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Culture : cinéma

Fortuna ou des migrants et des dieux

Fortuna ou des migrants et des dieux

Analyse cinéma de Bruno de Seguins Pazzis :

Fortuna, jeune Ethiopienne de 14 ans, est accueillie avec d’autres réfugiés par une communauté de religieux catholiques dans un monastère des Alpes suisses. Elle y rencontre Kabir, un jeune Africain dont elle tombe amoureuse. C’est l’hiver et à mesure que la neige recouvre les sommets, le monastère devient leur refuge mais aussi le théâtre d’événements qui viennent ébranler la vie paisible des chanoines.  Ceux-ci vont-ils renoncer à leur tradition d’hospitalité ? Parviendront-ils à guider Fortuna vers sa nouvelle vie ? Avec : Kidist Siyum Beza (Fortuna), Bruno Ganz (Frère Jean), Patrick d’Assumçao (M. Blanchet), Assefa Zerihun Gudeta (Kabir), Yoann Blanc (Frère Luc), Stéphane Bissot (Barbara) Pierre Banderet, Simon André, Philippe Grand’Henry. Scénario : Germinal Roaux. Directeur de la photographie : Colin Lévêque. Musique : Jürg Lempen. Récompenses : Ours de Cristal du le Meilleur Film et Grand Prix du Jury International à la 68e Berlinale (2018).

Des migrants et des dieux… Le sujet de l’immigration est déjà un sujet souvent traité au cinéma, et il n’est pas nécessaire de faire appel à son petit doigt pour prédire qu’il va l’être de plus en plus. Ainsi après, Fortuna, sort tout début octobre Amin de Philippe Faucon qui va faire pleurer dans les chaumières… Fortuna ne restera certainement pas parmi les mauvais films sur le sujet (d’autant qu’il en embrasse d’autres). Pour autant, fera-t-il date ? Ceci en dépit du succès remporté au festival de Berlin et auprès de la critique (« Un concentré de poésie et de spiritualité qui s’attache avec dignité à redonner foi en l’humanité » pour Claudine Levanneur dans « a Voir-aLire.com », « Cette méditation poétique et lumineuse interroge sur l’ouverture à l’autre » pour Céline Rouden dans « La Croix », « On songe à Des hommes et des dieux et Fortuna en a la profondeur spirituelle» pour Marie-Noëlle Tranchant dans « Le Figaro »).

En fait, le meilleur aspect de Fortuna, c’est sa forme : un noir & blanc soigné dans un format aujourd’hui rarement utilisé, le 4.3 (certains se souviennent sans doute d’Idaen 2013 de Paweł Pawlikowski qui utilisait ce même format), des plans d’une longueur qui poussent à la méditation, une composition des cadres et des angles de prises de vue très travaillés une réussite exceptionnelle dans sa dimension onirique (les quelques images qui évoquent le souvenir de son voyage migratoire le voyage en mer sous une pluie battante et au milieu  de vagues impressionnantes, allégories d’un déluge qui emporte la jeune Fortuna vers une autre destinée). Tout ceci, mis en scène et monté avec une sobriété qui fait surgir par instant la poésie et tente de faire affleurer à l’écran quelque chose d’indicible.  Pour cette seule raison, et également les interprétations de la jeune Ethiopienne, Kidist Beza, et de Bruno Ganz (Les Ailes du désir de Wim Wenders en 1987, sa composition remarquable et inégalée d’Adolph Hitler dans La Chute d’Olivier Hirschbiegel en 2004), il est possible de voir et d’apprécier Fortuna.

Mais Germinal Roaux en situant son propos dans un cadre religieux (un monastère des Alpes suisse), en faisant de son héroïne une jeune Ethiopienne chrétienne qui connaît une relation avec un noir musulman, ne parvient pas à donner une dimension spirituelle à son sujet, dimension qu’il donne en permanence l’impression de vouloir atteindre. Il n’échappe pas en dépit des apparences, soutenues par la beauté formelle de son film, à une approche militante du sujet de l’immigration. Pire, en y mêlant la communauté religieuse qui recueille son personnage, il inclut de force l’Eglise dans cette approche militante. Il ne suffit pas de filmer les cols enneigés et battus par les vents, des religieux récitant les Laudes, la jeune Fortuna priant devant une statue de la Sainte Vierge ou encore placer en exergue du film une citation de l’Evangile de Saint Jean (3.8) « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit », pour que souffle précisément « le vent de l’Esprit ». Fortuna reste malheureusement loin de la grâce atteinte par Xavier Beauvois dans Des hommes et des dieux (2010), qu’il semble d’ailleurs par moment dupliquer par certains aspects (le paysage sauvage des Alpes qui remplace celui de l’Atlas, la petite communauté de religieux, la présentation aux accents œcuméniques d’un islam serein en parallèle avec la religion chrétienne, la réunion du chapitre, les Laudes, la fin brutale du film sur un écran noir qui semble répondre à la disparition des moines de Tibhirine dans la brume…).

Toutefois, si la pesanteur de la touche militante (qui évite en même temps toute approche de la véritable dimension politique du problème de l’immigration sous l’angle du bien commun) empêche définitivement Fortuna d’atteindre cette grâce, c’est en dépit d’une approche assez subtile de sujets contemporains dont les résonnances sont fortes (le rôle de la police, celui des structures sociales intermédiaires…). En dépit également d’un sentiment de compassion que ne peut manquer de faire naître le difficile parcours humain de la jeune Fortuna qui à l’âge de 14 ans se trouve séparée de ses parents, livrée à elle-même dans un monde qui lui est totalement étranger et avec en son sein un petit d’homme dont elle ne veut, envers et contre tout et à juste raison, surtout ne pas se séparer. L’honnêteté exige d’ailleurs de mentionner que ce sujet de l’avortement, est abordé avec une grande justesse et une grande délicatesse qui ne peut que provoquer une saine réflexion de la part du spectateur. Cette réflexion sera malheureusement brutalement écourtée par un récit qui se termine de manière abrupte sans que le spectateur ne sache quel est le destin de la jeune Fortuna, provoquant une frustration de ce dernier. Des pesanteurs allégées par la beauté esthétique.

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