Les honneurs militaires ont été rendus, vendredi après-midi, à la caserne du 1er RCP de Pamiers au caporal-chef Cyrille Hugodot, mort en opération dans la vallée de Tagab, en Afghanistan.
Voici l'homélie prononcée à l'occasion des obsèques :
"C’est la première fois que j’accompagne, à l’église, en France un para mort au combat en Afghanistan. J’ai déjà célébré des obsèques là-bas, pendant les différentes missions passées dans ce pays, mais c’était différent, c’était la guerre, la tension, le stress, les combats, les missions à venir, le boulot qui continue. Je réalise ce matin combien Abondant est loin de Kaboul, loin de la Kapisa où Cyrille est mort.
Ainsi l’écho de cette guerre résonne donc jusqu’ici, dans votre village, à travers un de ses enfants, mort à 24 ans, tué par des talibans. Face à cela, nos réactions sont diverses, un peu désordonnées, un mélange de colère, de chagrin, de dégoût, de rancœur, de vengeance, de ras-le-bol, des réactions qui se bousculent tellement qu’on aurait envie de faire un break, de dire à notre cerveau « c’est bon lâche-moi un peu, arrête de tourner tout ça en boucle, on fait une pause». Alors faisons cette pause. Maintenant, ici. Essayons de voir sous le regard de Dieu le sens de tout cela.
Je veux d’abord m’adresser à vous Vinicia. Vous êtes celle qu’il avait choisie. Dans une vie, on ne peut pas choisir ses parents ou ses enfants, on les reçoit, par contre on choisit la personne avec laquelle on veut construire quelque chose, avoir des enfants. C’est vous. Vous connaissez bien Cyrille, et vous savez donc que Dieu, tout ça, les histoires de curé etc. ce n’était pas trop son truc. Voire pas du tout. J’ai même entendu « il ne croyait pas en Dieu ». Soit. Mais visiblement, cet état ne lui convenait pas vraiment. Il ne semblait pas satisfait de ne pas croire en Dieu. Il manquait quelque chose. La preuve ce sont les questions qu’il me posait parfois sur tout ça. Il n’y allait pas franchement avec des pincettes, mais entre paras, on est habitués, et la précision de certaines questions montrait qu’il attendait autre chose, espérant peut-être que le ciel ne soit pas vide. Laura m’a même dit qu’avec toutes ces discussions, il avait « rekifé » Dieu.
Or Dieu nous dit justement que ce lien qu’il y a entre vous, depuis que vous vous connaissez, en passant par la naissance de votre fille, jusqu’à son dernier coup de téléphone depuis là-bas, tout cela n’est pas terminé. Il y a une suite. Le drame serait de s’arrêter en chemin. Si on pense que la mort est une fin définitive, sans rien après, sans issue, sans communion possible, alors nous sommes condamnés à vivre uniquement de souvenirs, douloureux, éprouvants, qui vont passer avec le temps, comme les couleurs d’une vieille photo abimée. On y replonge sans cesse, pour en revenir chaque fois un peu plus seul, plus découragé, plus vieux. Le cœur usé. Surtout, surtout, ne vous arrêtez pas en chemin. Vous risqueriez d’en mourir de chagrin, enfermé dans la tristesse et la colère pour toujours.
Ce sera lourd et difficile, comme une croix qu’on porte, mais vous ne la porterez pas seule. Vos amis qui vous entourent, et surtout Jésus, le Bon Dieu vous aidera. Vous me disiez à Nogent sur marne « mais où est donc Dieu, où l’a-t-il aidé, Cyrille part en laissant une petite fille de 4 ans et si c’est ça la volonté de Dieu… » Non, ce n’est pas cela la volonté de Dieu. Dieu n’est pas une sorte de super magicien qui va écarter les balles et les obus, Dieu est là pour me montrer le chemin à suivre, et sur ce chemin me guider, m’éclairer, me montrer qui je dois être, et aussi me consoler quand ça ne va pas. M’aider justement à porter cette croix si lourde. Quand Jésus porta sa croix, il tomba plusieurs fois. Il a eu besoin qu’un homme vienne l’aider à la porter. Ce qu’Il veut nous dire c’est que ne nous ne devons pas espérer porter notre croix tout seul. Nous allons tomber. Nous devons lui demander de l’aide. Humblement, dans la confiance.
La volonté de Dieu est que les hommes et les femmes de ce monde puissent vivre heureux, en paix, en usant de leur liberté pour faire de chaque vie quelque chose de grand. Pour que chaque instant de chaque vie soit beau en communion avec Dieu. On fait ce qu’on peut, le résultat n’est pas toujours… mais on a la volonté de faire le mieux possible pour que les autres en soient heureux. Un peu comme un enfant qui offre pour la fête des mères un cadeau qu’il considère comme un trésor, alors qu’en fait… ça ne finira pas forcément dans un musée… Mais il a mis tout ce qu’il pouvait mettre, c’est le plus beau qu’il puisse faire. Voilà où nous en sommes, agissant ainsi sous le regard bienveillant et aimant de Dieu. Malheureusement, certains ne souhaitent pas cela. Et ce qu’ils font est parfois tellement horrible, que nous ne pouvons pas rester sans rien faire.
C’est pour ça que Cyrille était là-bas. Pour réagir. Oui il laisse une petite fille de 4 ans, mais il est parti pour permettre, qui sait, qu’un jour peut-être, les petites filles de ce pays puisse vivre normalement. Dans ce pays vous avez des petites filles de 8 ou 9 ans qui sont mariées à des hommes de 50 ans, des jeunes filles qui s’immolent par le feu pour s’échapper du cauchemar, des femmes couvertes de burka puantes qui se prennent des baffes publiquement sans que ça choque, enfin je ne vais pas vous raconter tout ce qu’on peut voir là-bas, et en plus certains dans notre pays ne trouvent pas ça choquant, alors… On peut se dire que ça ne sert à rien, que les choses ne changent pas, que ce pays ne sait pas où il veut aller, que les habitants ne veulent pas de la paix que nous leur proposons… Cela n’entache pas la volonté de nos soldats de bâtir, comme on dit, « un monde meilleur ». Oh je ne suis pas naïf, je ne suis pas dupe des intérêts financiers, géopolitiques, géostratégiques, mais ce n’est pas cela que Kathya aura besoin d’entendre quand elle sera en âge de comprendre le pourquoi. Elle devra comprendre que son papa est parti pour un pays lointain où il n’y a ni prince ni princesse, mais des gens malheureux, parfois tellement méchants que leur but est de nous tuer. Alors on va vers eux, et on essaye de faire changer cela.
Parfois il faut faire la guerre, la guerre, la guerre c’est moche, et voir Cyrille ici, c’est moche. Et nous sommes tristes. Comme Jésus, dans le texte d’évangile que nous venons d’entendre, triste à mourir. « Mon âme est triste à mourir ». Jésus n’est pas triste parce qu’il va être arrêté et mis à mort, cela il l’a déjà évoqué plusieurs fois sans que cela ne le mette dans cet état, non Jésus est triste car, au terme de son passage sur terre, où il a tant consolé, aider ressuscité, nourri les foules, guéri des malades etc. il va finir rejeté et cloué à une croix. Il voit en un instant la main tendu de Dieu et le refus des hommes à travers les âges. Et du coup, tant de drames. Il voit Cyrille. C’est cela aussi la tristesse de Dieu. Demandez-lui la consolation, et demandez à Cyrille de vous aider.
Je veux aussi m’adresser à vous, ses parents, sa famille, pour qui il est un fils, un petit-fils, un frère. Vous entendez depuis plusieurs jours qu’on fait de Cyrille un héros. Mort en héros, dernier héros, héros de France etc. Oui. On peut se dire que c’est un titre qui est cher payé, qu’on est bien avancé une fois qu’on l’a dit, mais pourtant c’est bien ce qu’il est. Il n’est pas un héros parce qu’il a été tué par des barbares, mais parce que dans le monde si désolant dans lequel nous vivons, lui a choisi d’être droit, de vivre debout, sans lâcheté, sans compromission, sans médiocrité, et de vivre cela au 1er RCP, régiment qui, comme le disait la presse la semaine dernière, est le plus exigeant de l’armée de terre. Un régiment avec une qualité d’âme particulière. Faite de ce que chacun apporte de meilleur. Il voulait vivre cet idéal, il le vivait, et sans cette balle qui l’a fait tomber, il n’aurait pas renoncé. Hé bien tenir dans la mission jusqu’au bout, c’est cela être un héros.
Notre monde semble l’oublier, lui qui est passé si vite sur la mort de Cyrille. Cyrille s’était ému et indigné de voir combien on passait vite, dans les médias, sur la mort de Florian, son camarade du RCP mort une semaine avant lui. Nous faisons le même constat. Au lieu de faire mémoire, de parler de grandeur, de panache, de sacrifice, on retombe dans les mœurs de tel homme politique pour savoir si la femme de ménage était finalement d’accord pour coucher. Peut-être sommes-nous comme des rescapés d’un naufrage moral.
Pendant la guerre d’Indochine, dans les camps du vietminh, il y a aussi eu des padres faits prisonniers, et l’un d’eux le Père Jeandel expliquait, à son retour, ce qui l’avait fait le plus souffrir. Il dit que, dans ces camps, le plus douloureux n’est pas de voir ses camarades mourir, non, mourir cela arrive pour chacun, tôt ou tard. Il dit que le plus difficile est de voir les âmes changer. Il explique qu’à force de subir tout ce qui est lavage de cerveau, endoctrinement, auto critique, bourrage de crane etc. tout cela mêlé à la fatigue la maladie et la malnutrition les personnes finissent par changer au fond d’elles-mêmes. Le changement fait qu’ils ne se reconnaissaient plus les uns les autres dans celui qu’ils sont en train de devenir. Pour reprendre l’expression, les âmes changeaient. Ils devenaient quelqu’un d’autre. Une autre personnalité, d’autres repères, d’autres valeurs. Le père Jeandel explique que les esprits étaient usés, meulés, rabotés, pour finalement recevoir une âme en série. Il parlait même de robot.
Malheureusement, c’est parfois ce qui arrive aujourd’hui. L’argent, le pouvoir, la notoriété, le succès sont les nouveaux repères qui bouleversent parfois les mentalités, au point qu’on oublie en quelques heures un jeune français, mort en mission pour son pays. Mais pas nous. Non. Les valeurs d’autrefois sont toujours les valeurs actuelles. Autrefois c’étaient les guerriers Francs de Clovis combattant les Alamans, les chevaliers se battant pour Jérusalem, des chouans en Vendée combattant les colonnes infernales, des marins à la bataille de Lépante combattant les turcs, des résistants dans le Vercors combattant les nazis, et aujourd’hui Cyrille en Afghanistan combattant les talibans. L’histoire est faite de ces héros, Cyrille en fait partie.
C’est pour beaucoup un mort anonyme, pas pour nous. Il n’y aura peut-être pas de commémorations de batailles, de commémorations de faits d’armes etc. pour nous rappeler son souvenir, tant pis. Ou peut-être tant mieux, après tout le silence des douleurs secrètes est parfois comme un baume sur une blessure. Le silence consolant et attentif en présence de Dieu. Et dans ce silence, la communion des saints. Ce lien que Dieu permet entre ceux qui sont auprès de Lui et nous ici bas. Ce lien de la prière qui nous fait communier avec nos défunts. Certes, les larmes ne cesseront pas de couler pour autant. Mais une sainte religieuse du 19° siècle nous a laissé une belle phrase. À la fin d’une vie remplie de persécutions de souffrance et de drames, elle est brisée, écrasée de malheur. Elle fait alors le point sur cette vie où elle est restée fidèle à ce que Dieu attendait d’elle, et elle dit : « Les larmes coulent à torrent, mais en paix » (Rose-Virginie Pelletier née à Noirmoutier 1796). C’est bien cette paix du cœur qu’il faut demander à Dieu.
Je veux avant de terminer revenir au Père Jeandel, ce padre prisonnier dans les camps viets, qui raconte les derniers instants de chaque soir près du feu, dernières paroles volées, cachés des sentinelles juste avant de rejoindre la solitude de la nuit sur une paillasse pourrie. Il écrit : « Jamais autant qu’alors, nous ne nous rendons compte à quel point la parole est une amitié ; nous échangeons des phrases simples comme des cadeaux : elles ont toutes, en elles, un souvenir ou un espoir. Comme la banalité des mots peut avoir, parfois, la présence de l’âme… » C’est maintenant ce qui nous reste. La parole, le souvenir, l’amitié. Nous avons tous cette tristesse légitime, vous, moi. Et nous avons besoin de ces mots à partager, à échanger. Dans un instant, des éloges vont être lu, et comme le disait le P. Jeandel, ces mots peuvent avoir, parfois, la présence de l’âme.
Dans mes toutes dernières paroles je veux m’adresser à vous madame, sa maman. Je pensais très fort à vous jeudi matin, quand vous avez pu revoir Cyrille une dernière fois. Je demandais alors à la Sainte Vierge de vous aider, et de vous aider toujours. Elle a connu cela quand elle a vu son fils sur le chemin du calvaire, (IV station du chemin de croix). Elle l’avait laissé la veille en bonne santé, et elle le revoit battu, couvert de crachats, couronné d’épines, tuméfié, méconnaissable. Et quelques heures après, le cœur transpercé de douleur, elle le reçoit, mort. Alors si quelqu’un peut vous aider, c’est bien Notre Dame. Il y a 4 ans, la veuve de l’adjudant chef Correia dont le mari, du 1er RCP, fut aussi tué par les talibans, était reçue par le Pape Benoit XVI. En évoquant devant le Saint Père son malheur, et sa détresse de se retrouver seule avec sa petite fille, le Pape l’assura de sa prière, je me souviens de ses mots prononcé avec une grande compassion, il lui a dit : « ho… maintenant je serai avec vous, vraiment je serai avec vous. » Et il lui donna un chapelet, comme pour lui rappeler le secours à trouver auprès de Notre Dame.
Je ne suis pas le Pape, mais je veux vous dire moi aussi madame, à vous Vinicia, à vous ses parents, ses amis, ses frères d’arme, je serai avec vous, vraiment je serai avec vous. Tous les jours, tous les jours dans la prière je pense à ceux que j’ai accompagnés dans la mort depuis que je suis Padre. Cyrille s’ajoute aujourd’hui à cette trop longue liste. Puisse Notre Seigneur les accueillir tous auprès de lui.
Amen.