.
L’euthanasie comme mode de gestion de la société marchande.
L’euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures. Dans une logique socialiste, pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste c’est la liberté et la liberté fondamentale, c’est le suicide ; en conséquence, le droit au suicide direct ou indirect est donc une valeur absolue dans ce type de société. Dans une société capitaliste, des machines à tuer, des prothèses qui permettront d’éliminer la vie lorsqu’elle sera trop insupportable, ou économiquement trop coûteuse, verront le jour et seront de pratique courante. Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou de marchandise, sera une des règles de la société future.»
[…] Chrétien de gauche, j’ai toujours frémi aux discours sur le caractère «non-négociable» de certains principes éthiques qui semblaient tenir pour secondaires des impératifs de justice sociale, d’accueil de l’étranger, de destination universelle des biens, de droit au développement des peuples du Sud… A quarante jours de la présidentielle me voici renvoyé à ma conscience et à l’éternel dilemme entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Au nom d’une éthique de conviction j’ai toujours été hostile à l’avortement ; au nom d’une éthique de responsabilité j’estime que la loi Veil – aujourd’hui dénaturée – était nécessaire. Au nom d’une éthique de conviction je reste sensible au projet de justice sociale porté par le candidat socialiste ; au nom d’une éthique de responsabilité je n’apporterai pas mon soutien au défenseur d’un projet de loi qui se veut compassionnelle mais qui pose, sans doute en toute innocence, la première pierre d’un futur génocide des vieux et de tous les non-rentables de la société marchande !"