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Culture de mort : Euthanasie

Il y a 20 ans, il était pour l’euthanasie, et puis il s’est informé

Il y a 20 ans, il était pour l’euthanasie, et puis il s’est informé

Pierre Prot, adjoint au maire d’Evry Courcouronnes, Modem, écrit sur Facebook :

J’ai été pour l’#euthanasie.

C’était au tout début des années 2000. Puis j’ai un peu douté.

Puis en pensant à quelqu’un que je détestais particulièrement (pour la petite histoire il est encore maire d’une ville de notre région et je le déteste toujours), je me suis dit “d’ailleurs pour lui ce serait pas mal l’euthanasie”. Me dire cela m’a fait un choc, m’a fait réaliser quelque chose : on peut vouloir euthanasier celui qu’on n’aime pas. On peut aussi vouloir sa propre euthanasie pour faire mourir le soi le jour où on ne l’aimerait plus. Le jour où on le trouverait indigne. Non convenable. Trop handicapé (tiens… handiphobie ?)

Puis j’ai lu le texte fondateur de l’ADMD. Un texte qui sous couvert d’humanisme est en fait eugéniste. Puant la gérontophobie. Baver et mettre des couches y est vu comme la faute que l’auteur “ne se permettrait pas”, ayant la “dignité, lui”, de se mettre à mort avant.
S’il avait dit “le jour où j’ai des règles, je ne me le permettrais pas je me mettrais à mort”, tout le monde aurait vu la misogynie. S’il avait dit “si un jour j’ai les cheveux crépus et la peau noire, alors…”, tout le monde aurait vu le racisme. Mais là, comme c’est sur les vieux et handicapés… allez, ça paaaasse !

J’ai compris ce qu’il y a d’horrible dans l’expression “je vais partir dans la dignité”. Cela signifie que tous ceux qui sont dans la même situation que moi sont indignes de vivre, mais que moi, j’ai le courrage, dans cette situation, de me tuer. Pas eux.

J’ai lu les témoignages de certains réclamant l’euthanasie pour apaiser leur entourage. J’ai ainsi frémi de peur à l’idée qu’à présent, on justifie la mort d’un homme non pas seulement pour apaiser ses propres souffrances (apaisables autrement, d’ailleurs), mais pour l’intérêt des autres. La mort de quelqu’un pour l’intérêt des autres…. quel recul depuis l’abolition de la peine de mort !

Puis je me suis renseigné sur l’Allemagne du début 20è siècle. Jost, Binding et Hoche. Tous humanistes voulant épargner la souffrance. Plaidant pour “le droit de mettre fin aux vies qui ne valent pas la peine d’être vécues”. J’ai compris comment cela avait préparé l’acceptation du fait que certaines vies sont meilleures quand elles sont abrégées.

J’ai ensuite réfléchi à la question des limites à l’euthanasie, et compris qu’à partir du moment où donner la mort est autorisé et considéré comme un bien pour un patient, alors toute limite à ce droit est vouée à être levée. Si la limite est au patient N, il y a alors un patient N+1 qui est suffisamment proche de la limite et pour qui on peut plaider qu’il aurait dû y avoir droit, et que donc il faut déplacer la limite. La seule limite à l’euthanasie est l’interdit de tuer. Preuve en aujourd’hui la pente glissante extraordinaire que subissent le Canada, le Benelux, etc… On y débat actuellement d’autoriser l’euthanasie après 75 ans sans autre critère !

J’ai également pu calculer, à partir d’études sociologiques chiffrées le taux d’euthanasies clandestines en Belgique. Rapporté à la population, il est 6 fois plus élevé qu’en France. La libéralisation partielle ne réduit pas la fraude, elle la massifie.

J’ai suivi les réflexions de R.Badinter, du généticien Axel Kahn, du communiste Pierre Dharréville, de Dominique Potier. Tous pointent le risque de dérive.

Très récemment, j’ai lu que les militants handicapés anti-validistes étaient contre l’euthanasie : ils ont bien compris qu’elle est un flingue sur leur tempe. Un appel à “être digne” (comprendre : débarrasser le plancher). Et en effet c’est dégueulasse pour eux. Bravo Elisa Rojas !

J’ai lu les études sur la fin de vie en Amérique du Nord : la moitié des euthanasiés le font aussi par peur d’être un poids pour les autres “fear to be a burden”. On se réjouit de l’impact économique positif de l’euthanasie, on en fait la promotion dans des clips, et on la propose à ceux qui sont éligibles, on la normalise et la priorise par rapport à d’autres soins (https://www.erudit.org/fr/revues/aporia/2024-v16-n2-aporia09675/1114546ar.pdf). 1/3 des canadiens sont désormais favorables à l’euthanasie des sans-abris. Oui, l’euthanasie fait dériver la société !

J’ai aussi lu les avis de la Société Française des Soins Palliatifs (SP). Avec d’autres organisations de médecins, représentant 800.000 soignants (cela ne veut pas dire “pétition recueillant 800k signatures”), ils s’opposent à l’euthanasie. Les SP sont sous-financés, mal connus (seuls 16% des français sont capables de répondre correctement à au moins 6 questions sur 8 sur les SP), des citoyens mais aussi des médecins. La moitié des patients éligibles n’y a pas accès. Or les SP sont efficaces. Les SP soulagent. Quand ils sont appliqués à leur état de l’art, donc par des médecins formés (ce qui est insuffisamment le cas)

J’ai aussi été choqué par la mauvaise foi de ce débat. On a changé les termes pour ne pas voir la vérité en face. On pratique la confusion : l’aide à mourir pourrait désigner les SP (qui aident effectivement à mourir sans souffrance), mais là elle désigne l’euthanasie. Catherine Vautrin dit que son texte ne concerne ni le suicide assisté ni l’euthanasie alors qu’il en est une des législations les plus libérales. Manipulations lors de la conférence citoyenne, où par exemple, il n’a jamais été fait mention de Binding et Hoche, où les dérives de l’euthanasie n’ont quasiment jamais été discutées. Le parti-pris des médias a lui aussi été très clair : l’équilibre des intervenants n’a jamais été respecté. Le seul merci qu’on puisse adresser est à Bayrou pour avoir séparé le texte sur les SP de celui sur l’euthanasie.

Cette fable libérale que “un droit de plus est toujours un plus” n’est pas juste. Je me rappelle du Pr Strauss Kahn qui avait remis corrigé dans un débat TV l’élève Sarkozy : libérer un droit (à l’époque c’était “libérer les temps partiels”), ça peut tout à fait asservir les plus faibles. Il me semblait que notre société avait compris que les théories libertariennes d’Alain Madelin (et pas forcément que économiques) ne nous menaient pas toujours vers la libération de tous, mais parfois l’asservissement de certains.

Là, ce “droit à l’euthanasie” nous oblige tous : il nous oblige à vérifier que nous sommes bien dignes de vivre et nous incite à en tirer les conséquences si ça n’est pas le cas.

Alors : suis-je pour la souffrance en fin de vie ? NON évidemment ! Les SP sont efficaces. La loi Clays Leonetti est puissante : elle autorise TOUS les moyens pour soulager la douleur, fut-ce par un raccourcissement de la vie. Elle autorise tous les arrêts de traitements, la fin de l’acharnement thérapeutique. La mise sous sédation profonde. Simplement elle doit être appliquée à… allez, 1/4 à 1/3 des patients éligibles. Maximum la moitié.

Doit-elle être améliorée ? Oui ! Certains soins ne peuvent pas être interrompus, tels que l’alimentation. Je pense qu’il le faudrait. Et surtout : il faut plus de budgets pour les rendre accessibles.

Mais cette loi préserve un trésor : l’interdit de tuer. Le médecin a carte blanche pour lutter contre la souffrance. L’intention doit être de soulager. Pas de tuer. Faire sauter cette barrière c’est s’exposer aux dérives, et elles iront loin. Très loin.

Le projet de loi actuel n’est pas une exception d’euthanasie par compassion. Il ne s’applique pas aux “cas exceptionnels que les SP n’arriveraient pas à traiter” (pas très documentés d’ailleurs, et pour lesquels je vois mal en quoi une sédation profonde ne règle pas la souffrance d’ailleurs). Ce texte n’est pas “fortement encadré” comme le disent certains, il est déjà extrêmement ouvert, regardez :

– à 18 ans pour une insuffisance rénale on peut demander l’aide à mourir. Très loin des maladies graves sans solutions.
– on n’a pas le droit de désinformer dans le but d’empêcher une euthanasie (et c’est bien normal), mais on a le droit de mentir et de manipuler dans le but de la provoquer
– on dit que le consentement est nécessaire, mais on autorise les patients inaptes à l’exprimer, ce qui est contradictoire

Ce texte détournera simplement des patients qui auraient pu être soulagés. Avec notre système de santé à l’agonie, la tolérance en baisse face à la différence du handicap, on voit très bien où cela nous mènera.

La pente glissante est déjà bien engagée. A horizon 20 ans, après de nouvelles “ouvertures” désormais inévitables, ce droit sera total. La mentalité aura largement intégré cette nouvelle normalité, ceux qui y résisteront devront résister au regard des autres. Des mutuelles proposeront une option “soins palliatifs en fin de vie”, ceux qui ne l’auront pas payée auront intérêt à ne pas changer d’avis au dernier moment…

Dans ce sujet aussi, je crains le pire.

Il reste un vote au sénat.

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2 commentaires

  1. Quelle formidable plaidoirie en faveur de la vie. Elle détaille tout le cheminement intellectuel d’une personne de bonne foi. Ce serait bien que chacun d’entre nous la fasse parvenir à son député ou sénateur s’il en reste encore à convaincre.

  2. Bonne réponse, mais perfectible.
    Le cœur: deux visions de l’homme s’affrontent; pour faire court, la “toute puissance luciférienne” et “l’Amour divin infini”. Le premier vise l’annihilation de l’homme, le second son accès à la Vie Éternelle dans la béatitude divine. Le premier est une simple créature jalouse et somme toute assez limitée en dehors de ses tromperies – l’Apocalypse décrit ses soldats comme des ‘sauterelles’ – et le second est Tout Puissant.
    Haut-les-cœurs ! Comme disaient nos grand-mères, “le diable porte pierre”: tous ses projets sont grevés d’une tare qui porte en germe leur propre échec.

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