Après que le pape François a souhaité que « chaque paroisse » d’Europe « accueille une famille » de migrants, Minute a interrogé l’abbé Guillaume de Tanouärn, qui dirige le Centre Saint-Paul à Paris. Extraits :
"[…] Le pape François ne prétend pas donner une leçon de politique au monde. Il ne se réfère à aucune idéologie. Son souci ? Exercer l’amour du prochain. Je le cite : « Face à la tragédie des dizaines de milliers de demandeurs d’asile qui fuient la mort, victimes de la guerre et de la faim et qui sont en chemin vers une espérance de vie, l’Évangile nous appelle et nous demande d’être “les prochains” des plus petits et des plus abandonnés, à leur donner une espérance concrète. » Qui peut dire que ce n’est pas le devoir du pape de tenir un tel langage ? La charité chrétienne ne s’exerce pas sur les gens d’une même ethnie ou d’une même religion. Souvenez vous de la parabole du bon Samaritain : les Samaritains et les Juifs sont en guerre permanente, mais le Samaritain s’occupe du juif laissé pour mort dans le fossé. Si nous voulons une Europe fidèle à ses racines chrétiennes, il ne faut pas que cela soit seulement en théorie et que l’on défende une tribu (la tribu des chrétiens) parmi d’autres tribus européennes. Il faut que l’Europe continue à vivre du christianisme et pour cela il faut que les chrétiens restent actifs et forts de leur foi, de leur espérance et de leur charité universelle. Vous remarquerez que le pape demande aux chrétiens d’agir en tant que chrétiens face à ces migrants. Il ne s’adresse pas aux États mais à ses fidèles et à ses prêtres, aux communautés chrétiennes et aux paroisses. […]
Mais existe-t-il une pensée chrétienne de l’identité politique ou bien les chrétiens sont-ils tous cosmopolites, parce que leur Eglise est universelle ?
L’exégète allemand Heinrich Schlier (l’un des maîtres de Benoît XVI) a bien montré que le cosmopolitisme dans la Bible est toujours satanique. N’oublions pas que le cosmopolitisme est figuré dans l’Ancien Testament par l’épisode de la Tour de Babel, qui est une production de l’orgueil humain (une production qui s’autodétruit) ; et à la fin du Livre, dans l’Apocalypse, l’Empire mondial est figuré par la grande Prostituée, qui est Babylone. Pourquoi le cosmopolitisme est-il anti-chrétien ? Parce que l’autorité humaine, s’exerçant par hypothèse sur toute la terre, tend à devenir un absolu qui s’oppose à l’autorité divine. Si l’on garde en mémoire la Tradition biblique, il n’est pas possible d’être cosmopolite et chrétien. Ou, si vous voulez, en termes modernes, il n’est pas possible d’être mondialiste et chrétien.
Je vous vois venir : vous défendez les nations chrétiennes…
Le Christ lui-même a dit : « Allez, enseignez toutes les nations… » La nation, c’est, dans l’ordre temporel, l’unité sociale qui assure l’indépendance des citoyens. Et c’est à partir de cette indépendance qu’on en vient à la politique. Cette indépendance politique est un Bien que l’on peut mettre en balance par rapport à d’autres biens (l’accueil des migrants par exemple). Le pape Pie XI enseignait qu’il existe deux sociétés indépendantes, l’Église et l’État. Que l’État soit indépendant, cela signifie qu’il prend ses décisions uniquement en fonction du service qu’il rend à la société. C’est dans la notion de service que l’on trouve l’essentiel de l’héritage politique chrétien. L’État n’est pas au service de tous les hommes ; il n’est pas au service de l’Homme avec une majuscule. Il est au service des citoyens qui le composent et il prend ses décisions pour ce que l’on appelle le bien commun, le bien de la société qu’il doit gérer. C’est un peu comme un professionnel : vous ne demandez pas à votre plombier s’il trompe sa femme mais s’il est efficace ou si, lorsqu’il est passé, il faut s’attendre à ce que de nouvelles fuites d’eau se déclenchent. L’État a un travail à fournir. On ne demande pas à un État s’il a le sens de l’accueil de l’autre mais s’il fait fonctionner les institutions sociales pour le bonheur du plus grand nombre des citoyens… […]"