Sur le papier, le projet de loi de régularisation des 12 millions d’immigrés clandestins estimés sur le sol américain devait être adopté à une très large majorité : il était soutenu par le Président Bush, par la direction du parti Républicain et par celle du parti Démocrate. Contre toute attente, il vient pourtant d’être rejeté à deux reprises par le Sénat.
Le projet de plusieurs centaines de pages, rendu public au tout dernier moment, devait prendre de court le bon peuple majoritairement défavorable à une telle amnistie. Le texte devait être présenté comme n’étant "pas une amnistie", et ses éléments "répressifs" être mis en avant. L’adoption par le Sénat (photo) devait être expédiée en quelques jours – et la majorité des Américains ne se rendre compte de la réalité de la loi votée que bien après son adoption.
Il y a quelques années, une telle manoeuvre aurait fonctionné, notamment parce que, par complaisance ou paresse, les journalistes traditionnels se seraient contentés de reproduire des communiqués de presse des initiateurs du texte plutôt que de l’étudier dans le détail. Les "nouveaux médias" ont toutefois changé la donne.
L’intelligence collective de la blogosphère conservatrice américaine n’excelle en effet jamais tant que face à un problème complexe comme celui-ci. Quelques heures après sa parution, des juristes et des spécialistes de l’immigration ont fait ressortir la réalité du projet : il s’agissait bien d’une amnistie massive déguisée . Les radios conservatrices ont pris le relais, mobilisant des auditeurs qui, à leur tour, ont assailli leurs élus de coups de téléphone pour leur faire part de leur ferme opposition au projet.
Rich Lowry (photo), de la National Review, parle de "victoire technopopuliste" :
Le combat autour de la loi sur l’immigration a été le premier exemple d’une épreuve de force parlementaire, [auparavant] réservée aux initiés, dans laquelle les blogueurs, les animateurs de talk radio et les citoyens ont pu faire entendre clairement leur voix grâce à la synergie de l’internet, de la radio et du téléphone […] – mettant en échec ce qui avait commencé comme une sorte de coup de force législatif.
A noter un mode d’action qui semble avoir eu un impact important : les vidéos en ligne, telles que celle-ci par les conservateurs de Hot Air, ou celles suscitées par le blogueur centriste Mickey Kaus (exemple).
Et en France ? On est encore loin de tout cela. Certains commentateurs outre-Atlantique ont comparé l’opacité des menées de l’establishment politique américain autour de l’amnistie à celles du Conseil européen de la semaine dernière – mais ces dernières n’ont suscité aucune réaction populaire.