Lors de l’examen de la loi sur les fausses nouvelles, Jean-Luc Mélenchon a déclaré à l’Assemblée nationale :
Madame la ministre, chers collègues, cette discussion étant déjà bien entamée, j’irai droit au but pour répondre à la remarque d’un collègue du groupe La République en marche, pour qui nous serions dans le déni. C’est vous, au contraire, qui êtes dans le déni ! Quelle est la raison d’être d’un tel texte ? Le sujet n’existe pas. Je le répète : le sujet n’existe pas. Les fausses informations ont toujours existé, tout comme les rumeurs ou les manipulations. Les Français y ont répondu par une très bonne loi en 1881.
Tout d’un coup, les États-Unis d’Amérique, à l’issue d’une campagne électorale, en plein règlements de comptes entre les différentes factions, décide que les Russes sont intervenus et ont modifié le point de vue des Nord-Américains. Thèse paranoïaque absolument incroyable : les Américains ne sont pas plus stupides que les autres peuples et sont parfaitement capables, dans le fil d’une campagne électorale, de faire la part entre les bobards, les rumeurs et ce qui leur paraît juste. Car, voyez-vous, les campagnes électorales sont souvent, et avec les meilleures intentions du monde, pleines de bobards et de rumeurs. Ainsi, dans les trois derniers jours précédant le premier tour, l’actuel président de la République a passé 6 millions d’appels téléphoniques pour affirmer qu’il était la personne idoine pour le pays. Je ne doute pas que vous le pensiez également, mais ce n’est pas notre cas ; on peut même considérer qu’une affirmation de ce genre est une affabulation.
On peut évidemment ramener ce sujet à l’existence de machines à propager des rumeurs, car elles existent bien. Il est en effet possible, via un logiciel, de répandre des millions de messages mensongers. Il est également possible de le faire sans logiciel : cela arrive à jet continu.
C’est que – souffrez de l’entendre –, de notre point de vue, le système médiatique est la deuxième peau du système. C’est lui qui enrobe l’ordre existant d’un ensemble de mots et de valeurs qui le justifie du matin au soir et propage l’idée qu’aucun autre n’est possible. Il le fait avec constance, bonne humeur et application. Il est d’ailleurs renforcé par un système qui le finance : je ne parle pas d’un financement obscur, au contraire, il est en pleine lumière, puisqu’il s’agit de la publicité, laquelle est destinée, elle aussi, à préparer du matin au soir « le temps de cerveau humain disponible », selon l’expression d’un grand homme de presse.
Le sujet n’existe pas. Les États-Unis d’Amérique, dans la guerre soft qu’ils livrent avec d’autres puissances du monde, la Russie, la Chine et quelques autres, ont décidé de porter la bataille sur ce terrain. Les uns, pour pister les autres, ont demandé qu’on intervienne partout sur un sujet auquel, auparavant, aucun d’entre vous n’avait jamais pensé ni fait la moindre allusion. Il a surgi tout à coup ! Et nous voici rendus à d’extravagants débats sur la vérité, un sujet sur lequel on discute depuis des milliers d’années. Personne n’étant parvenu à la moindre certitude sur les moyens de distinguer le vrai du faux, nous sommes dans l’obligation de conclure, au XXIe siècle, que la vérité est un processus et que le seul point de vue raisonnable est qu’aucune vérité n’est définitive.
Vous prétendez toutefois que, dans la fureur d’une bataille d’idées, d’arguments et de contre-arguments, quelqu’un pourrait saisir un juge qui, soudain éclairé, en moins de quarante-huit heures et tout seul, déciderait du vrai et du faux, tout en disposant d’un pouvoir extraordinaire, puisqu’il aurait celui de couper la parole et les moyens d’expression de ceux qui émettraient des « allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir […] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive ». On ne peut trouver d’incrimination plus floue que celle-là.
Prenons, au hasard, un exemple qui concerne les prochaines élections européennes : elles sont, selon vous, si importantes qu’il convient de prendre toutes les mesures possibles pour garantir la vérité. Or vous avez déjà affirmé avoir obtenu une magnifique amélioration du statut de travailleur détaché. La ministre nous a même déclaré qu’il s’agit de la plus grande réussite sociale de l’Europe depuis longtemps. C’est, malheureusement, totalement faux. Il s’agit donc d’une allégation inexacte et trompeuse de nature à fausser le scrutin. En effet, le statut de travailleur détaché n’a en rien changé : les cotisations sociales sont toujours acquittées dans le pays d’origine, quand elles y sont prévues, ce qui n’est pas toujours le cas.
Prenons un autre exemple : vous nous avez assuré avoir emporté une très grande victoire sur la question du glyphosate. Eh bien, il s’agit, là encore, d’une allégation inexacte et trompeuse, puisque vous n’avez rien obtenu du tout, sinon que son autorisation est renouvelée pour cinq ans, délai au terme duquel la question de son autorisation sera de nouveau posée.
Je pourrais allonger indéfiniment la liste des allégations inexactes et trompeuses auxquelles vous recourez déjà, à l’approche d’une élection dont la campagne n’a pas encore commencé. De grâce, mes chers collègues, mettons fin à cette très mauvaise plaisanterie. Le magistrat évaluera seul la qualité de fausse information, il décidera en quarante-huit heures et sa décision ne pourra pas faire l’objet d’un appel : c’est terrifiant. Une personne décidera toute seule sans qu’il soit possible de faire appel !
Le risque est également immense d’aller contre le secret des sources – dont vous pouvez certes décider qu’il n’a aucune importance. En effet, comment ferez-vous pour déclarer qu’une allégation inexacte et trompeuse a été diffusée si vous ne cherchez pas qui l’a mise en circulation ? Vous serez donc contraints de demander des précisions et des garanties.
Ce texte n’est que l’enrobage d’une bataille qui ne nous concerne pas. Qu’importe que la Commission européenne s’en soit saisie ! Ce n’est pas la première fois que des sottises de cette sorte font l’objet de ses travaux. La lecture des textes adoptés par la commission des affaires étrangères du Parlement européen, que je connais bien pour y avoir siégé, vous rendrait quasiment amis du communisme, les accusations les plus grossières étant portées contre les pays qui étaient autrefois communistes. Le même manque de sérieux vise la Chine. À tout propos, la commission voit la main des Russes, des Chinois ou de je ne sais qui encore, pour faire plaisir à quelque énergumène des ambassades qui lui demande de réaliser ce travail. Tout cela n’a aucun sens !
Les articles 4, 5 et 6 de la proposition de loi étendent les pouvoirs du CSA pour interdire ou suspendre le conventionnement de chaînes placées sous l’influence d’un État étranger – nous n’avons pas fini de rire – ou participant à des entreprises de déstabilisation. Quelles chaînes sont visées ? Tout le monde les connaît, il n’y a aucun mystère. Pourquoi ne pas les avoir nommées ? Sputnik et Russia Today sont seuls visées. Il ne reste plus qu’à espérer que personne, à l’étranger, n’aille retourner contre nous nos propres arguments. En effet, toutes les chaînes internationales qui émettent depuis la France et qui sont la propriété de l’État, puisqu’elles sont publiques, pourraient être, elles aussi, décrétées, à juste titre, comme étant sous l’influence d’un État étranger. Car c’est bel et bien le cas : chacun sait combien les chaînes du service public qui émettent vers l’étranger, comme Radio France internationale, sont indépendantes, honnêtes et nullement engagées. Supposons qu’une de ces chaînes viennent à dénoncer comme insupportable ou indigne le sort qui est réservé, en Arabie Saoudite, à M. Badaoui, qui a déjà reçu 50 coups de fouets et en attend encore 950. L’État saoudien serait autorisé à avancer qu’il s’agit d’une information venant d’un État étranger et non d’une information objective concernant la situation particulière de cette personne. La demi-mesure d’humour, avec laquelle j’évoque ce cas, n’ôte rien au caractère abominable de cette information.
Enfin, le texte confie aux GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – le soin de mettre en œuvre la censure et de protéger avec bienveillance les informations en s’assurant de leur qualité. Cette trouvaille s’appelle la censure privée. Si vous vous demandez à quoi correspond une censure privée, vous en aurez un avant-goût en allant sur Facebook, en vue de partager une information en provenance d’un site humoristique comme Le Gorafi. Vous verrez aussitôt apparaître un message vous informant qu’il s’agit d’un site humoristique : vous étiez certainement trop stupide pour le comprendre tout seul ! Arrivent alors deux informations sûres et garanties, correspondant à ce qu’il faut penser sur le sujet. Vous aurez le droit à un article signalé du Monde et à un autre article signalé de Minute, deux journaux dont la ligne éditoriale n’est pas politiquement orientée et ne professe que de vraies vérités pures. C’est pourquoi je préfère acheter plusieurs journaux afin de recouper les vérités vraies… Désormais, je n’aurai droit qu’à la parole officielle. Vive les GAFA, qui décideront eux-mêmes ce qui est bon et vrai. Cette proposition de loi, à mon avis comme à celui de beaucoup, n’est donc qu’un tissu de sottises.
Ces arguments ne sont pas nouveaux : j’ai déjà eu l’honneur de les développer au cours de la première lecture. J’ai alors entendu, de votre bouche, que les journalistes forment le meilleur rempart contre la fausse nouvelle : la preuve est qu’ils publient eux-mêmes des vérifications, qui sont parfois vérifiées par d’autres, si bien qu’on s’aperçoit que ceux qui vérifiaient se sont eux-mêmes trompés ! Vous voyez combien la vérité demeure un sujet controversé, même pour ceux qui vérifient les informations. Les journalistes peuvent-ils représenter la meilleure garantie contre les fausses informations, alors qu’ils en diffusent eux-mêmes, non par manque d’honnêteté – il y en a de malhonnêtes –, mais parce que, le plus souvent, ils croient ce qu’ils disent ? Cela s’appelle avoir un point de vue ou un biais idéologique. Si vous trouviez une personne qui s’exprime sans biais idéologique, je l’admirerais, mais elle n’existe pas. Chacun est pris dans une vision du monde et en rend compte.
Du reste, si vous étiez si sûrs que les journalistes constituent la meilleure garantie et si eux-mêmes en étaient si sûrs, alors vous argueriez qu’être journaliste est un métier, comme avocat ou juge des référés. Des concours et des diplômes correspondent à ces métiers. Quels sont les concours et les diplômes qui permettent d’établir le journaliste comme juge suprême de la vérité ? S’il existe un CAP de pâtissier, un BTS de maintenance des systèmes automatisés ou un baccalauréat professionnel de plomberie, il n’existe pas de diplôme national, certifié par une qualification commune, de journaliste. Chaque école est libre de distribuer son diplôme, les meilleurs étant censés être recrutés. Dans les faits, les anciens élèves recrutent les nouveaux diplômés de ces écoles payantes. Cessez de croire qu’il puisse exister une quelconque cléricature chargée de la vérité. Même au sein des journalistes, elle n’existe pas. […]
Bernard Mitjavile
Très bon discours bien argumenté. Quelle tristesse de voir qu’une telle proposition de loi n’a pas suscité un rejet massif de tous les députés attachés un tant soi peu à la liberté d’expression ! Quand on pense qu’à l’origine, l’expression Fake news avait été utilisée à juste titre par D Trump pour dénoncer les mensonges des grands médias et qu’elle est utilisée maintenant pour renforcer le pouvoir et la crédibilité de ces grands médias.
F. JACQUEL
Superbe analyse de M. Mélenchon. Comme pour la première fois, le projet de loi a été approuvé en catimini, de nuit, par 45 voix contre 20. Sur 577 députés, cela représente 7,8 % de voix favorables. Et on ose encore nous parler de démocratie quand on sait qu’aucun de ces députés n’a été élu par 100 % des inscrits de sa circonscription. J’estime donc à moins 4% de citoyens ceux qui ont été représentés pour l’approbation de cette loi.
Et le gouvernement et les média politiquement corrects prétendent chaque jour donner des leçons de démocratie à M. Le Président Trump et à son pays.
Ils sont en plein délire schizophrénique et je ne suis pas sûr qui la médecine puisse trouver une solution…
???????
DUPORT
Ce qui démontre bien que les discours tenus à l’Assemblée Nationale sont inutiles
Les députés ne votent ni en fonction de leurs convictions, ni en fonction de la raison…
AFumey
Bien… Enfin ce serait bien si…
Si M. Mélenchon n’était pas le fidèle serviteur de ce “système” qu’il fait mine de critiquer: il est le contrefeu allumé pour contrer le réveil des peuples européens et siphonner les voix des listes réellement dissidentes.
Nous continuerons à perdre, je le vois avec tristesse en observant la multiplication des listes qui réclament une réforme vigoureuse des institutions européennes (Amoureux de la France, RN, dissidents LR…) Pourquoi, mais pourquoi cette volonté de perdre au lieu de se rassembler sur UNE liste bâtie autour d’un PROJET en laissant les idées de côté?
Les Amoureux de la France rassemblent, entre autres, DLF et le PCD dont les idées divergent sur certains points mais se rejoignent sur le projet européen: une réforme drastique d’un système corrompu. Plutôt que partir en ordre dispersé et prendre le risque d’une défaite ou une fausse victoire, trop courte, pourquoi ce refus d’entendre les propositions d’union sur ce PROJET?
Collapsus
Pourquoi ? Pour les raisons inavouables mais évidentes d’hommeries. Petites ambitions personnelles, chicayas divers, calculs électoraux sordides, bref tout ce que génère avec volupté la démocratie (ou démoncratie ?) pour éviter que les bonnes causes aboutissent au profit du bien commun. Nous ne sommes pas près d’en sortir.
philippe paternot
les “insoumis” surpris… mais ils ont voté macron, en connaissance de cause, non? croyant qu’ils seraient les plus forts ensuite!