De l’abbé Claude Barthe dans Res Novae :
Une des conséquences peu soulignée du grand chambardement qui a suivi le concile Vatican II est l’effondrement de la pratique de la confession. Le phénomène en dit long sur l’effacement du sens du péché et plus généralement sur la mutation du catholicisme, au moins quant à sa perception par ceux qui y adhèrent. Le retour sera sur ce point aussi nécessaire que difficile pour la pastorale qu’aura à mettre en œuvre une vraie réforme de l’Église.
Brève histoire de la « seconde pénitence » après le baptême
L’avertissement Sancta sanctis, « Les choses saintes pour ceux qui sont saints ! », qu’on trouve dans le chapitre VIII des Constitutions apostoliques, rédigées vers la fin du IVe siècle, existe aujourd’hui dans la plupart des liturgies orientales (et aussi dans la liturgie mozarabe), rappelant l’obligation de la pureté de conscience pour approcher de la communion.
Il convient bien sûr de replacer l’analyse de ce phénomène dans une histoire de ce sacrement. Elle montre une tension continuelle entre la nécessité du sérieux de la conversion, et donc la vérification par le prêtre, autant qu’il est possible, de la véracité du ferme propos (c’est-à-dire la ferme intention de ne pas retomber) pour donner l’absolution, d’une part, et l’importance pastorale d’y faire accéder le grand nombre des chrétiens pour les faire bénéficier de cette purification, d’autre part. Ce qui s’est manifestée par le passage de la confession rarissime à sa multiplication au cours de l’existence, de la pénitence publique à la pénitence privée.
En effet, la « seconde pénitence » (Tertullien, De pænitentia), pour être purifié des péchés commis après le baptême s’opérait par l’onéreuse pénitence publique, long temps d’expiation des péchés graves (adultère, crime, reniement de la foi), s’achevant par une réconciliation opérée par l’évêque. Mais au VIe siècle, les moines irlandais débarquant sur le continent y importèrent la pratique de la pénitence privée, fréquemment renouvelable, version pour des laïcs d’un usage de monastère, avec pénitences ascétiques ou commutations (messes par exemple). Un mouvement spirituel d’intériorisation de la religion, notamment dans des ordres mendiants, fut un terrain favorable à la diffusion de la confession fréquente, accompagnée pour les fidèles les plus fervents d’une direction spirituelle, sachant cependant que la communion fréquente, à cette époque, restait rare.
Le IVe concile de Latran, en 1215, imposa à tous les laïcs parvenus à l’âge de discrétion ou âge de raison (l’âge auquel on distingue le bien du mal), la confession annuelle et la communion pascale annuelle dans sa propre paroisse. De fait, cela revenait à imposer une confession au temps de Pâques suivie de la communion – actes sacramentels décrits par l’expression « faire ses Pâques » – le concile de Latran consacrant la confession auriculaire (à l’oreille du prêtre) en remplacement de la confession publique, qui garda cependant longtemps des partisans. Le concile de Trente confirma la discipline de Latran IV, dans le climat de contestation du sacrement de pénitence provoquée par le protestantisme.
Après le concile de Trente et jusque dans le premier XIXe siècle, la longue querelle entre rigoristes et molinistes, déployée notamment en France et en Italie, témoigne à nouveau de la tension entre ces deux pôles pastoraux. Les maximes gallicanes et janséniste prescrivaient d’user souvent du report d’absolution pour s’assurer de la contrition du pénitent récidiviste (après avoir avoué des péchés graves au confesseur, il devait s’efforcer de ne plus commettre ces péchés et revenir plus tard devant lui pour recevoir l’absolution). Saint Alphonse de Liguori, au XVIIIe siècle, formé par les jésuites, peut être considéré comme le grand représentant de la morale romaine, qui sans être laxiste se gardait d’un rigorisme qui faisait fuir le sacrement. Au XIXe siècle, la morale rigoriste perdit d’ailleurs du terrain, au sein d’un vaste mouvement favorable à l’ultramontanisme (ecclésiologie, liturgie, bientôt philosophie néo-thomiste, et morale). Ainsi le Curé d’Ars, confesseur par excellence, évolua-t-il durant sa carrière pastorale de la sévérité à la française au liguorisme. Si le délai imposé pour l’absolution devint rare, les refus d’absoudre existaient. Des lieux et temps de confessions s’organisaient, comme les missions paroissiales et les sanctuaires de pèlerinage.
Mais la balance de la théologie morale, penchant diversement selon les époques et les écoles entre exigence du ferme propos et condescendance (ne pas écraser la mèche qui fume encore), a été purement et simplement évacuée, dès lors qu’en vertu de théories laxistes de « gradualité » pour sortir du péché ou d’« accompagnement » du pécheur pour cette (théorique) sortie progressive (par exemple de l’usage de la contraception, de l’adultère consacré par le « remariage » après divorce), le ferme propos est par définition inexistant.
La confession, une charge sacerdotale jadis considérable
Jusqu’à Vatican II, la formation à la confession dans les séminaires avait une place importante. Elle correspondait à la charge considérable que représentait ce sacrement dans la vie des prêtres de paroisse. Sans parler des foules permanentes de pénitents dans les lieux de pèlerinage, comme dans la chapelle des confessions à Lourdes, devant les confessionnaux, aujourd’hui inutilisés, de toutes les églises, se formaient des files de pénitents, dès l’instant qu’un confesseur s’y trouvait. À la veille des fêtes, et spécialement lorsque approchait la fête de Pâques, des journées entières étaient employées à entendre les pénitents. Les missions paroissiales, comme nous le disions dans un précédent article commençaient par une prédication invitant aux « grandes réflexions » sur la mort, les fins dernières, le péché. Puis pendant des journées entières, les confessions des paroissiens étaient entendues, ils étaient d’ailleurs invités à faire des confessions générales de toute leur vie. Dans une société où l’immense majorité avait été catéchisée dans l’enfance, les conversions de mécréants se manifestaient essentiellement par une confession par laquelle ils rompaient avec leur vie ancienne.
Les années 50 du XXe siècle, années de grande turbulence dans l’Église, furent aussi, paradoxalement, celles d’une pratique sacramentelle plus intense. En France, les enquêtes du chanoine Fernand Boulard montrent que 43% seulement des Français faisaient alors leurs Pâques, mais qu’une certaine embellie se produisait, notamment en raison de la banalisation de la communion des hommes qui, dans certaines régions, y étaient restés jusque-là réfractaires. D’autant que les appels de saint Pie X à la communion fréquente (décret Sacra tridentina, du 20 décembre 1905) étaient plus largement entendus du fait de l’allégement de la discipline du jeûne eucharistique opérée par Pie XII (non plus jeûne depuis minuit, mais de trois heures pour la nourriture solide et les boissons alcoolisées, et de une heure pour les boissons non alcoolisées).
Le cataclysme
« Dans l’Église, la confession, cela a été la chute libre sans parachute. Cette chute n’a été rencontrée nulle part ailleurs, ni pour l’Eucharistie, ni pour la foi », écrivait un aumônier d’Action catholique, supérieur de grand séminaire, dans un dossier du Pèlerin, 3 novembre 1974, cité par Guillaume Cuchet, selon lequel « la crise de la confession est un des aspects les plus révélateurs et les plus saisissants de la “crise catholique” des années 1965-1978 ».
Il se réfère aux trois sondages dont on dispose en la matière, le premier réalisé par l’Ifop en 1952, le deuxième par la Sofres en 1974 et le dernier, toujours par la Sofres en 1983 :
- En 1952, 51% des adultes catholiques déclaraient se confesser au moins une fois par an, dont 15%, qu’on pouvait nommer les pénitents fréquents, se confessaient une fois par mois, et parmi eux 2% le faisaient toutes les semaines.
- En 1974, 29% seulement se confessaient une fois par an, les pénitents fréquents ayant pratiquement disparu (1%).
- En 1983, les « annuels » étaient tombés à 14%.
Ce fut donc une rupture brutale : tandis que se tarissait le flux des pénitents ordinaires, le groupe des pénitents fréquents, catholiques qui constituaient le cœur de l’Église, disparaissait pratiquement.
La pratique des « cérémonies pénitentielles » (un certain nombre d’entre elles suivies d’absolutions collectives qui, selon la doctrine classique, sont réservées à des situations de grave danger de mort, sous réserve d’avouer ensuite ses péchés en confession si on en réchappe), a aussi contribué à déprendre les fidèles de l’habitude de la confession individuelle. L’Ordo pænitentiæ de 1974, puis le canon 961 essayent d’encadrer cette évolution : la célébration pénitentielle avec absolution collective exige une grave nécessité, de laquelle juge l’évêque diocésain en accord avec la Conférence des Évêques. En bien des endroits, elle est devenue tout ce qui reste de la pratique du sacrement de pénitence.
Certes, dans son motu proprio Misericordia Dei du 7 avril 2002, Jean-Paul II avait tenté de réagir : « La grande affluence de pénitents ne constitue pas à elle seule une nécessité suffisante » (n. 4). Il est au reste probable que les catholiques qui répondaient aux sondages de 1974 et 1983 considéraient qu’en usant de ces pratiques, ils s’étaient confessés.
Mais si la confession a ainsi disparu de la vie des catholiques, la communion s’est en revanche généralisée, au point que lors d’une messe « ordinaire », en rite Paul VI, la presque totalité des assistants communient, y compris dans des cérémonies où il est évident que sont présents de nombreux pratiquants très occasionnels. En réalité, le chapitre VIII d’Amoris lætitia, concernant les divorcés « remariés » ou le document du 22 février 2018 approuvé par la majorité des évêques allemands visant à permettre aux époux de mariages confessionnels mixtes de participer ensemble à l’Eucharistie, ne font que suivre et consacrer ce qui se pratique tranquillement à la base. Le cardinal Vingt-Trois, qui a déployé une critique feutrée d’Amoris lætitia,le remarquait avec son humour sarcastique:
« Puisqu’on dit que l’Eucharistie est un repas, il faut bien que ceux qui y assistent mangent. »
Une remontée nécessaire et ardue, pénitentielle
Et cependant, il existe toujours dans un certain nombre d’églises, au moins dans des grandes agglomérations, des permanences sacerdotales qui permettent des confessions, parfois même, comme à Paris à Saint-Louis-d’Antin, plusieurs confesseurs ont une activité sacramentelle continue. Il n’est pas douteux que les « nouveaux prêtres » déploient des efforts pour inciter à retrouver le chemin du sacrement de pénitence.
Mais le problème pastoral reste gigantesque et ne cesse de s’accroître en proportion de l’augmentation de l’ignorance catéchétique des catholiques. Il va s’agir de rebâtir la pratique sacramentelle des catholiques qui vont rester dans une Église très réduite en nombre. Le retour à la pratique du sacrement de pénitence sera assurément une des voies pour remodeler un peuple chrétien.
Une des difficultés sera qu’il pourra paraître « rigoriste » de faire retrouver des habitudes d’assistance à la messe sans communion automatique (notamment, peut-être, en rétablissant un jeûne eucharistique plus exigeant), comme de faire en sorte que soient encadrées le rite de communion lors des cérémonies, enterrements, mariages, qui rassemblent aussi un nombre de non-pratiquants voire d’incroyants nombreux, lesquels pensent que la communion est un rite obligé au même titre que l’aspersion du cercueil avec l’eau bénite.
C’est un véritable choc électrique qui devra être produit par une prédication hiérarchique forte et de longue haleine par des évêques réformateurs pour que puisse s’organiser ensuite, sur le terrain, une catéchèse adaptée.