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Tribune libre

« Jean-Marie Le Pen est perçu en Pologne comme quelqu’un qui a mené les batailles qui sont les nôtres aujourd’hui »

« Jean-Marie Le Pen est perçu en Pologne comme quelqu’un qui a mené les batailles qui sont les nôtres aujourd’hui »

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Un entretien avec Kacper Kita, chroniqueur, essayiste, auteur de plusieurs ouvrages remarqués en Pologne, notamment sur Giorgia Meloni, Éric Zemmour, et maintenant le « clan Le Pen ».

Vous avez publié l’année dernière en Pologne un livre intitule Saga du clan Le Pen – La Marche sur Paris et Bruxelles. S’agit-il d’un titre pour faire peur aux polonais?

Non pas du tout, au contraire. J’espère qu’on a en Europe des mouvements patriotes, souverainistes, qui peuvent gagner. Et même s’ils n’ont pas le pouvoir aujourd’hui, ils sont en train de devenir de plus en plus importants. Je voulais montrer à mes lecteurs la famille Le Pen, avec tout ce qu’elle peut avoir de bon et de mauvais. Les Le Pen ont eu et ont encore leurs défauts, bien évidemment, mais ils auront probablement dans un futur proche un rôle très important à jouer dans la politique européenne.

C’est le parti de Marine Le Pen, héritier, donc, du Front National de son père Jean-Marie, qui selon vous pourrait renverser la donne en Europe ?

Personne ne peut renverser seul l’ordre établi en Europe. Évidemment, l’arrivée au pouvoir de Mme Meloni a été un espoir aussi pour moi, à titre personnel. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre sur la première ministre italienne. J’ai aussi placé beaucoup d’espoir en Zemmour, quand il s’est lancé pour la dernière présidentielle. Mais voilà, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances.
En ce qui concerne la famille Le Pen, je voulais que ce livre ne soit ni une hagiographie ni un livre à charge. J’ai voulu être honnête, tout simplement.
Le fait est que le Rassemblement national devient de plus en plus important. C’est aujourd’hui le parti qui a le plus gros groupe des 27 pays au Parlement européen et, à Paris, cela devient de plus en plus difficile de gouverner la France en isolant Marine Le Pen. C’est donc au minimum une force qui peut affaiblir l’ordre libéral.
Je crois donc qu’il s’agit là d’un phénomène qui mérite d’être observé, sans bien sûr ignorer les défauts que Marine Le Pen peut avoir.

Je me demande si l’électorat conservateur polonais appelle de ses vœux une victoire de Marine Le Pen en France. Cela n’a certainement pas toujours été le cas, avec des médias, y compris de droite, qui présentaient le parti des Le Pen comme une extrême droite pro-Poutine.

La montée du Rassemblement national et de Marine Le Pen en France est-elle aujourd’hui perçue comme une bonne chose au sein de l’électorat polonais de droite ?

Le but de mon livre est justement de montrer aux Polonais qui est vraiment Marine Le Pen et qui était vraiment son père. D’un côté, Marine Le Pen est ici perçue comme quelqu’un qui est contre les élites bruxellois, contre l’établissement européen, et les gens de droite en Pologne observent son ascension avec espoir. Mais c’est aussi assez connu qu’elle a par exemple renoncé sur les thèmes civilisationnels et qu’elle a voté pour inscrire l’IVG dans la Constitution. C’est évidemment une chose qui n’est pas perçue positivement par la droite polonaise.
Malgré tout, on espère ici en Pologne que si elle finit par arriver au pouvoir, Marine Le Pen pourrait renverser l’ordre gauchiste à Bruxelles, même si l’on est conscients du risque que, à force de s’adapter au courant dominant, elle ne change pas grand-chose une fois aux commandes. Évidemment, il y a aussi la question de son attitude vis-à-vis la Russie qui est toujours une chose très importante d’un point de vue polonais, mais il y a eu un vrai rapprochement entre Mme Le Pen et la droite polonaise, y compris avec le parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński, mais aussi avec [l’alliance des nationalistes chrétiens et des libertariens] Konfederacja, avec laquelle Mme Le Pen coopère aux Parlement européen.
Par ailleurs, avec l’invasion russe en Ukraine, Marine Le Pen a elle-même évolué sur ce sujet. Il semble aujourd’hui qu’on peut avoir un dialogue franc entre Polonais et Français sur cette question, y compris avec le Rassemblement national.

Des gens du parti de Marine Le Pen m’avaient demandé, vers 2017-2018, alors que le PiS gouvernait en Pologne, si je pouvais les aider à rencontrer des députés du PiS à Varsovie. Personne au PiS n’avait alors voulu les rencontrer. Il y avait un ostracisme clair, peut-être pas au Parlement européen mais en tout cas en dehors de l’hémicycle du Parlement européen. Et effectivement, dans les années qui ont suivi, cela a complétement changé. Il y a eu une déclaration commune des conservateurs européens, signée notamment par Jarosław Kaczyński et Marine Le Pen, et il y a depuis régulièrement des réunions où ils se rencontrent officiellement.

Qu’est-ce qui explique cette volte-face au sein de la droite polonaise vis-à-vis du parti de Marine Le Pen ?

Il y a en fait eu une évolution des deux côtés. Le PiS, qui est arrivé au pouvoir en 2015, voulait réformer l’UE de l’intérieur et cherchait un modus vivendi avec la commission européenne. Mais, cela a changé avec le temps, à cause des attaques de plus en plus évidentes des institutions européennes contre la souveraineté polonaise. Des ingérences motivées principalement par le fait que la Pologne était gouvernée pendant huit ans par un gouvernement de droite ou même plutôt de centre-droit. Ce gouvernement n’était absolument pas extrémiste, et la présentation qui était faite de cette droite polonaise était complétement ridicule. Cependant, face à l’attitude de Bruxelles, le PiS a progressivement réalisé que, s’il veut vraiment peser dans le jeu européen, il doit s’allier aux partis dits « populistes », comme le Rassemblement national en France.
De son côté, le RN a gagné en importance et a cessé d’être un parti marginalisé. Malgré les différences de vues entre le PiS et le RN, on s’est rendu compte des deux côtés qu’il n’était pas possible de peser en Europe sans coopérer en dépit des différences. Et puis il faut dire que quand les deux partis se sont mis à se rencontrer, ils se sont bien rendu compte qu’ils n’avaient pas affaire à des extrémistes. Le grand problème de la droite européenne, c’est qu’on voit les autres partis de droite par le prisme de ce que nous en disent les intellectuels et les médias de gauche.
Le PiS, c’est en réalité le centre-droit en Pologne, et ce centre-droit est présenté à l’étranger comme une force extrémiste, nationaliste et ultra conservatrice. Dans l’autre sens, les Le Pen ont aussi toujours été diabolisés dans les médias polonais de gauche, et aussi jusqu’à récemment de droite. Personnellement, en tant que Polonais, je suis content que ce soit finalement le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qui ait été le premier chef de gouvernement d’un pays européen à avoir rencontré Marine Le Pen. Il l’a fait avant que Viktor Orbán ne se décide lui aussi.
Que Morawiecki ait tendu la main à Marine Le Pen est à mon avis une très bonne chose pour les relations franco-polonaises.

Pensez-vous, avec votre regard de conservateur polonais, que Marine Le Pen a trahi l’héritage politique de son père à force de vouloir dédiaboliser son parti ?

Je pense qu’il y a des questions, notamment civilisationnelles, sur lesquelles elle est allée trop loin, comme en ce qui concerne l’avortement, le mariage, etc. C’est effectivement très décevant. Mais en même temps, je pense qu’elle préserve l’héritage de son père sur beaucoup d’autres sujets, même si elle devient un peu molle sur quelques-uns d’entre eux. Mais sur l’islam et sur l’immigration, je pense qu’elle sait que son père a eu raison, de plus elle le dit ouvertement. Elle a malgré tout été formée elle aussi, d’une certaine manière, par le Front national et je garde l’espoir que, si elle arrive au pouvoir, il y aura au moins certaines de ses actions qui pourraient être saluées par son père.
De même que Jean-Marie Le Pen n’était pas un conservateur catholique idéal, sa fille n’a pas, il me semble, totalement trahi son héritage politique. Elle veut vraiment arriver au pouvoir et ne pas rester dans l’opposition toute sa vie, et elle s’adapte pour atteindre cet objectif. Même si cela peut souvent décevoir, bien évidemment, je crois que le père et la fille ont malgré tout beaucoup en commun, à la fois sur le plan humain et sur la manière dont ils conduisent leur parti. C’est assez facile de faire de Jean-Marie Le Pen le roi Lear et de placer Marine dans le rôle de Régane, la fille qui trahit son père dans la pièce de Shakespeare, mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Comment le décès de Jean-Marie Le Pen a-t-il été relaté dans les médias polonais?

Les médias polonais ont largement relayé la nouvelle du décès du père de Marine Le Pen et les gens en Pologne ont été sincèrement choqués par le fait qu’il y ait eu des démonstrations de joie en France, de la part de gens hostiles au RN. Et à l’occasion de son décès, il y a eu beaucoup de commentaires, au moins dans les médias de droite, expliquant que Jean-Marie Le Pen, malgré ses outrances et ses petites phrases, avait, avant les autres, mis en garde contre le vrai danger pour la France et pour l’Europe et qu’il avait eu raison sur des sujets fondamentaux comme l’Islam, l’immigration extra-européenne et aussi le déclin civilisationnel de l’Europe. Je crois que, finalement, il est perçu ici comme quelqu’un qui a mené les batailles qui sont les nôtres aujourd’hui, parce que la Pologne est aujourd’hui dans une situation similaire à celle de la France il y a quelques décennies, au début de ce phénomène d’immigration de masse. C’est pourquoi le personnage de Jean-Marie Le Pen, tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a eu à subir aussi pendant sa vie, peut être aussi une inspiration pour nous, Polonais.

Propos recueillis par Olivier Bault, de l’Institut Ordo Iuris

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