Extrait de la communication du chanoine Stéphane Drillon, chancelier du diocèse de Nice, donnée le 25 janvier 2024, à Rome, à l’occasion du 13ème colloque du CIEL, sur l’aspect canonique de la concélébration.
[…] Je vais donc limiter cette étude au droit positif, principalement son élaboration à partir du second Concile du Vatican, son énoncé dans le C. 902 du C.I.C. de 1983, et sa portée.
• Pourquoi évoquer le C. 902 ? Parce qu’il concerne directement la loi positive actuelle régissant cette matière de la Concélébration.
Mais il serait incomplet, en droit canonique, de ne voir que ce canon du Code, et omettre les autres canons du C.I.C. qui, indirectement, sont concernés ou en relation avec le C. 902. Nous verrons que ces relations peuvent être vues comme problématiques.
I) LES SOURCES DU CANON 902.
a) Rappelons brièvement la législation antérieure, i.e. celle du Code précédent, le Code Pio-Bénédictin de 1917.
Le Canon 803 de l’époque ne permettait pas à plusieurs prêtres de concélébrer (sacramentellement) sauf dans deux cas précis :
- La Messe de l’Ordination des prêtres,
- et la Messe de Consécration des Evêques.
Pourquoi ce « Non licet » ?
Parce qu’à l’époque de sa promulgation, il était établi dans plusieurs textes du Magistère :
1. qu’il était une excellente chose que l’on multipliât le nombre de Messes pour la Gloire de Dieu, et le bien des fidèles, tenant à l’esprit le principe thomiste suivant :
« Multiplicata causa, multiplicatur effectus » i.e. « en multipliant la cause, on multiplie les effets » (cf. Sum. Theol. IIIa, Q 79, art 7, 3a)
Ce principe si simple, fera dire à St Thomas :
“in pluribus vero missis, multiplicatur sacrificii oblatio. Et ideo, multiplicatur effectus sacrificii et sacramenti ” i.e. « Dans plusieurs messes, l’oblation du sacrifice se trouve multipliée. Et par conséquent, l’effet du sacrifice et du sacrement se trouve multiplié » (cf. Sum. Theol. IIIa, Q 79, art 7, 3m)
La pensée de St Thomas est très claire et verra des applications très concrètes : l’usage des “Triduum de Messes”, des “Neuvaines de Messes”, des “Trentains grégoriens”, etc…
2. Mais remarquons qu’il était une excellente chose aussi que l’Église manifeste l’UNITÉ du Sacerdoce : unité entre le Christ et le Prêtre, unité entre le Christ et l’Évêque, unité entre les Évêques, unité entres l’Évêque et ses prêtres, unité entre les prêtres entre eux. Et chez les moines, idem !
D’où ces deux exceptions prévues par le Canon 803 du Code de 1917 : « la Messe d’Ordination des Prêtres et la Messe de Consécration des Évêques » – Bref, unité hiérarchique et théologique.
3. Remarquons ici, que ces deux exceptions autorisant la Concélébration se déroulaient toujours en présence de l’Évêque : pas de Concélébration sans l’Évêque.
4. Remarquons, aussi, qu’il était alors impossible de soutenir que le nombre des concélébrants multiplie, à lui seul, le nombre des messes lors d’une Concélébration. La causalité instrumentale ne peut être seulement du côté du ministre, mais aussi dans le geste sacramental liturgique… (cf. P. JOUNEL “La célébration et la concélébration de la messe” in “La Maison-Dieu” n° 83, 1965, page 175) (cf. aussi le Cardinal JOURNET, avec la qualité qui le caractérise, à savoir sa faculté de dire tout simplement des choses pourtant compliquées et profondes, et qui écrivait à ce sujet : “Imaginons plusieurs personnes s’unissant pour baptiser simultanément un petit enfant. Il y aura plusieurs baptisants, mais une seule action baptismale, plures baptizantes, una baptizatio. En concélébration, on aura pareillement plusieurs consacrants, plures ex quo consacrantes, mais une seule action consécratoire, una consecratio” (cf. Charles JOURNET, “le Sacrifice de la Messe “, in “Nova et Vetera ” (Fribourg) 46, 1971, 241-250.
Nous renvoyons, également, sur ce sujet au texte du Saint Office en date du 8 mars (23 mai) 1957, DS 3928 : l’obligation de prononcer les paroles de la consécration « ex institutione Christi ».
b) Rappelons maintenant l’évènement du Concile Vatican II, quant à la Concélébration.
1. La phase anté-préparatoire (17 mai 1959 – 14 sept. 1960)
– Une infime minorité de vota (des Évêques, religieux, curie romaine, universités) demandait que l’on traite de la Concélébration dans les travaux du Concile (une quarantaine de vota sur 2109, soit 1.9 %).
Un tiers de ces demandes envisageait d’étendre la Concélébration à des circonstances exceptionnelles, et pratiquement aucune ne demandait l’extension quotidienne et générale de la Concélébration.
2. La phase préparatoire (14 septembre 1960 – 11 octobre 1962)
- Rédaction d’un premier schéma par la commission de liturgie où l’on trouve : la liberté pour chaque prêtre de célébrer la Messe individuellement, le désir (non prouvé !) “général” que cette Concélébration soit étendue plus largement ;
- Ce premier schéma omettait de rappeler la condamnation du Pseudo Concile de PISTOIE, dans ses articles sur la Concélébration, par le Pape Pie VI en 1794, et aussi le grand nombre d’Églises orientales qui refusent la Concélébration.
Ce schéma se voulait promouvoir l’unité de l’Église manifestée dans l’unité du sacerdoce, mai en oubliant la nature sacrificielle de la Messe pour n’évoquer que « l’utilité des fidèles », c’est-à-dire une raison subjective.
Enfin, selon ce schéma, cette discipline de la Concélébration devait être régit par l’Ordinaire du lieu où l’Évêque, jugé apte à évaluer la commodité pratique de la Concélébration dans certains cas et certains lieux (cela concernait aussi les Messes conventuelles).
Bref, il ne s’agissait pas de traiter de la Concélébration dans son principe théologique et canonique, (fait acquis) mais uniquement dans son application, i.e. la fréquence des Concélébrations autorisées.
3. La Constitution sur la liturgie dans le Concile Vatican II.
Deux schémas furent proposés aux Pères, l’un après l’autre.
Plusieurs arguments furent évoqués dans les discussions.
A noter : la disparition de l’Évêque au centre de la Concélébration, la disparition, comme modérateur de l’usage de la Concélébration, de l’Ordinaire DU LIEU, pour ne pas parler que de l’Ordinaire tout court, ceci, évidemment intéressait en premier lieu les religieux « exempts » …
A noter aussi :
- une tendance à une plus grande ouverture ;
- l’apparition de deux catégories de cas :
- un premier cas où le Concile donnera une faculté générale de concélébrer,
- et un deuxième cas où cette faculté de concélébrer sera accordée par l’Ordinaire.
Bref, oui à la Concélébration mais dans des cas limités.
Une dernière mouture fut proposée au vote des Pères qui ne donna que 1417 “placet” et beaucoup de modi particulièrement sur le rôle de l’Évêque dans l’application disciplinaire de la Concélébration. Modi qui n’ont pas été discutés, faute de temps.
Finalement : voici le texte qui fut approuvé par les Pères, le 4 décembre 63, à savoir le n° 57 de la Constitution sur la Ste Liturgie :
« (la Concélébration)
§ 1. La concélébration, qui manifeste heureusement l’unité du sacerdoce, est restée en usage jusqu’à maintenant dans l’Église, en Occident comme en Orient. Aussi le Concile a-t-il décidé d’étendre la faculté de concélébrer aux cas suivants :
1.
a) le Jeudi-Saint, tant à la messe chrismale qu’à la messe du soir ;
b) aux messes célébrées dans les Conciles, les assemblées épiscopales et les synodes ;
c) à la messe de la bénédiction d’un abbé.
2. En outre, avec la permission de l’Ordinaire, à qui il appartient d’apprécier l’opportunité de la concélébration :
a) à la messe conventuelle et à la messe principale des églises, lorsque l’utilité des fidèles ne requiert pas que tous les prêtres présents célèbrent individuellement ;
b) aux messes des assemblées de prêtres de tout genre, aussi bien séculiers que religieux.
§ 2.
1. Il appartient à l’évêque de diriger et de régler la concélébration dans son diocèse.
2. Cependant, on réservera toujours à chaque prêtre la liberté de célébrer la messe individuellement, mais non pas au même moment dans la même église, ni le Jeudi Saint.
Par souci de brièveté, nous ne verrons pas, ici, les autres textes conciliaires qui évoquent aussi la Concélébration : le décret sur l’Œcuménisme, (pour les Églises orientales), le décret sur le ministère et la vie des prêtres, (Presbyterorum Ordinis) qui mentionnera explicitement la célèbre formule liturgique : « car chaque fois qu’est célébré ce rite, c’est l’œuvre même de notre Rédemption qui s’accomplit » : (cf. Missale Romanum, IIème Dimanche per Annum, offertoire).
Par contre, le décret sur les Églises orientales catholiques, reste totalement muet sur la Concélébration, comme celui sur la charge pastorale des Évêques, et aussi comme celui sur la Vie religieuse, lui aussi totalement muet sur la question !!!
* * *
Finalement, concluons cette partie sur la Concélébration dans le Concile Vatican II :
1. aucune contrainte, pour aucun prêtre, de concélébrer. La liberté de chaque prêtre de célébrer seul la Messe doit être sauvegardée.
2. l’usage de la concélébration et sa pratique doivent être limités et réglementés de deux façons :
a) en la prévoyant pour des cas précis (n°57§1, 1 de “Sacrosanctum Concilium”) ;
b) en la rendant possible pour d’autres cas, permis et réglementés par l’Ordinaire et l’Évêque du Lieu. (n° 57, §1, 2 et §2,1 de “Sacrosanctum Concilium”).
3. La pratique de la concélébration ne pourra jamais porter atteinte à la valeur des messes privées (S.C., n° 57 §2 et P.O. n° 13).
On peut dès à présent remarquer que le Code du Droit Canon promulgué en 1983 qui se veut être, une mise en acte de l’esprit du Concile :
- respecte, dans son Canon 902, la liberté pour chaque prêtre de célébrer individuellement (“POSSUNT” et pas “DEBUNT” quant à la Concélébration) ;
- respecte, dans son Canon 902, la possibilité de concélébration de l’Eucharistie ;
- respecte, dans son Canon 904, l’exhortation faite à chaque prêtre de célébrer quotidiennement la Messe, même en l’absence de fidèles, et donc, la valeur des messes dites “privées”. (cf. aussi le Canon 246 §1 sur la formation des séminaristes, le Canon 276 §2, 2° sur les obligations et les droits des clercs).
- Mais n’applique pas, par des dispositions législatives, la double limitation à la pratique de la concélébration ; on doit noter qu’aucun Canon n’existe pour cela.
- Et semble ne pas appliquer, puisque le Canon 902 prévoit une possibilité générale et illimitée de concélébrer (hormis l’utilité des fidèles), la théologie sur la concélébration enseignée par Vatican II et la pratique que ce même Concile a voulu instaurer, et qui était étendue mais toujours limitée.
C) Le Magistère après le Concile Vatican II jusqu’au Code de 1983.
Les deux tendances présentes lors des discussions conciliaires à propos de la Concélébration perdurèrent :
- un encouragement d’étendre la Concélébration d’une part ;
- d’autre part, trois textes magistériels reprenant la théologie sacramentaire traditionnelle et qui professaient l’unicité du Sacrifice eucharistique offert à Dieu dans la Concélébration (un seul sacrifice), et donc, dans cette perspective, la multiplication des messes devenant souhaitable, l’usage de la Concélébration étant alors limité.
Ces trois textes sont :
- Le décret général “Ecclesiæ Semper” du 7 mars 1965, qui rappelle que la Concélébration est un unique acte sacramentel, une unique cause instrumentale sacramentelle. (autrement dit quel que soit le nombre de prêtres présents à la Concélébration).
- Le second texte, c’est le n° 47 de l’Instruction “de Cultu mysterii eucharistici” du 25 mai 1967, qui attire notre attention sur le caractère subjectif de la Concélébration (le nombre de prêtres unis dans un unique Sacrifice).
- Le troisième texte est celui de la “Declaratio de Concelebratione” du 7 août 1972, dont un paragraphe mérite d’être cité :
« Bien que la Concélébration doive être considérée comme une manière excellente de célébrer l’Eucharistie dans les communautés, la célébration sans participation des fidèles “demeure cependant le centre de la vie de toute l’Eglise et le cœur de l’existence sacerdotale”. C’est pourquoi il faut que soit laissée, à chaque prêtre, la faculté de célébrer la messe individuellement : pour favoriser cette liberté, on assurera tout ce qui peut faciliter cette célébration : temps, lieu, aide d’un servant et autres éléments de la célébration » (les soulignés sont nôtres).
On notera, ici, que ce passage est le seul cas, à notre connaissance, où l’exercice de la liberté de célébrer individuellement est décrit sous une forme CONCRÈTE et “RÉALISTE”.
Le Canon 902, comme nous le verrons, affirme cette liberté, certes, mais sans préciser les conditions juridiques et concrètes permettant son exercice. Or, nous savons bien que dans certaines situations locales, cette liberté peut-être “entravée” par telles ou telles conditions “in concreto” (par exemple, à cause des horaires, du manque d’autels ou de chapelles, d’une pression des supérieurs sur les consciences et les comportements, etc.).
Enfin, quant à “l’Institutio Generalis Missalis Romani” (n° 153 à 159), son numéro 153 réaffirme que la Concélébration « manifeste heureusement l’Unité du Sacerdoce, du Sacrifice, et “du peuple chrétien”, et reprend, ensuite, presque mot à mot le n° 57 de la Constitution sur la Liturgie de Vatican II :
- certains cas de Concélébration sont prévus par le rituel ;
- certains cas où l’usage de celle-ci est possible, mais qui sont limitativement énumérés (par exemple, la Messe Chrismale).
- D’autres cas, encore, mais avec “la permission de l’Ordinaire” qui est juge de l’opportunité de concélébrer.
Le n° 155 précise qu’il appartient “à l’Évêque”, conformément au droit, de régler la discipline de la Concélébration dans son diocèse, même dans les églises des exempts…
II – Le Canon 902 du C.I.C. 1983 pris en lui-même.
Faute de temps, nous ne parlerons pas de son élaboration ; nous disposons d’une seule page des “Communicationes” qui reproduise les ACTA COMMISSIONIS (COMM. Vol XV, 1983, n° 2, p 191) à ce propos, et qui résume la discussion entre les membres de cette commission quant à la rédaction du C. 855 qui deviendra notre C. 902.
Voyons tout de suite les différents éléments qui composent ce canon 902.
A) “Nisi utilitas christifidelium aliud requirat aut suadæt”
C’est là, la seule limite que la loi positive prévoit à la faculté de concélébrer : la sollicitude pastorale doit toujours l’emporter. Tous les commentateurs font, ici, allusion au “bien des fidèles”. Cette notion était, déjà, présente dans les textes qui ont étendu la faculté de concélébrer, au cours de la période post-conciliaire. Mais on remarque l’abandon de toutes les limitations prévus par le texte conciliaire. (S.C. n°57), le canon se basant sur les documents postérieurs que nous avons déjà mentionnés. Le commentaire de Navarre précise que “la nécessité ou l’opportunité de faciliter aux fidèles la possibilité d’assister à la Sainte Messe dans des lieux et heures divers, ou pour d’autres sollicitudes pastorales” peuvent rendre obligatoire la célébration individuelle.
B) “Sacerdotes Eucharistiam concelebrare possunt”
Les prêtres peuvent concélébrer. Aucun caractère obligatoire. Aucun encouragement, n’est envisagé par la lettre du texte, qui semble donc, objectivement, être en retrait par rapport au projet initial (le canon 855, initial, recommandait la concélébration), et en retrait aussi par rapport à “Eucharisticum Mysterium n° 47, mais beaucoup plus fidèle au contenu de la Constitution Conciliaire sur la liturgie (n°57), qui prévoyait une extension limitée de la faculté de concélébrer, sans la recommander.
Ainsi le latin “possunt” du canon exprime une souplesse, une possibilité, mais pas une recommandation qu’aurait pu exprimer l’emploi d’un verbe au subjonctif. C’est donc outrepasser le sens du canon que d’affirmer, comme le fait le R.P. MAZANARES dans le commentaire de Salamanque, qu’”en principe, la concélébration devrait-être le mode recommandé (72) quand il n’y a pas de nécessité de célébrer individuellement pour le bien des fidèles”. Le canon ne dit rien de tout cela, et n’établit en aucune façon une “hiérarchie” des modes de célébration de l’Eucharistie, ni une préférence pour la concélébration par rapport à la messe privée. “POSSUNT” et rien d’autre.
Le R.P. MAZANARES justifie sa position par deux renvois : le premier à “Eucharisticum Mysterium” n°47, et le second au canon 837.
1) S’il est tout à fait exact que le premier texte (Eucharisticum Mysterium n° 47) “recommande” et “encourage” la pratique de la Concélébration, le Concile Œcuménique Vatican II la limite. Considérer l’Instruction comme un développement harmonieux de SC n°57 est on ne peut plus contestable et interpréter le “possunt” par l’emploi de E.M. n°47 et le rejet du SC n° 57 est bien hasardeux.
Si le législateur avait voulu faire de la Concélébration le mode normal et “recommandé”, il aurait utilisé un verbe bien plus fort que notre “possunt” en collant bien plus au texte d’E.M. n° 47 (73).
Enfin, le “POSSUNT” se veut objectivement en retrait par rapport à la discipline et au texte de E.M. n° 47.
2) Quant à la référence au Canon 837, elle ne nous parait pas justifiée : le fait que “les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église elle-même et qu’elles “comportent une célébration communautaire (…) avec l’assistance et la participation active des fidèles là où cela est possible” ne signifie pas qu’en l’absence des fidèles, une concélébration doit être préférée à plusieurs messes individuelles. D’abord, parce que le Magistère a maintes fois montré qu’une célébration individuelle de la messe est une action éminemment communautaire et publique.
C’est l’action, toujours, de TOUTE l’Église. Le canon 904 le rappelle d’ailleurs fortement. Ensuite, parce que l’Église n’est jamais revenue sur son enseignement à propos du bienfait de la multiplication des messes, parce que “actes du Christ” et “œuvres de Rédemption”. Il est bien évident qu’il faille favoriser la participation active des fidèles… Le fait de donner plusieurs possibilités d’horaires, pour se rendre à la messe (plutôt que de réduire le nombre de messes proposés dans la journée par une Concélébration) n’est-il pas une meilleurs façon d’appliquer le canon 837 ? Enfin, remarquons que les autres commentaires, en particulier ceux de l’Urbaniana et de Navarre, ne déduisent pas du canon 902 qu’en l’absence de fidèle, le mode recommandé soit la concélébration de la messe. Si les prêtres “PEUVENT” concélébrer, il ne s’agit absolument pas d’un principe, mais d’une faculté.
C) “integra tamen pro singulis libertate manente Eucharistiam individuali celebrandi, non vero eo tempore, quo in eadem ecclesia aut oratorio concelebratio habetur.”
La liberté de célébrer individuellement est ici clairement affirmée et non limitée, si ce n’est par une prescription liturgique.
Notons tout d’abord deux faiblesses de la traduction française :
1. le “tamen” latin n’est pas rendu en français. (ni même traduit). L’italien, par exemple, traduit par “tuttavia”. On aurait pu dire en français “cependant, étant respectée la liberté….”, ce qui accentuait la force de la proposition qui suit.
2. le “eo tempore, quo (…) concelebratio habetur ” est traduit par “quand il y a une concélébration”. On aurait pu traduire plus précisément, pour mieux signifier les deux éléments exigés et cumulatifs : un même moment et un même lieu, (exprimés par le quo relatif).
Le commentaire de Salamanque est muet à propos de cette liberté. Il préfère exposer les facultés supplémentaires de concélébrer au bénéfice de celui qui a déjà célébré ou qui va célébrer une autre Messe (pour le bien des fidèles), en rappelant les prescriptions du n°158 de la Présentation Générale du Missel romain, et la Déclaration du 7 août 1972 et en précisant la règle du non cumul d’honoraires, édictée par le canon 951 §2.
Le commentaire de Navarre a le mérite de développer un peu cette notion de liberté, en reprenant la même déclaration du 7 août 1972, qui, d’une façon réaliste, demandait à ce que cette liberté soit vérifiée et rendue vraiment possible par la mise en œuvre de toutes les facilités nécessaires, concrètement.
Ainsi, précise E. TEJERO, la piété personnelle du prêtre sera de cette façon alimentée par ce qui constitue le “cœur de la vie sacerdotale”, c’est-à-dire la célébration des Saints Mystères (cf. Synode des Evêques de1971, “De Sacerdotio ministeriali”, pars altera, n°41, AAS 63, 1971, p 914). Cette exigence de “piété sacerdotale” semble être à l’origine du respect de la liberté individuelle en matière de mode de célébration, consacré par le canon 902. La “Declaratio de concelebratione” se référait déjà au texte du Synode des Évêques pour donner un fondement à cette liberté. Une généralisation imposée de la concélébration pourrait aboutir à une altération de la piété personnelle de chaque prêtre, car, comme le remarque très opportunément les Pères RAHNER, s.j., et HAUSSLING : “sa coopération (du Prêtre) à l’action liturgique ne va pratiquement guère au-delà de la prononciation en commun de quelques paroles”. En réalité, la liberté posée par le canon 902 est un prolongement de la question fondamentale à propos de la “spiritualité” et de la “piété” sacerdotales : de quelle manière le prêtre se sanctifie-t-il le mieux ? En célébrant seul à l’autel ou en concélébrant ? La concélébration renforce incontestablement, sur le moment même, le sentiment d’appartenir à une communauté, elle n’en prive pas moins le prêtre d’une quantité de gestes et de paroles qui lui reviennent en propre et qui le configure d’une façon sensible au Christ-Prêtre. Au lieu de quoi, lorsqu’il concélèbre, il répond à beaucoup de prières du premier célébrant, reçoit la communion et la bénédiction, etc…. Le Prêtre a besoin “de se sentir prêtre” et d’exprimer concrètement, autrement que par relativement peu de paroles, son “identité sacerdotale”. D’où la prudence de l’Église, qui instaure cette liberté d’être seul à l’Autel.
Dans la réalité, dans la vie quotidienne, cette liberté est-elle respectée ? On peut, nous semble-t-il, légitimement se poser la question. Le viol juridique, l’absence de normes concrètes qui auraient pu être dictées par le Code, à propos de l’exercice pratique de cette liberté, favorisant les “pressions” psychologiques de la part de beaucoup de supérieurs à l’égard des prêtres, surtout des jeunes. La généralisation, partout, toujours et pour tous, de la concélébration rend, de fait, les prêtres qui désirent célébrer seuls à l’autel, étrangers et coupés de la “communauté” et du “presbyterium”. Dans les petites communautés de prêtres séculiers ou religieux, pour sauvegarder les relations fraternelles et la vie en commun, on est bien souvent “obligé” de se plier à la concélébration.
En outre, le pluralisme théologique ne facilite pas la compréhension entre ceux qui concélèbrent journellement et ceux qui ne concélèbrent qu’à certaines occasions.
Enfin, en ce qui concerne l’interdiction que nous qualifions de “liturgique”, à savoir l’impossibilité de célébrer individuellement, si au même moment et dans un même lieu il y a concélébration, nous pouvons remarquer que le canon ne porte pas sur le cas de plusieurs messes individuelles célébrées dans un même lieu, au même moment sur des autels différents. D’ailleurs Pie XII avait, dans l’Encyclique “MEDIATOR DEI”, condamné l’opinion de ceux qui “affirment que les prêtres ne peuvent en même temps offrir la divine hostie sur plusieurs autels parce que par cette manière de faire, ils divisent la communauté et mettent son unité en péril”.
CONCLUSION
Que conclure sur l’aspect canonique de la Concélébration actuellement ?
1. Le Canon 902, toujours en vigueur, légifère sur la discipline (l’usage) de la Concélébration sans faire allusion à la théologie et à la justification de cette pratique.
2. L’élément qui, depuis l’époque préconcilaire, est constant (sauf chez de rares auteurs dans la Doctrine canonique) est celui de la LIBERTÉ, pour les prêtres, de célébrer individuellement (sauf la restriction “liturgique” quand il y a une concélébration en même temps et dans un même lieu).
Ce respect de la liberté doit pouvoir être mis en œuvre “in concreto”, sinon, en fait, ce respect disparaît. D’où un grand nombre d’abus possibles, (nombre restreint d’autels, horaires mal aménagés, chapelles trop peu nombreuses, pressions idéologiques, etc.). Et donc, dans ce contexte, apparaît une carence législative et disciplinaire, carence incontestable et qu’il faudrait combler.
3. Quant à la possibilité de concélébrer, le C. 902 élimine et se tait sur la présence traditionnelle de l’Évêque dans une Concélébration, et aussi sur le rôle qui lui était dévolu, à savoir, d’être “régulateur” de la pratique de la Concélébration.
Le même canon parle de la POSSIBILITÉ de concélébrer (“Possunt”) et NON PAS de l’obligation de concélébrer (“debunt”). Là encore, dans la pratique, est-ce respecté ? On peut légitimement en douter !!!
Reconnaissons aussi que les recours administratifs sont un peu “les parents pauvres” du Code actuel, et qu’il est donc, en pratique, très difficile de faire appliquer “in concreto” les dispositions du Canon 902….
Reconnaissons dans cette même perspective, que d’invoquer le Canon 1378 sur les abus de pouvoir qui les qualifie de délits (et qui pourraient être, par conséquent, mis en œuvre dans des procès pénaux) est “oublié” et non mis en œuvre. Une jurisprudence sur le sujet, à notre connaissance, n’existe pas…. Quel prêtre, contraint de concélébrer, a-t-il attaqué son Évêque dans un procès pénal ? Quel Promoteur de Justice a-t-il été saisi d’un abus de pouvoir à ce sujet ?
4. Il faudrait donc, nous semble-t-il, légiférer davantage sur la pratique de la Concélébration, où s’exprime d’une part l’unité hiérarchique de l’Église, l’unité du Sacerdoce, et d’autre part celle de la célébration individuelle de la Messe, qui permet des offrandes et des immolations sacramentelles de l’unique Sacrifice rédempteur du Christ.
Légiférer davantage par la prise en compte de ces deux réalités complémentaires à traduire canoniquement permettrait d’être plus fidèle au texte conciliaire qui est censé être “traduit” juridiquement par notre C. 902.
Lequel C.902 consacre —et c’est indéniable— beaucoup plus un soit disant “esprit du Concile” et une pratique spontanée pas forcément dans la ligne de la Doctrine Catholique traditionnelle, qu’un véritable respect du Texte Conciliaire…
5. Il faudrait également davantage préciser les FRUITS du Sacrifice de la Messe : chaque Messe est le Sacrifice du Christ, elle a une valeur infinie, mais les dispositions des hommes pour en recevoir les fruits sont toujours imparfaites, et en ce sens, limitées. D’où l’importance du nombre des Messes célébrées.
6. Il serait, aussi, souhaitable qu’un approfondissement du régime canonique des “offrandes” de messes, c’est à dires des honoraires versés et acceptés, soit réalisé, surtout dans le cas d’une Concélébration. Il s’agit là d’une « obligation de Justice ». Cette recherche est à conjuguer avec celle de la nature des intentions de Messe, et des fruits particuliers obtenus par la célébration des Saints Mystères.
De telles perspectives me semblent urgentes !
La situation actuelle de l’Église et du monde suffit à le dire, si l’on a l’honnêteté et la lucidité de regarder la situation « in concreto ». Il suffit de penser, par exemple, à tous ces défunts (en France particulièrement) que l’on prive de Messe de funérailles, au bénéfice d’une “bénédiction”, d’une simple absoute, ou bien d’une « liturgie de la Parole »…
L’Église de Dieu possède un trésor : la Rédemption, qui permet à chaque Messe de faire couler sur l’Église et sur le monde entier, le Sang du Christ Jésus.
« quoties hujus Hostiæ commemoratio celebratur, opus nostræ redemptionis exercetur”. (Dominica II per Annum Missale Romanum)
Ce que disait déjà, d’une autre manière, St Augustin : « Semel immolatus in semetipso Christus, et tamen quotidie immolatur in sacramento »
“immolé une fois pour toute en lui-même, le Christ est cependant immolé chaque jour dans le Sacrement” (Ept. 98, PL 33, p 363)
Can. Stéphane DRILLON
zongadar
Ceci me rappelle un retour de vacances un 15 août à Rouen, ville où il y a quand même quelques clochers, arrivés en milieu de matinée, impossibilité de trouver une messe, car l’évêque avait organisé une concélébration en sa cathédrale et nous étions plusieurs personnes, y compris du crû, à se trouver devant des églises portes closes aux heures habituelles des messes !