Avant d’aborder le sujet de la concélébration, l’abbé de Massia revient sur Claves sur la communion dans l’Eglise :
On ne peut pas décider au nom de la foi de ne plus respecter la communion hiérarchique, car la reconnaissance de l’autorité du pape et des évêques relève elle-même de la foi dans le mystère de l’Église.
Nous sommes bien conscients des difficultés et des questions pratiques que soulèvent aujourd’hui ce deuxième point de la communion visible pour une partie des fidèles et des prêtres attachés à la liturgie traditionnelle. Mais ces difficultés, parfois réelles et douloureuses, ne doivent jamais nous faire oublier le principe : il n’y a pas de communion ecclésiale en dehors d’une reconnaissance vécue, par des actes concrets, de la hiérarchie de l’Église.
1 – Bien tenir le principe
« Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon Église[1] », dit Jésus au prince des apôtres, fondant ainsi la hiérarchie apostolique autour du pape et des évêques. Si cela vient de Jésus, l’homme ne peut le changer : c’est une institution divine. C’est au pape et aux évêques, sur mission directe du Christ, que revient la charge de diriger l’Église, de préserver son unité et d’orienter les âmes vers le Ciel : nul ne peut le faire à leur place. L’un des fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre, l’abbé Denis Coiffet, rappelait souvent que « ce n’est pas nous qui sauverons l’Église : c’est l’Église qui nous sauve ».
Nous ne pensons pas que l’on puisse mettre un ordre d’importance entre la communion par la foi et la communion hiérarchique, et encore moins que l’on puisse, poussé par la nécessité, choisir l’une au détriment de l’autre, et décider au nom de la foi de ne plus respecter la communion hiérarchique. Si le pape est vraiment pape, alors la reconnaissance de l’autorité du pape et des évêques relève elle-même de la foi dans le mystère de l’Église : c’est à travers cette hiérarchie actuelle, concrète, que le Christ agit sur nous, lui qui a dit à saint Pierre : « Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux[2] ».
Il y a là, très certainement, un mystère de foi à méditer longuement. Si, à certains moments de l’Histoire de l’Église, la conciliation de ces deux communions (celle par la foi et celle par la soumission à la hiérarchie légitime) a pu sembler difficile au regard de la raison naturelle, en raison de possibles défaillances de la hiérarchie, il faut se rappeler que le chrétien est guidé, dans sa conduite, par les vertus théologales, et plus encore par le Saint-Esprit : et Lui trouve toujours un chemin. L’exemple des saints, en ce domaine, peut vraiment nous aider.
Mais, de manière plus concrète, les difficultés en ce domaine viennent souvent de ce que l’on comprend mal ce que signifie l’obéissance à la hiérarchie, son extension, et ses justes limites. Sans entrer dans tous les détails, voici donc quelques précisions importantes.
2 – Bien comprendre ce que signifie cette soumission à la hiérarchie
1 : La Nota Praevia de Lumen Gentium a pris le temps de bien préciser que cette communion hiérarchique (par exemple des prêtres avec leur évêque) n’est pas « quelque vague sentiment, mais une réalité organique qui exige une forme juridique et qui en même temps est animée par la charité[3] ». Pour un prêtre, être en communion avec son évêque, cela repose sur des critères objectifs, une détermination de nature canonique, comme par exemple l’exercice d’une mission dans un diocèse à la demande de celui-ci. En revanche, et très heureusement d’ailleurs, cette communion ne réside pas dans un sentiment, une impression positive ou négative, laissé au jugement subjectif du supérieur ou de l’inférieur, ce qui risquerait de créer des injustices entre les prêtres ou entre les diocèses. « Je ne vous sens pas en communion », voilà bien une phrase impossible à prononcer après Vatican II : on l’est, ou on ne l’est pas.
La question de la concélébration est fréquemment évoquée dans les discussions récentes, et parfois présentée comme un acte nécessaire pour exprimer cette communion : nous nous permettons de garder ce point, délicat, pour le prochain article, car il concerne en réalité la communion dans les sacrements.
2 : Il faut ajouter que la communion hiérarchique doit s’harmoniser avec les principes traditionnels de la vertu l’obéissance dans la cadre des relations filiales et amicales. Le concile précise en effet que, face à « l’attachement sincère dans la charité et l’obéissance[4] » dont doit témoigner le prêtre pour son évêque, l’évêque est en retour appelé à considérer ses prêtres comme ses coopérateurs, ses fils et ses amis placés sous son autorité[5]. Les récentes révélations sur les abus de pouvoir et d’autoritarisme chez des hommes d’Église ont manifesté au grand jour que l’on pouvait parfois se faire une fausse conception de l’obéissance, conçue, à tort, selon un accent volontariste, comme une obéissance aveugle : rien n’est plus contraire à l’esprit chrétien. Une meilleure compréhension de la communion hiérarchique ne peut faire l’impasse d’une réflexion sur l’obéissance, sa nature et ses justes limites. D’un côté, obéir ce n’est pas toujours être d’accord avec son supérieur ; de l’autre, obéir ne dispense pas d’exercer sa raison, et nul ne peut être forcé d’aller contre sa conscience, ou d’obéir à un ordre injuste, abusif, illégitime ou contraire à une autre loi de l’Église[6]. Dans certains cas extrêmes, auxquels nous espérons bien ne jamais avoir à faire face, une désobéissance matérielle à tel ou tel ordre concret de l’autorité hiérarchique ne correspondra pas nécessairement à une atteinte à la communion hiérarchique : de même que l’on peut ne pas suivre, parfois, tel ordre de son père qui va contre notre conscience, tout en continuant de le considérer comme son père et en lui obéissant sur tous les autres points. Sur ce point, nul doute n’est permis, à moins que l’on tienne que l’obéissance dans l’Eglise est une obéissance totalitaire. La liberté d’agir selon sa conscience est un principe beaucoup trop chrétien pour qu’on l’élimine d’un revers de la main, sous prétexte que l’obéissance est une vertu chrétienne : les deux doivent toujours aller ensemble.
3 – Quelle communion, concrètement ?
Quelle communion hiérarchique pour les instituts dits « traditionnels », comme la FSSP ?
D’abord, il peut être utile de le rappeler : c’est l’Église catholique, à travers la personne du pape Jean-Paul II, qui a accompagné la fondation de la FSSP en 1988, la dotant d’un droit propre fondé sur l’usage des livres de 1962. Les constitutions de la FSSP ont ensuite été approuvées de manière définitive en 2003, manifestant qu’il ne s’agissait pas là d’une disposition provisoire, mais permanente.
Les prêtres de ces instituts exercent ensuite leur mission sous l’autorité de l’évêque du lieu, et du curé territorial, parfois comme chapelain ou comme vicaire. En outre, beaucoup de nos confrères se voient confier des missions qui relèvent directement de l’autorité de l’évêque : aumôneries de cliniques, de prisons, d’écoles ; services dans les chancelleries des diocèses, au bureau des mariages… Ces prêtres participent aux réunions du presbyterium, du doyenné et aux grands évènements diocésains, nouent des amitiés sacerdotales avec le clergé local. Les fidèles de ces communautés participent au denier du culte, et selon les conventions, les quêtes sont parfois versées directement à la paroisse. Nombreuses sont les œuvres spirituelles ou caritatives où se mêlent des « réguliers » des deux formes : adorations, pèlerinages, conférences saint Vincent de Paul…
Voilà des réalités objectives : voilà la réalité d’une communion à la hiérarchie, réellement vécue.
Cependant, nous l’avons dit plus haut, la communion n’est pas l’uniformité. Aussi, les instituts comme la FSSP ont une identité propre, confirmée par l’autorité la plus haute de l’Église, qui passe par la célébration de la liturgie traditionnelle, et les méthodes traditionnelles d’enseignement de la foi par le catéchisme, entre autres. La légitimité de ces œuvres apostoliques particulières, véhiculant un charisme propre, est pleinement reconnue et protégée par l’Église. Le pape Jean-Paul II, à propos des Sociétés de vie apostolique, rappelait que leur rôle n’était pas de s’effacer mais au contraire de rayonner, selon leur charisme propre, pour enrichir la vie diocésaine[7].
Précisons cependant un point important : la communion ecclésiale peut aller de pair avec des désaccords réels, et même très sérieux, liés à la période de crise de l’Église que nous traversons. Nous pensons qu’il est fondamental, pour avancer dans un sain dialogue théologique, de distinguer ce qui est nécessaire pour qu’un catholique appartienne à l’unité de l’Eglise, de ce qui est libre. Oui, l’attachement de ces prêtres et de ces fidèles à la liturgie traditionnelle n’est pas fondé seulement sur un choix esthétique ou nostalgique, ou sur une « sensibilité ». Il y a pour nous des raisons théologiques, doctrinales, selon lesquels ces prêtres et ces fidèles, en prudence, choisissent cette messe et ce catéchisme. Ces raisons prudentielles ne sont pas partagées par tous. Les choix de l’un seront vus comme une dépréciation des choix de l’autre. Mais justement, la communion dans l’Église ne réside pas dans cette uniformité. Ce qui est nécessaire, c’est l’unité dans la foi, la hiérarchie, les sacrements. Ce qui est libre, c’est d’user dans l’Eglise des moyens de sanctification qui nous semblent, à chacun, les plus aptes, pour nous sanctifier. Au contraire, pour les âmes de bonnes volontés, ces désaccords profonds qui ont leur origine dans une crise sans précédent de l’Église peuvent souvent être à l’origine de discussions franches et fructueuses, et d’évolutions significatives, faisant avancer toujours plus la communion dans la vérité.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu faire d’abord cette étude sur la communion ecclésiale, sans aborder, pour le moment, les raisons profondes de notre choix liturgique. Nous espérons pouvoir le faire dans une autre étude, plus tard. Mais en réalité, c’est une autre question : elle est importante, elle est même extrêmement sérieuse, mais en aucun cas, ces réserves ne remettent en cause la réelle communion à l’Eglise des catholiques traditionnels.
4 – Croire à la Providence divine
En 1988, ayant quitté Mgr Lefebvre – qui s’apprêtait à sacrer quatre évêques sans mandat pontifical – pour demeurer uni au saint Père, nos fondateurs sont allés à Rome, et ont demandé au pape comment ils pourraient vivre de leur charisme traditionnel dans l’Église. Le pape Jean-Paul II leur a simplement répondu : « voici ceux qui me sont restés fidèles », et la Fraternité Saint-Pierre est née ; aucune condition, aucune exigence de célébrer selon un autre missel que celui de 1962 : seul était requis de reconnaître le Concile Vatican II, et la validité de la messe de Paul VI, ce qui ne pose aucun problème aux communautés qui reconnaissent l’autorité légitime du pape.
30 ans plus tard, le Motu Proprio Traditionis Custodes semble remettre tout cela en cause. Les commentateurs annoncent la mort de la Fraternité Saint Pierre, et de la messe traditionnelle. Dans le même élan que les fondateurs, des prêtres de la FSSP vont à Rome, rencontre le pape François, et lui soumettent le même dilemme : nous sommes prêtres traditionnels, nous souhaitons vivre de cette messe traditionnelle, tout en restant en communion avec vous : que pouvons-nous faire ? La réponse arrive quelques semaines plus tard, le 11 février 2022, jour de la consécration de la FSSP au cœur Immaculée de Marie. Le saint Père François nous confirme dans nos statuts propres, sans aucune condition, sans aucune exigence de célébrer un autre missel que celui de 1962 ; exactement comme le pape Benoît XVI et le pape Jean-Paul II avant lui.
Il nous semble donc que la ligne que nous essayons de suivre, sans être la seule ligne possible pour se sanctifier et aller au Ciel (car en fin de compte, c’est cela qui importe), est une ligne d’Église, et la Providence nous l’a montré, par deux fois. Est-ce une position facile ? Certainement pas. Il serait bien plus facile, pour le développement de nos oeuvres, soit d’accepter de changer notre identité propre, soit de nous affranchir d’une autorité qui, parfois sinon souvent, ne comprend pas nos choix. Mais nous ne le voulons pas. C’est une ligne de crête, dictée non pas par la facilité, le rendement, ou l’efficacité supposée : mais sur ce qui nous semble, en prudence, être la vérité, en conscience. L’Église nous dit que cette ligne est possible. Elle ne brise pas la communion. Telle est la liberté des enfants de Dieu, des enfants de l’Église.