Benoît XVI a écrit une lettre au philosophe et sénateur italien Marcello Pera (ancien président du Sénat, qui s'est déjà illustré sur l'islam) pour le remercier de la contribution apportée par son dernier livre, où il montre que la base du libéralisme se trouve dans la relation de la personne avec Dieu. L'ouvrage, intitulé « Perché dobbiamo dirci cristiani. Il liberalismo, l'Europa, l'etica » («Pourquoi devons-nous nous dire chrétiens. Le libéralisme, l'Europe, l'éthique»), contenant le message du pape, a été présenté jeudi à Rome. Après avoir reconnu que la lecture de ce livre était «passionnante», le pape a souligné qu'il partageait les observations qui y sont faites, notamment
"l'analyse sur l'essence du libéralisme à partir de ses fondements […] à l'essence du libéralisme appartient son enracinement dans l'image chrétienne de Dieu : sa relation avec Dieu dont l'homme est l'image et dont nous avons reçu le don de la liberté. Dans une logique indéniable, vous montrez que le libéralisme perd sa base et se détruit lui-même s'il abandonne ce fondement. Votre analyse sur ce que peuvent être l'Europe et une Constitution européenne où l'Europe ne se transformerait pas en une réalité cosmopolite, mais trouverait, à partir de son fondement chrétien libéral, sa propre identité est d'une importance capitale".
Selon Benoît XVI, Marcello Pera
"montre que le libéralisme, sans cesser d'être un libéralisme mais au contraire, pour être fidèle à soi-même, peut renvoyer à une doctrine du bien, en particulier à la doctrine chrétienne qui lui est congénère, offrant ainsi vraiment une contribution au dépassement de la crise. Sobre et rationnel, ce livre, aux arguments forts et aux riches informations philosophiques, est à mon avis d'une importance fondamentale en cette heure de l'Europe et du monde".
Dans un entretien accordé à Radio Vatican le 28 novembre, Marcello Pera a confié ses espoirs que Benoît XVI aide le libéralisme à trouver ses racines. Le philosophe italien a aussi expliqué les motifs pour lesquels le libéralisme est parfois devenu antichrétien :
"Pour ce qui est de l'Europe en particulier, il y a une explication historique. Bon nombre de libéraux se sont souvent trouvés en conflit avec l'Eglise catholique, et c'est un fait amer de l'histoire de l'Europe qui ne se vérifie pas dans l'histoire de l'Amérique. Certains Etats nationaux, l'Italie et la France, se sont d'ailleurs constitués comme Etats-nations en s'opposant, en entrant en conflit avec l'Eglise catholique. Ceci a engendré un phénomène bien connu qui est l'anticléricalisme, et l'anticléricalisme en a engendré un autre : celui que j'appelle dans mon livre ‘l'équation laïque', autrement dit libéral = non chrétien. Ceci est une erreur, car on peut discuter historiquement des mérites ou non de l'Eglise catholique en Europe lors de la fondation des Etats nationaux, mais on ne peut discuter de l'importance du message chrétien. Nous voyons bien cela aujourd'hui, car si nous faisons ce deuxième choix, c'est-à-dire si nous passons de l'anticléricalisme à l'antichristianisme, ce qui équivaudrait à une apostasie du christianisme, nous perdons les qualités mêmes, les vérités mêmes, les fondements mêmes de ces libertés et de ces droits sur lesquels se fondent nos Etats libéraux".
Pascal G.
Il y a là de la part de BENOIT XVI une réévaluation de ce qu’est le libéralisme en ce début de XXI ème siècle : “en particulier à la doctrine chrétienne qui lui est congénère”.
Certes, il s’agit bien de la liberté au sens chrétien : la possibilité donnée à l’homme de choisir librement le Bien contre le Mal. Ce qui dans la DSE est décliné selon un certain nombre de principes, qui balisent politiquement et socialement le couple liberté-responsabilité, auquel correspond le libre contrat chez les penseurs libéraux classiques, comme BASTIAT.
Mais il est ainsi dit que libéralisme et christianisme ne sont pas antagonistes. F. von HAYEK avait déjà pressenti cette possibilité. Michael NOVAK, libéral américain catholique qui a fortement marqué certaines encycliques de J-P II avait également développé l’idée que la liberté éclairée par la morale chrétienne permet de construire une société responsable sans l’omniprésence étatique faussement ”libérale”.
GARELLO jacques
La nouvelle que vous diffusez est d’une grande importance, au moment où l’on s’interrogeait sur la publication d’une nouvelle encyclique sur la doctrine sociale de l’Eglise et son contenu. Beneoit XVI a ainsi confirmé les quelques indications qu’il avait données dans Spe Salvi : l’économie de libertés est seule compatible avec la dignité de la personne humaine.
Je suppose que vous connaissez l’existence de l’Association des Economistes Catholiques de France,fondée par le Pr Jean Yves Naudet, et à laquelle j’appartiens. Nous avons beaucoup travaillé sur Centesimus Annus, et restons persuadés que la doctrine sociale de l’Eglise a fait un bond prodigieux avec cette Encyclique, même si la tradition catholique remontant à Rerum Novarum posait les principes de base : rejet du socialisme, respect de la propriété privée. J’ai moi-même beaucoup écrit et donné de conférences (y compris en Italie) sur le thème des liens entre libéralisme et christianisme. Les problèmes viennet sans doute d’une mauvaise conception du libéralisme.
Nous pouvons peut-être conjoindre nos efforts et, au minimum, nous informer mutuellement.
Très sincèrement
Pr Jacques Garello, Université Paul Cézanne, Aix en Provence
Christian B.
Bonjour à tous, et merci pour votre blog.
Pardonnez ma question d’ignorant mais “Rerum Novarum” et “Quadragesimo anno” ne disent-elles pas explicitement le contraire de ce que dit Monsieur Pera au sujet du libéralisme (que je suppose économique)?
Et s’il s’agit du libéralisme philosophique et non économique, Donoso Cortès en a éclairé les incompatibilités majeures avec le catholicisme…
Y a-t-il quelqu’un pour m’éclairer?
Merci et bon dimanche,
Christian.
FRL
de quoi parle t’on?
le libéralisme philosophique a été condamné sans équivoque par les papes parce que justement, il postule l’autonomie de l’homme par rapport à Dieu( cf les Lumières) et il s’est construit en rejet du règne social de NSJC: affirmer que l’essence du libéralisme s’enracine dans l’image chrétienne de Dieu est un contre sens majeur!
Le libéralisme économique (le capitalisme) n’a pas été formellement condamné au même titre que le communisme, néanmoins, son postulat de départ est l’argent et la réussite individuelle bien avant la charité: on est loin du compte…
enfin, détail qui en dit long: à la différence de l’Italie, la France ne s’est pas constituée en Etat-nation en s’opposant à l’Eglise mais bien dans une relation filiale
Je retiens de tout ceci qu’en se refusant à définir correctement les mots ou en les employant dans un sens qui leur est intimement contraire, on sème la confusion chez les chrétiens et on ne convainc pas les non chrétiens!
Olivier
Vous avez un libéralisme qui prend sa source dans l’école de Salamanque du XVIème siècle, qui a pour base le thomiste.
Voir le “libéralisme” des lumières n’est en rien libéral puisque pour ces penseurs l’homme n’est qu’une machine déterminée, il n’a pas de libre-arbitre.
Pascal G.
@FRL
Les papes ont condamné le libéralisme qui prétendait refuser les règles de la morale naturelle ; mais ce libéralisme n’était que la ligne politique des bourgeoisies voltairiennesdu XIX ème siècle, qui s’étaient affublées du terme de libéral, alors que leur seul credo était de se servir de l’Etat pour refuser les libertés sociales, et les droits civils élémentaires à toutes les catégories sociales et corps intermédiaires dans la ligne de Robespierre et de Napoléon. C’est contre eux que se dressèrent les catholiques sociaux, qui défendaient eux, l’autonomie des corps sociaux et leurs doits moraux et juridiques à la fois contre l’Etat et aussi contre les groupes dominants. Et donc qui préconisaient que la dignité et la liberté des personnes soient garanties, non par une Déclaration mais par des institutions sociales libres.
C’est là que se situe le point de convergence entre le libéralisme économique et la DSE : le principe de subsidiarité traduit concrètement par le droit reconnu aux corps sociaux d’élaborer leurs règles de fonctionnement et de ne pas dépendre de la puissance publique.
Tocqueville, en décrivant la société américaine de son temps avait bien compris que ce qui faisait le ciment de cette société était le contrat entre individus et groupes constitués, selon un modèle proche de la société d’Ancien Régime. A l’inverse complet du jacobinisme étatique et de plus en plus socialisant : le modèle dit ”républicain” qui fait du citoyen un serf de l’Etat.
Quant à l’état-nation c’est une théorie révolutionnaire, qui fait de l’Etat le remplaçant du Roi mais sans la morale chrétienne que lui imposait l’onction du sacre. L’Etat-nation jacobin réalise le rêve rousseauiste du contrat social, qui interdit tout contrat privé majeur au sein de la société, au profit du seul pouvoir de l’Etat, lequel est avec son administration et sa législation sans fondements moraux le ma^tre absolu que ne fut jamais aucun souverain même absolu de l’ancien Régime.
En ce sens le Moyen Age, pyramide de contrats garantis par le serment fut libéral et chrétien. Il assura d’ailleurs la plus grande et la plus longue période de progrès économique et démographique de notre histoire, envisagé sur toute sa durée.