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France : Société

Faire appel à l’armée comme solution à tout est soit de la démagogique soit une preuve d’ignorance

Faire appel à l’armée comme solution à tout est soit de la démagogique soit une preuve d’ignorance

Quel homme ou femme politique n’a pas fait appel à l’armée dans les médias afin de régler tel ou tel problème éducatif ou sécuritaire, croyant ainsi proposer une solution miracle ? La liste serait longue. Les auteurs viennent de tous les bords politiques, parfois même de candidats à la présidence de la république, fonction pourtant suprême de chef des armées. Soit ils sont démagogues (très probable), soit ils sont ignorants…

Sont-ils donc au courant de la réalité ? L’armée de terre est désormais aussi volumineuse que la gendarmerie nationale (environ 100 000) ! Les cadres des armées ont déjà de nombreux jeunes engagés à commander et exercent un métier concret qui se traduit par des engagements opérationnels. Il n’existe plus aucune infrastructure pour accueillir une classe d’âge de 800 000 jeunes : toutes les anciennes casernes ont été vendues, souvent pour 1€ symbolique, et ont enrichi des promoteurs immobiliers…

Dans un entretien accordé au Figaro, Michel Goya, spécialiste des sujets militaires et ancien colonel, développe son argumentation, que devraient lire tous ces démagogues incultes. Extraits :

FIGAROVOX. – En 2011, Éric Ciotti avait déposé une loi, adoptée, mais jamais mise en œuvre, prévoyant que l’Établissement public d’insertion de la défense (Epide), qui accueille depuis 2005 dans ses centres de jeunes majeurs en difficulté, s’ouvre aux mineurs de 16-18 ans ayant commis des faits de faible gravité, pour un service citoyen de six à douze mois. Le garde des Sceaux a évoqué l’idée de le mettre en place. Que vous inspire cette mesure?

Le code de la défense regroupe les textes relatifs à l’organisation générale, aux missions, au personnel militaire et au fonctionnement de la défense. Dans la rubrique «Mission des armées» il est écrit: «préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation». Il n’est écrit nulle part que les armées aient à servir de maison de correction, de centre de formation professionnelle, de palliatif à des peines de prison, d’anxiolytique pour la population, de fournisseurs de photos pour les articles sur le terrorisme, d’antigang à Marseille ou ailleurs, de supplétif à la police nationale, de régulateur du nombre de sangliers, de société de ramassage des poubelles ou de nettoyage des plages, d’éducateurs pour adolescents en internat-découverte (…)

Les unités militaires sont réactives, disciplinées et dotées par nécessité d’une forte cohésion. Les soldats français sont, il faut le rappeler, volontaires à faire des choses pas naturelles pour la Patrie, tuer et être tuer. Pour cela on crée autour d’eux des obligations à faire honneur à l’uniforme, au drapeau, et à ne pas faire honte à des camarades dont on a forgé l’amitié dans de durs entraînement et des opérations. On ne peut séparer l’action qui peut être un sacrifice et sa préparation. On ne transpire pas dans les entraînement pour le plaisir d’apprendre l’effort, mais pour être prêt au combat. Sinon, on fait du sport (…)

Va-t-on engager ces mineurs dans des combats? Non évidemment et heureusement! Dans ce cas, les engager dans un processus de formation d’un soldat, en se disant qu’au moins cela en fera quelqu’un de bien, n’a pas de sens. Cela risque d’affaiblir notre institution (…)

Craignez-vous que l’armée devienne un palliatif à la prison?

Mais quel est le rapport entre la prison et l’armée? Être dans l’armée, c’est une sanction? Il est toujours singulier de voir des gens trouver soudainement de grandes vertus éducatives ou rééducatives à une institution qu’ils ont préféré éviter lorsque cela leur était possible au temps du service national universel. L’éducation à la dure, c’est pour les autres, les gueux, voire les canailles. Cela fera du bien un tour à l’armée! Oui, mais voilà ce n’est pas le rôle de l’armée, et moins que jamais

Éric Dupond-Moretti, qui a des mots très gentils pour l’institution militaire, mais dont on cherche vainement la trace du service militaire, pourrait mobiliser ses propres services après tout. Quitte à trouver un palliatif à la prison pourquoi ne pas organiser quelque chose à l’intérieur du ministère de la Justice? Il n’y a pas de modèle à admirer au ministère de la Justice? Pourquoi pas dans l’administration pénitentiaire par exemple?

(…) Il faut quand même rappeler que l’expérience a été tentée de 1984 à 2004. Cela s’appelait les «Jeunes en équipe de travail» (JET) et cela consistait à organiser des «stages de rupture» de quatre mois à l’intention des jeunes délinquants, détenus majeurs de moins de trente ans ou mineurs à partir de 16 ans. Ces stages, proposés aux jeunes par le juge d’application des peines, devaient les préparer à leur réinsertion sociale et professionnelle. Les JET étaient gérés par une association et les armées ainsi que la gendarmerie fournissaient l’encadrement, les infrastructures et l’équipement. Au total, sur vingt ans, 5 800 jeunes délinquants sont passés par JET. Le bilan est très mitigé. Deux ans après leurs stages, plus de 60 % des mineurs qui s’étaient portés volontaires étaient retombés dans la délinquance (…)

L’implication dans la formation professionnelle par le biais des Epide et du Service militaire volontaire, ou du Service militaire adapté dans la France d’outre-mer, donne en revanche de bons résultats, mais il ne s’agit pas de réinsérer des délinquants après un stage court, mais de venir en aide à des jeunes en difficulté, volontaires et sélectionnés, par une longue formation. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Cela fonctionne, même si encore une fois c’est un détournement de mission.

Prônez-vous le rétablissement du service militaire à l’ensemble des jeunes?

Pourquoi pas si on répond correctement à la question: pour quoi faire? Rappelons que le principe du service militaire, puis «national», n’était pas de rendre service aux jeunes qui y était soumis, par les soi-disant bienfaits éducatifs ou le vivre ensemble, mais de rendre service à la nation, parfois en donnant sa vie. Si l’idée est effectivement de rendre service à la nation, alors oui cela peut se concevoir. Un service militaire n’a de sens que si on engage éventuellement les recrues au combat. Si ce n’est pas le cas, on est alors dans un grand projet éducatif, et s’il concerne des mineurs, comme le projet de Service national universel (SNU) c’est la mission de l’Éducation nationale.

Le service national peut être un vrai projet ambitieux et un vrai projet de société, mais en réalité, il n’y a sans doute que deux voies cohérentes.

La première est le retour à une forme de service national élargi à l’ensemble du service public. Cela suppose de surmonter la réticence juridique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui considère cela comme du travail forcé et bien sûr de traquer et donc sanctionner les inévitables resquilleurs, condition sine qua non de la justice de ce service. L’effort est considérable, mais on peut imaginer qu’un renfort de 800 000 jeunes peut être utile à des services publics souvent en grande difficulté.

La seconde consiste à s’appuyer sur l’existant des services volontaires. Rappelons que le projet insensé de SNU prévoit de dépenser 1,5 milliard d’euros par an pour fondamentalement organiser deux semaines de stage découverte à tous les jeunes d’une classe d’âge et ce chiffre ne comprend pas les dépenses d’infrastructure sans doute nécessaires. Ce chiffre représente le quadruple de celui du Service civique et ses stages rémunérés de 6 à 12 mois, ou dix fois celui des 30 000 contrats de la réserve opérationnelle n° 1 des armées, mais on pourrait aussi évoquer les serviteurs volontaires ou les réservistes du ministère de l’Intérieur.

Hors de ces deux options, me semble-t-il, on sera dans de la «fantaisie militaire», pour reprendre le titre d’un album d’Alain Bashung, de la part de gens qui n’ont jamais voulu porter l’uniforme.

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2 commentaires

  1. Un autre aspect et passé sous silence mais présent en filigrane, me semble-t-il: si on entraine un jeune délinquant au métier des armes, c’est bien un ennemi potentiel qu’on forme – avec une certaine complaisance.

  2. En 1976, l’année de la grande sécheresse en France, l’armée fût appelé pour épauler les agriculteurs si ma mémoire est bonne. Une mission plutôt éloignée de ce pour quoi elle a été entraînée. Si la gendarmerie et la police n’arrivent pas à régler les problèmes d’insécurités et autres de certaines banlieues c’est uniquement par une absence d’ordres qui permettraient d’y mettre un terme.

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