Dans l’Institut des Libertés, Bruno Larebière revient sur la polémique causée par Julie Graziani et accuse l’Etat :
[…] En quatre jours, Julie Graziani n’aura trouvé que le moyen de préserver ses petits quarts d’heure de gloire médiatique, pas de réfléchir sérieusement aux thèmes qu’elle avait soulevés. C’est dommage car, pour elle qui dit admirer Margaret Thatcher et Ronald Reagan, il y avait matière à explorer des pistes de réflexion. Y compris dans la très sotte remarque : « Est-ce qu’elle a bien travaillé à l’école ? », qui laisse penser que quiconque a raté son CP, son CM1, son CM2, voire l’ensemble de scolarité, a raté sa vie et ne peut s’en prendre qu’à lui-même : 1. d’être payé au Smic – voire s’estimer heureux d’avoir trouvé du travail dans un tel état d’ignorance ; 2. de n’avoir pas acquis les connaissances indispensables pour accéder à des postes plus lucratifs.
Si Julie Graziani, qui est libérale, avait voulu discréditer le libéralisme, elle ne s’y serait pas prise autrement. « Ce n’est pas à l’Etat d’arranger tes problèmes », a-t-elle dit, alors qu’un sain raisonnement libéral aurait dû la conduire à proclamer d’abord : « Ce n’est pas à l’Etat de causer tes problèmes. » Ce n’est pas à l’Etat d’être à l’origine des problèmes que vous allez, peut-être, payer toute votre vie !
Car enfin, c’est bien l’Etat qui a décidé que l’instruction des enfants était de son ressort quasi exclusif, le privé sous contrat étant contraint d’appliquer ses directives et le hors contrat étant de moins en moins toléré et réservé, pour le coup, à ceux qui ont les moyens de payer les frais de scolarité. C’est bien l’Etat qui n’a cessé de contraindre à une scolarisation plus précoce, au prétexte de la « socialisation ». C’est bien l’Etat qui est passé de l’instruction des enfants à leur éducation. C’est l’Etat, et uniquement lui, qui a méthodiquement démoli les apprentissages de la lecture, du calcul, de l’écriture, de l’histoire et de toutes les autres matières. C’est l’Etat qui y a laissé le sens de l’effort et le respect de l’autorité être remplacés par la libre expression de la créativité des chérubins.
C’est l’Etat qui a voulu que tout le monde ou presque accède au baccalauréat – et ne parlons pas du brevet des collèges –, ne cessant, depuis un demi-siècle et jusqu’à Jean-Michel Blanquer, qui paraît-il commence à le relever (on demande à voir), d’abaisser le niveau général. C’est l’Etat qui a banni le redoublement. C’est l’Etat qui a déconsidéré les filières qui manquent aujourd’hui de main-d’œuvre et allongé jusqu’à seize ans l’âge de la scolarité obligatoire. C’est l’Etat qui a fait que même en « travaillant bien à l’école », on n’y apprend plus le dixième de ce qu’y apprenaient nos parents – et le centième (le millième ?) de ce qui découvraient, quelle que soit leur origine sociale, nos grands-parents.
C’est l’Etat, aussi, qui a permis que des dizaines de milliards d’euros soient dilapidés, chaque année, dans une formation professionnelle totalement opaque.
On demande à son bourreau d’être son bienfaiteur
Julie Graziani a dit tout ignorer du « parcours de vie » de cette femme. Nous aussi. On sait tout de même une chose : elle est maman. On en sait une autre : Julie Graziani est militante pro-famille. Pousse-t-elle son libéralisme jusqu’à ne pas vouloir que l’Etat se mêle de politique familiale ou n’était-ce pas plutôt l’occasion de relever que c’est l’Etat, encore lui, qui n’a cessé de rogner sur la politique familiale et se refuse à encourager la natalité française, de sorte qu’il nous faudrait maintenant faire appel à l’immigration pour ne pas mourir de vieillesse ?
N’était-ce pas aussi l’occasion de briser un autre tabou : celui du travail quasi obligatoire pour les femmes, fussent-elles mariées, au détriment de leur rôle de mère ? Soit qu’elles y sont contraintes pour des raisons financières, car un seul salaire ne suffit pas, soit qu’elles s’y sentent contraintes par la pression sociale ?
Il est évidemment stupide, et même au-delà de l’inconscience des réalités, de dire qu’on ne divorce pas quand on est au Smic. Puisque Julie Graziani a ensuite un peu parlé d’elle, de sa vie à cinq dans un 35 m2 et rendu hommage à sa maman à qui « il ne serait pas venu à l’esprit de venir engueuler le président de la République » alors « qu’elle a dû emprunter plus d’une fois pour les courses alimentaires », je dirai un mot de la mienne.
Elle aussi avait fait un « mauvais choix de mec ». Alors elle a divorcé. Sans même le Smic, l’inconsciente ! Quelques décennies plus tôt, son « mec » lui avait interdit de travailler. Heureusement, elle avait fait « de bonnes études ». A cinquante ans passés, elle a trouvé du travail. Et elle non plus, même si ce n’était pas facile tous les jours (litote), il ne lui serait pas venu à l’esprit d’engueuler le président de la République. Ni même, tout simplement, de lui reprocher quoi que ce soit relativement à son cas personnel.
Sur ce plan-là, Julie Graziani a parfaitement raison. Il faut arrêter de se tourner vers ce qu’Emmanuelle Gave appelle, à juste titre, « l’Etat nounou ». Sauf pour réclamer, comme l’ont fait les Gilets jaunes des ronds-points (mais pas du tout ceux qui se sont greffés sur cette révolte et l’ont dénaturée), qu’il arrête, comme disait Georges Pompidou, d’« emmerder les Français ». De les contraindre, de les soumettre, de les pressurer toujours plus. En France, on incrimine en permanence l’Etat, mais on se tourne toujours vers lui pour obtenir encore plus. Sans se rendre compte qu’on demande à son bourreau d’être son bienfaiteur. […]