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Ce matin, alors que j’élevais le calice, un bruit a déchiré le silence de la messe. Un hélicoptère. Un simple vrombissement au loin, ici, en France, où je me trouve. Mais ce son anodin a réveillé en moi une douleur que je croyais enfouie. Soudain, les images ont surgi, brutales, implacables : des corps inertes jonchant les rues, des maisons éventrées, des cris étouffés par le vacarme des armes. Goma brûle. Goma souffre.
Et moi, prêtre, fils de cette terre meurtrie, je me tiens là, debout, en habits liturgiques, incapable de contenir le feu qui me consume. Dois-je bénir ? Ou crier ? Puis-je prêcher la paix alors que le sang de mon peuple crie vengeance ?
J’ai trente ans et je n’ai jamais eu un désir aussi grand que la paix.
Lorsque j’étais enfant, le Sud-Kivu a vécu sous l’occupation et la guerre. J’ai passé plusieurs jours avec la peur en guise de compagne, le sol dur pour matelas, les rafales de mitrailleuses comme berceuse. Nous savions que l’obscurité était plus sûre que la lumière, que les voix de nos parents murmuraient des prières que nous ne comprenions pas encore, mais dont nous devinions l’urgence. Chaque matin était une grâce, chaque soir une épreuve.
Aujourd’hui, à Goma, une autre génération vit ce que j’ai vécu. Des enfants qui apprennent trop tôt à se taire, à se cacher, à survivre plutôt qu’à grandir. Des mères qui prient dans l’ombre, retenant leur souffle au moindre bruit de pas. Des pères dont la seule certitude est l’incertitude du lendemain.
Et quand, demain, ils demanderont : « Pourquoi nous laisse-t-on mourir ? », que leur répondrai-je ?
Je suis prêtre. Je devrais parler d’amour, de réconciliation, de miséricorde.
Mais comment parler de pardon quand le sang des innocents crie vengeance ? Comment prêcher la paix à un peuple martyrisé ? Comment parler de réconcilier une nation quand elle est déchirée jusqu’à l’âme ?
Suis-je un mauvais chrétien ? Suis-je un mauvais prêtre ?
Je lutte en moi-même, entre la parole du Christ : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34) et le hurlement silencieux des victimes.
J’enseigne que la haine est un poison. Mais que faire lorsqu’elle s’infiltre malgré nous, qu’elle s’installe dans les failles de nos blessures encore ouvertes ?
Je refuse pourtant d’y céder.
Car céder, ce serait trahir le Christ.
Céder, ce serait laisser la guerre triompher deux fois : sur nos terres et dans nos cœurs.
Céder, ce serait briser la seule espérance qui reste à ceux qui souffrent.
Alors, je choisis de lutter.
Goma brûle, et le monde détourne les yeux. Parce que, finalement, ce n’est qu’un énième conflit africain, un drame lointain perdu dans le bruit du monde.
Et pourtant, ce qui se joue là-bas nous concerne tous.
Le sang coule à Goma pour que nos téléphones s’allument, pour que nos voitures électriques avancent, pour que nos technologies futuristes voient le jour. Les minerais du Congo – coltan, cobalt, lithium – nourrissent l’économie mondiale. Pendant que les géants industriels engrangent des milliards, le peuple congolais, lui, est sacrifié sur l’autel du progrès.
À vous, mes frères et sœurs du Kivu
Je sais votre douleur.
Je connais vos peurs.
Je ressens votre révolte.
Je n’ai pas de mots pour apaiser votre souffrance, mais je veux vous dire ceci : vous n’êtes pas oubliés.
Même si le monde détourne les yeux, même si les grandes puissances vous ignorent, même si les nouvelles s’effacent rapidement dans le flot de l’actualité, vous n’êtes pas seuls.
Votre douleur est notre douleur. Votre combat est notre combat. Votre espérance est notre espérance.
Ne laissez pas la haine vous consumer. Ils peuvent voler vos terres, détruire vos maisons, mais ne leur laissez pas votre âme.
Et moi, en tant que prêtre, je prie avec vous. Je prie pour que la justice triomphe. Je prie pour que la paix l’emporte.
Et je refuse de me taire.
Et toi, France, ma terre de mission
Toi qui me donne la liberté de prier sans craindre la guerre, toi qui fais résonner les cloches de tes églises en paix, ne choisis pas d’être un témoin passif d’un énième génocide oublié.
Sois celle qui refuse de détourner le regard.
Sensibilise.
Interroge-toi sur les matériaux qui composent tes objets du quotidien.
Exige des entreprises qu’elles garantissent une exploitation éthique.
Réclame des gouvernements qu’ils cessent d’être complices par leur silence.
Nous avons le choix : être les complices d’un génocide silencieux ou être ceux qui refusent de détourner le regard.
Alors oui, prions.
Mais pas d’une prière tiède ou résignée.
Prions d’une prière qui bouscule, qui dérange, qui oblige à se lever.
Prions pour les victimes.
Prions pour que ceux qui font couler ce sang retrouvent leur humanité.
Prions pour que nos consciences ne s’endorment plus.
Mais prions aussi avec nos actes.
Il est encore temps.
Avant que Goma ne soit plus qu’un tombeau à ciel ouvert.
Avant qu’un autre enfant ne grandisse avec la guerre pour berceau et la haine pour héritage.
Avant que nous ne nous réveillions trop tard.
Abbé Cédrick TEMBEZE
Astragal
Nous ne pouvons rien faire immédiatement. Nous ne pouvons rien y faire là, maintenant.
Rien d’autre que prier.
EtiennedeVignolles
Très beau texte, plein d’humanité et de souffle de l’esprit saint !
Merci mon père…
La France que vous appelez de vos vœux est malheureusement, pour le moment, perdue. Elle mène une bataille idéologique en Ukraine qui est perdue dès le premier jour. Elle mène en Europe une bataille dogmatique contre les lois naturelles, le bien commun et le bon sens. Elle est remplie de wokisme et de socialisme. Elle a perdu ses élites intellectuelles, son aristocratie qui a fait sa grandeurs au cours des siècles, elle n’est plus que l’ombre d’elle même. La guerre civile couve ici, nous nous rapprochons de la situation de GOMA.
Priez pour nous !
guido67
Si vrai ! Nos cœurs crient mais qui les entend ?
Le mal, tel un cancer, ronge et prolifère. Notre immunité semble impuissante et détruite.
Le seul cri qui déchire est : “Mon Dieu. pourquoi? Nos prières te laisseraient-elles insensible ? ”
Pourtant, nous croyons en Toi. Notre foi et notre espérance vaincront !
” Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux”
est-il écrit dans les Béatitudes.