Suite à son film-témoignage sur sa conversion, Gad Elmaleh a été interrogé dans Le Figaro Magazine. Extrait :
Il y a dans ce film des éléments autobiographiques et d’autres totalement scénarisés, mais je garde volontairement un mystère là-dessus. Le point de départ, qui est réel, c’est cette entrée dans une église de Casablanca, à l’âge de 6 ans, avec ma sœur, alors qu’on nous l’avait toujours interdit. Je me vois encore pousser la porte, j’entends le bruit et perçois le faisceau de lumière qui m’a ébloui. À l’intérieur, je me suis arrêté net devant une statue de la Vierge et, comme cueilli, j’ai fondu en larmes. On peut analyser cette réaction par le prisme pédopsychiatrique, psychanalytique, architectural, émotif, mais savoir si c’était une expérience mystique ou un simple plaisir transgressif m’importe peu finalement, car j’ai simplement le sentiment d’avoir vécu une rencontre qui m’a bouleversé et métamorphosé. En sortant, je me suis demandé pourquoi on m’avait interdit d’entrer dans un endroit aussi beau, apaisant et réconfortant que celui-là. […]
Ce film nous éclaire sur les raisons de votre participation à la production du spectacle musical «Bernadette de Lourdes», créé en 2019…
Quand j’ai confié à Gilbert Coullier et Roberto Ciurleo que j’écrivais sur ma passion pour la Vierge Marie et que j’aimerais prendre part à leur projet, ils ont d’abord été surpris. Mais rapidement, ils ont compris que j’étais en quête et que j’aimais me rendre régulièrement à la basilique et au sanctuaire. Lourdes est un lieu de pèlerinage qui peut provoquer un ricanement, mais il reflète avant tout une détresse et une jeunesse qui donne du temps…
Avez-vous souvent l’occasion d’effectuer des retraites ?
Je me suis rendu à l’abbaye de Sénanque et j’y retournerais bien volontiers, mais depuis que j’ai lu Trois jours et trois nuits (Fayard), recensant les expériences de grands auteurs, je rêve aussi d’aller faire un tour à l’abbaye de Lagrasse, près de Narbonne, où des chanoines réguliers vivent selon la règle de saint Augustin.
Vous dites regretter la pudeur souvent trop grande des catholiques…
Je suis étonné, en effet, qu’en France, une grande majorité de catholiques ne vivent pas leur foi au grand jour. Il y a une forme de pudeur et de retenue que les juifs et les musulmans n’ont pas. Je ne sais pas comment l’analyser mais, dès lors qu’ils sont dans l’amour et dans la joie, ils devraient être fiers d’être chrétiens !
En allant, cet été, à Paray-le-Monial, j’ai assisté à quelque chose que tout le monde devrait voir : des milliers de gens se réunissent quelques jours pour faire le bien, être dans l’amour, l’entraide, la réflexion. Alors, pour reprendre les mots de Jean-Paul II, je dirais : «N’ayez pas peur !». Moi, j’ai découvert la joie profonde grâce à la religion catholique et, n’en déplaise aux extrémistes, j’ai été très éclairé par son enseignement car il est jumelé à mon judaïsme. C’est pourquoi j’ai décidé de clore mon film par cette phrase de Jean-Marie Lustiger : «C’est ainsi que, dans le cours de mon existence, j’ai estimé que je devenais juif parce qu’en embrassant le christianisme, je découvrais enfin les valeurs du judaïsme, bien loin de les renier.» […]
Depuis quelque temps, vous suivez des cours de théologie au Collège des Bernardins. En quoi l’étude «à la table» est-elle indispensable à votre quête??
Tout a une histoire, une origine, un chemin, et j’aime les retracer. Je ne suis pas un grand lecteur et n’ai pas une culture littéraire extraordinaire, mais ayant une aversion pour l’approximation et la médiocrité intellectuelle, je préfère me documenter et m’entourer de gens informés. En ce moment, je lis Maïmonide, un pilier de sagesse dans la tradition juive, Charles de Foucauld, dont j’ai célébré la canonisation à Rome en mai dernier, et j’écoute les lectures, par Daniel Mesguich, des Confessions de saint Augustin . Ce philosophe et théologien chrétien romain d’origine berbère me séduit autant par sa poésie que par sa complainte car, d’une manière générale, j’aime les hommes qui défient Dieu ou se mettent en colère. Il y en a aussi dans la tradition juive, et cela me touche car l’idée de Dieu nous frustre, voire nous déçoit, parfois. Mais il y a surtout un recueil que nous partageons, qui n’a pas été adapté et qui ne me quitte jamais, ce sont les Psaumes. Je rêve d’organiser une lecture qui réunirait les copains juifs, chrétiens et même musulmans autour de ces textes, car ils sont somptueux.
Bref, au-delà du chemin personnel que je raconte dans le film, ces études nourrissent une grande curiosité que j’ai depuis toujours par rapport à la religion et aux religions. En fait, je suis le contraire d’un agnostique : l’hypothèse de Dieu me passionne et me donne de la joie. Bien sûr, quand je dis ça à un juif, il me dit : «Ils t’ont bien eu les cathos, avec leur joie !».
Si le film aborde clairement la conversion de votre «personnage», votre pudeur vous empêche de dire jusqu’où votre quête personnelle vous a mené. Pourtant, la conversion est un sujet qui vous bouleverse…
Quel qu’en soit le sens, cela prend la forme d’un virage si radical dans la vie d’un homme ou d’une femme que cela m’émeut en effet terriblement. Voilà pourquoi j’aime lire les récits de conversion écrits lors de la Seconde Guerre mondiale par des intellectuels juifs comme Bergson, Edith Stein, Jacques Maritain, Maurice Sachs ou la philosophe Simone Weil. Tous ces grands convertis n’ont pas demandé le baptême mais ont fait des conversions de cœur. […]
«Je veux me faire baptiser pour être plus proche de Marie», dites-vous dans le film. Que représente la Vierge pour vous??
Le plus beau coup de foudre de ma vie ! C’est le symbole qui me touche, mais surtout ce qu’elle m’apporte. Si le film s’appelle Reste un peu, c’est parce que c’est une phrase que ma mère dit beaucoup et m’a répété toute ma jeunesse, mais, d’une certaine manière, c’est aussi moi qui le dis à Marie… […]
Êtes-vous par ailleurs un fervent défenseur de la laïcité ?
Je suis pour la démocratie et heureux que la justice, l’éducation ou la santé ne dépendent pas de la religion, mais cela me rend fou de faire comme si les différentes religions et toutes les communautés intrinsèques n’existaient pas. Aujourd’hui, on a tellement peur de la complexité qu’on évite tout sujet s’approchant de près ou de loin à la religion. Pendant les confinements, j’aurais aimé être éclairé par les hommes de foi. Sans parler des rites, de l’organisation des célébrations, j’aurais voulu connaître leur perception de l’humanité aujourd’hui et leur sentiment sur le risque, la détresse que nous traversions. Ça aurait été bien de partager une réflexion en dehors de celles qu’ont menées la classe politique, le personnel soignant ou les acteurs de l’économie. Les corps et les portefeuilles, ils ont géré, mais les âmes, fallait-il aussi les masquer?? […]
Cro-Magnon
J’ai profondément l’impression que Gad devrait rejoindre assez rapidement la liturgie traditionnelle. C’est tout le bien que je lui souhaite.
ModTrebuig
Moi aussi, mais pour l’instant il me parait plutôt dans l’œcuménisme au-delà des chrétiens.
philippe paternot
“une grande majorité de catholiques ne vivent pas leur foi au grand jour. Il y a une forme de pudeur et de retenue” quand il ne sont pas hostiles ou pleutres