Le cardinal Raymond Leo Burke est attristé par la campagne négative qui s’est déchaînée à son endroit. L'Homme Nouveau a traduit un entretien du cardinal avec le journaliste Riccardo Cascioli pour le blog "La Nuova Bussola". Extraits :
"Certaines de vos déclarations, même au cours du débat qui a précédé et suivi le premier Synode sur la famille, ont effectivement retenti comme une critique du Pape François, ou du moins ont-elles été interprétées ainsi. Par exemple, votre « Je résisterai, je résisterai » – en réponse à une éventuelle décision du Pape d’accorder la communion aux divorcés-remariés – a récemment fait beaucoup de bruit.
Mais cette phrase a été dénaturée : il n’y avait aucune référence au Pape François. En fait, comme je me suis toujours exprimé très clairement sur le sujet du mariage et de la famille, je pense qu’il se trouve des personnes qui veulent me neutraliser, en me décrivant comme un ennemi du Pape, ou même un fomenteur de schisme, utilisant justement cette réponse donnée à l’occasion d’un entretien que j’ai accordé à une chaîne de télévision française.
Et comment doit donc être interprétée cette réponse ?
C’est très simple. La journaliste m’a demandé ce que je ferais dans l’hypothèse où – sans faire référence au Pape François – un pontife prenait des décisions contraires à la doctrine et à la praxis de l’Église. J’ai dit que je devrais dans ce cas résister, puisque nous sommes tous au service de la vérité, à commencer par le Pape lui-même. L’Église n’est pas un organisme politique, dans le sens du pouvoir. Le pouvoir est Jésus-Christ et son Évangile. C’est pour cette raison que j’ai répondu que je résisterai, et ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que ce cas de figure surviendrait dans l’Église. Il y a eu des moments de l’histoire au cours desquels l’un ou l’autre a dû résister au Pape – à commencer par saint Paul devant saint Pierre, à l’occasion de l’affaire des judaïsants qui voulaient imposer la circoncision aux convertis venus de l’hellénisme. Mais, dans mon cas, je ne suis pas en train de résister au Pape François, puisqu’il n’a rien fait contre la doctrine de l’Église. Et je ne me vois d’ailleurs pas mener un combat contre le Pape, contrairement à l’image qu’on veut propager sur mon compte. Je ne suis nullement en train de revendiquer les intérêts d’un groupe ou d’un parti ; je ne cherche qu’à être, comme cardinal, un maître de la foi.
Un autre « chef d’accusation » est votre passion supposée pour la soie et les dentelles, que le Pape ne supporte pas.
Le Pape ne m’a jamais dit être incommodé par la manière dont je m’habille, qui a d’ailleurs toujours été dans la norme de l’Église. Je célèbre la liturgie aussi dans la forme extraordinaire du rite romain : il faut savoir qu’il s’y trouve des ornements propres, qui ne sont pas utilisés dans le cadre d’une célébration dans la forme ordinaire, et que je ne revêts cependant que ce que la norme prévoit pour la forme du rite que je célèbre. Je ne mène pas une campagne contre la manière de se vêtir du Pape. En outre, il faut bien admettre que chaque Pape a son style ; pour autant, il ne l’impose pas à tous les autres évêques. Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi ce sujet déclenche tant de polémiques. […]
Certains vous désignent également comme l’inspirateur, si non le promoteur, de la « Supplique au Pape François sur la famille », qui a été diffusée pour recueillir des signatures sur des sites du monde traditionaliste.
J’ai en effet signé ce document, mais ce n’est absolument pas mon initiative, ni mon idée. Encore moins ai-je écrit ou collaboré à la rédaction du texte. Qui affirme le contraire dit faux. Pour ce que j’en sais, il s’agit d’une initiative de laïcs ; le texte m’a été montré et je l’ai signé, comme l’ont d’ailleurs fait plusieurs autres cardinaux. […]
Il reste toutefois que le Pape François vous a « puni » en vous retirant la charge du Tribunal de la Signature Apostolique et en vous confiant le patronat de l’Ordre Souverain et Militaire de Malte.
Le Pape a donné un entretien au quotidien argentin La Nacion dans lequel il a déjà répondu à cette question. Il y explique les raisons de son choix. Tout y est dit ; il ne me revient pas de le commenter. Je peux seulement affirmer, sans violer aucun secret, que le Pape ne m’a jamais dit, ni même donné l’impression, de vouloir me punir de quoi que ce soit.
Certainement votre « mauvaise image » est pour quelque chose dans ce que le cardinal Kasper a appelé il y a quelques jours la « bataille synodale ». Et il semble qu’elle s’intensifie au fur et à mesure que se rapproche le Synode ordinaire d’octobre prochain. Où en sommes-nous ?
Je dirais qu’actuellement il y a une discussion beaucoup plus étendue sur les sujets abordés par le Synode, et ceci est positif. Il y a un plus grand nombre de cardinaux, évêques et laïcs qui interviennent, et ceci est très positif. Pour cette raison, je ne comprends pas pourquoi tant de bruit a entouré, l’an dernier, la parution du livre Rester dans la vérité du Christ, auquel j’ai contribué avec quatre autres cardinaux et quatre spécialistes du mariage. […] Il est certain que le livre a été écrit pour aider les débats du Synode et pour répondre à la thèse du cardinal Kasper. Mais il n’y a rien de polémique ! C’est une présentation très fidèle à la tradition, qui se veut aussi d’une qualité scientifique la plus élevée possible. Je suis tout à fait disposé à recevoir des critiques sur son contenu, mais dire que nous avons participé à un complot contre le Pape est inacceptable.
Mais qui donc organise cette chasse aux sorcières ?
Je n’ai aucune information directe mais il y a sûrement un groupe qui veut imposer à l’Église non seulement cette thèse du cardinal Kasper sur la communion aux divorcés-remariés ou aux personnes en situations irrégulières, mais également d’autres positions sur des questions connexes aux thèmes du Synode. Je pense par exemple à l’idée de trouver des éléments positifs dans les rapports sexuels en dehors du mariage ou dans les unions homosexuelles. Il est évident qu’il y a des forces qui font pression dans cette direction ; c’est pourquoi ils veulent nous discréditer, alors que nous tentons de défendre l’enseignement de l’Église. Je n’ai personnellement rien contre le cardinal Kasper ; pour ma part, je me contente simplement de présenter l’enseignement de l’Église, qui est dans ce cas directement lié à des paroles prononcées par le Seigneur. […]
Un des points qui ressortent dans les polémiques sur le Synode est l’opposition présumée entre la doctrine et la praxis, entre la doctrine et la miséricorde. Le Pape également insiste souvent sur le comportement pharisaïque de ceux qui mettent la doctrine en avant et font ainsi obstacle à l’amour.
Je crois qu’il convient de distinguer entre les paroles du Pape en certaines occasions et celles qui affirment une opposition entre la doctrine et la praxis. On ne peut jamais admettre dans l’Église un contraste entre doctrine et praxis, parce que nous vivons la vérité que le Christ nous transmet dans sa sainte Église, et la vérité n’est jamais une réalité froide. C’est la vérité qui nous ouvre à l’amour. Pour aimer vraiment il faut respecter la vérité de la personne, et de la personne qui se trouve dans telles situations particulières. Établir ainsi une espèce de contraste entre doctrine et praxis ne reflète pas la réalité de notre foi. Celui qui soutient les thèses du cardinal Kasper – changement de la discipline qui ne touche pas la doctrine – devrait expliquer comment c’est possible. Si l’Église admettait à la communion une personne liée par un mariage mais vivant une liaison matrimoniale avec une autre personne, c’est-à-dire en situation d’adultère, comment pourrait-on tenir dans le même temps que le mariage est indissoluble ? Ce contraste entre doctrine et praxis est néfaste, et nous devons le rejeter.
Il reste pourtant bien vrai que l’on peut défendre la doctrine sans amour.
Certainement, et c’est précisément ceci que le Pape dénonce : un usage de la loi ou de la doctrine pour promouvoir un programme personnel, pour dominer les personnes. Mais ceci ne signifie pas que le problème vient de la doctrine et de la discipline. Il y a tout simplement des personnes de mauvaise volonté qui peuvent commettre des abus, par exemple en interprétant la loi selon un mode qui fait du tort aux personnes, ou en appliquant la loi sans amour, en insistant sur la vérité de la situation de la personne mais sans amour. De même, quand quelqu’un se trouve en état de péché grave, nous devons l’aimer et l’aider comme le Seigneur l’a fait avec la femme adultère et la Samaritaine. Il a été très clair dans l’annonce qu’il leur a faite de leur état de péché, mais dans le même temps il leur a témoigné un grand amour, en les invitant à sortir de cette situation. Ce que les Pharisiens ne faisaient pas, démontrant au contraire un légalisme cruel : ils dénonçaient la violation de la loi, mais sans donner aucune aide à la personne pour sortir du péché et pour retrouver ainsi la paix dans sa propre vie."