Le 13 novembre, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Pologne pour violation du « droit à la vie privée » d’une femme qui s’est rendue à l’étranger pour avorter d’un enfant porteur de trisomie. Les juges ont rendu cet arrêt à l’unanimité.
Les avortements eugéniques déclarés inconstitutionnels en 2020
La loi polonaise datant de 1993 autorisait l’avortement quand « des examens prénataux ou d’autres données médicales indiquent une forte probabilité de handicap grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant sa vie ».
Par un arrêt du 22 octobre 2020, la Cour constitutionnelle polonaise a déclaré inconstitutionnel le fait d’avorter en invoquant la trisomie de l’enfant à naître. Néanmoins, l’avortement est resté autorisé si la poursuite de la grossesse présente un danger pour « la vie ou la santé physique de la femme enceinte », ou bien si la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste.
Cet arrêt n’a été publié que le 27 janvier 2021, date à laquelle il a pris effet. C’est ce délai que reproche la CEDH à la Pologne.
Un diagnostic de trisomie 18 et un avortement aux Pays-Bas
La requérante indique qu’au moment du prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, elle était enceinte de 15 semaines. En outre, les résultats de tests médicaux datés du 5 novembre 2020 auraient confirmé que le fœtus était atteint de trisomie 18.
« Ne voulant pas courir le risque de voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle publié avant d’avoir pu subir un avortement légal », la Polonaise s’était rendue aux Pays-Bas, où elle a subi un avortement dans une clinique privée.
Elle a par la suite décidé de saisir la CEDH, invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. La requérante affirme que « les restrictions introduites par la Cour constitutionnelle lui [ont] causé des souffrances morales graves et réelles », arguant en outre que la restriction en cause n’était pas « prévue par la loi ».
Une situation de « grande incertitude » à l’origine d’une « ingérence » dans les droits de la plaignante
Pour la Cour, « l’ingérence dans l’exercice de ses droits par la requérante a découlé de la situation de grande incertitude qui a régné entre le prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, en 2020, et sa publication, en 2021 ». Car, « entretemps, il était difficile de savoir si les restrictions à la pratique de l’avortement pour anomalies fœtales étaient déjà entrées en vigueur ou si l’avortement pouvait encore être effectué légalement ». Ainsi la requérante a été « directement touchée » par l’évolution de la législation, considère la CEDH. « Dans les circonstances particulières de l’espèce, cette situation d’incertitude prolongée s’analyse en une « ingérence » dans l’exercice par la requérante de ses droits garantis par l’article 8 », considèrent les juges de la CEDH.
Ils ne retiennent toutefois pas de grief selon lequel les restrictions introduites par la Cour constitutionnelle se seraient traduites par un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
La Pologne devra verser 1 495 euros à sa ressortissante pour « dommage matériel » et 15 000 euros pour « dommage moral ».
Une ingérence européenne ?
Le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies avait affirmé en 2018 que « les lois qui autorisent explicitement l’avortement en raison d’un handicap violent la Convention des droits des personnes handicapées (Art. 4,5 et 8) ».
La commission des Droits des femmes du Parlement européen a, elle, choisi une autre position en adoptant il y a peu la création d’un fonds pour avorter à l’étranger, la loi polonaise étant notamment dans le viseur. Pourtant, à l’occasion d’un précédent arrêt où elle avait déjà condamné la Pologne, la Cour européenne des droits de l’homme avait rappelé que « l’article 8 ne peut-être interprété comme conférant un droit à l’avortement », ajoutant que « toute réglementation relative à l’interruption de grossesse ne constitue pas une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la mère ».
La souveraineté des Etats en matière d’avortement résistera-t-elle longtemps aux assauts européens ?
Source : Gènéthique
