Méditation d’Olivier Debesse sur la Mission du Chapitre Vénérable Marthe Robin, prononcée lors du 39ème pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » :
Introduction
L’organisation du pèlerinage propose pour ce lundi de méditer sur le thème de « La Mission », en lien avec le thème général du pèlerinage de chrétienté qui est « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ». Pour parler de la mission, j’intitule ma méditation :
« La doctrine sociale de l’Eglise, un vrai chemin pour la Vie ».
Malgré le grand nombre d’encycliques qui lui est consacrée, la doctrine sociale de l’Eglise est méconnue. Hormis quelques heureuses initiatives, comme les Parcours Zachée mis en place dans de nombreuses paroisses, la doctrine sociale de l’Eglise est rarement proposée à la formation des laïcs, comme si elle n’existait pas [[1]].
La doctrine sociale de l’Eglise est-elle une connaissance nécessaire au Salut ?
Le catéchisme catholique contient trois connaissances nécessaires au Salut :
- La connaissance de ce que JE dois croire qui est résumée dans le Credo,
- La connaissance de ce que JE dois faire (ou pas) qui est résumée dans les Commandements,
- La connaissance de ce que JE dois espérer qui est résumée dans le Pater.
Pour autant, pouvons-nous nous sauver tout seul sans le secours de son prochain ?
C’est pourquoi l’être humain, le chrétien, ne vit pas seul : il vit en société. Par la Révélation, nous savons que Dieu se présente en trois personnes distinctes formant ainsi une société (une société divine, certes, mais bien une société). Dieu dit dans la Genèse (1, 26) : « faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». C’est donc de notre ressemblance au Dieu Trinitaire que découle notre nature sociale.
Tout homme doit être instruit de la doctrine de l’Eglise sur la société temporelle. C’est pour cela que Jean Madiran écrivait dans Présent en janvier 2006 :
« Même un ermite, qui n’a (presque) aucune relation sociale, a besoin lui aussi des points principaux de la doctrine sociale : il en a besoin pour la justesse du regard contemplatif qu’il porte sur la Création et pour la santé de sa vie intérieure, qui seraient débilitées ou ravagées par des idées fausses. C’est pourquoi la doctrine sociale fait partie des connaissances nécessaires au salut ».
Jean Madiran reprenait ce que disait Pie XII le 29 avril 1945 :
« La doctrine sociale de l’Église est claire en tous ses aspects ; elle est obligatoire ; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral ».
A quoi sert une doctrine ? Quelle est la source de la doctrine chrétienne ?
Qu’est-ce qu’une doctrine ? Jean Ousset [[2]] en donne cette définition :
« Une doctrine est l’ensemble ordonné des notions, des principes généraux (universels) qui demeurent au-dessus des événements, quels qu’ils soient ».
La doctrine de l’Eglise, en matière sociale ou autres, est une norme qui a vocation à rectifier s’il y a lieu les différents enseignements ou discours. La source de la doctrine est la Révélation transmise par l’Ecriture Sainte et la Tradition. Elle se trouve, du moins en période de paix, dans les documents du Saint-Siège tels que les encycliques, les allocutions et les lettres pontificales.
En période de troubles, faisons nôtre ce que disait Don Guéranger [[3]] :
« Il est dans les trésors de la Révélation des points essentiels, dont tout chrétien, par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligée… Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur baptême l’inspiration d’une ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent, pour courir à l’ennemi ou s’opposer à ses entreprises, un programme qui n’est pas nécessaire et qu’on ne doit point leur donner ».
Pourquoi doctrine « sociale » ?
Le mot social ne se réduit pas au bureau d’aide sociale de sa mairie. Social veut dire aussi politique dans le sens d’Aristote : « L’homme est par nature un animal politique ». Ainsi, chaque personne, selon ses charismes et sa disponibilité, participe à l’organisation de sa famille, de son travail, de sa paroisse, de son village, de sa nation.
La doctrine sociale de l’Eglise ne se réduit pas à un « vivre ensemble », certes louable. Elle éclaire l’intelligence de l’homme pour lui permettre d’atteindre ses finalités dans toutes les dimensions sociales dans lesquelles il est enraciné (famille, corps intermédiaires, nation), accomplissant ainsi ses devoirs d’état comme moyens de sanctification, ceci dans la perspective de sa finalité surnaturelle. La doctrine sociale de l’Eglise appliquée à la politique et à la vie sociale est au service de la vertu théologale de charité.
Le pape François [[4]] l’a exprimé dans Evangelii Gaudium (Art. 205) en 2013 :
« La politique tant dénigrée est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun ».
Le bien commun dont il s’agit ici, comme cela n’est pas précisé, est celui de la Cité dont l’Etat à la charge.
Mais la parole du pape peut se décliner dans tous les corps intermédiaires, dans tous les lieux de vie : dans la vie sociale et économique qui nous attend dès demain.
Par exemple, si dans le propos du pape François nous remplacions politique par syndical, cela donnerait ceci : « Le syndical tant dénigré, est une vocation très noble, il est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’il cherche le bien commun ». Le bien commun, pouvant être ici celui de la profession, du métier, de l’entreprise.
De part la distinction à faire entre temporel et spirituel, parler de doctrine sociale de l’Eglise pour la société temporelle ne veut pas dire transposition de la société ecclésiastique sur la société civile. L’Eglise qui est une société spirituelle est une société de personnes tandis que la société civile temporelle est une société de familles. L’Eglise nous appelle par notre prénom de baptême, la société civile par notre nom de famille. C’est pourquoi on ne peut pas organiser la société politique :
« sur le modèle et selon les normes de la société ecclésiastique, [car se serait] méconnaître les nécessités naturelles qui fondent la société politique sans lesquelles celles-ci se décompose » [[5]].
Conclusion
Je vous invite à lire (ou à relire) une encyclique sociale méconnue : Divini Redemptoris de Pie XI publiée en 1937. Cette encyclique a été présenté à sa parution (et elle l’est souvent encore aujourd’hui) comme étant celle qui a condamné le communisme [[6]], alors que, tout en rappelant les précédentes condamnations, le but de Divini Redemptoris était de faire comprendre aux hommes de bonne volonté ce qu’était la vraie nature du communisme et de former les esprits à l’étude de la doctrine sociale catholique. Avec les nouveaux systèmes de domination, cette encyclique est toujours d’actualité.
Que veulent dire ces mots : Divini Redemptoris ? C’est le début en latin du premier article de l’encyclique que voici :
« La promesse d’un divin Rédempteur illumine les premiers pas du genre humain ; l’espoir très confiant en des temps meilleurs adoucit la douleur d’avoir perdu le paradis et accompagna les hommes sur leur chemin de souffrance et d’angoisse jusqu’à ce que, « quand fut arrivée la plénitude des temps » (Galates, 4, 4), la venue du Sauveur comblât l’attente de ce long désir. Il inaugura pour tous les peuples un âge nouveau et plus civilisé, que l’on appelle l’âge chrétien, et qui surpasse et déclasse presque infiniment le degré de développement que quelques nations incomparablement éminentes avaient atteint à grand peine ».
Voilà le trésor dont nous sommes les héritiers, et que jour après jour nous devons porter, quel que soit notre état de vie, partout où la Providence nous a placée. Notre feuille de route ouverte par Notre Seigneur Jésusest tracée pour la Mission : ne craignons pas d’aller au devant des autres, même s’ils sont éloignés. Sur cette route, nous avons une boussole : la doctrine sociale de l’Eglise catholique.
Comme dit Saint Jacques dans son Epitre (1, 22) :
« Mes biens aimés, mettez en pratique la parole de Dieu, et ne vous contentez pas de l’écouter en vous leurrant vous-mêmes ».
Ne nous dérobons pas : « La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux » (Matthieu 9, 37). Nous sommes tous envoyés en mission pour le bien des personnes qui nous sont confiées dans nos différents lieux de vie ET pour le bien de la société.
Le bien naturel ET le bien surnaturel.
« Car [disait Péguy dans Eve], le surnaturel est lui-même charnel
et l’arbre de la grâce est raciné profond ».
« Citations »
Il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais dans leur démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ils se donneront des maîtres selon leurs désirs, et détourneront l’oreille de la vérité pour l’ouvrir à des fables.
Saint Paul, 2ème épitre à Timothée, 4, 3
On ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Eglise n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la citée nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : omnia instaurare in Christo (Tout restaurer dans le Christ).
Pie X (1835 – 1914), Notre charge apostolique, 25 août 1910
Mon jeune camarade, l’avenir vous apprendra qu’il ne suffit malheureusement pas d’être catholique. Il faut encore travailler dans le temporel si on veut arracher l’avenir aux tyrannies temporelles.
Charles Péguy (1873 – 1914), l’Argent suite, 22 avril 1913
Par la Révolution de 1789, la France officielle s’est insurgée contre l’ordre social chrétien, opposant dans tous les domaines les « Droits de l’Homme » aux Droits de Dieu. Depuis cette apostasie publique, le règne de l’Enfer s’installe de plus en plus chez nous, viciant l’ensemble et les détails de notre vie nationale, sociale, familiale et individuelle.
Tout le monde souffre de ce désordre, et nous-mêmes, les catholiques, pourrions accepter cette souffrance si elle était par elle-même rédemptrice. Mais tel n’est pas le cas puisque l’acceptation indéfinie de l’état de chose actuel, ce renoncement à la rénovation de l’ordre, serait en propre un suicide.
R.P. Gabriel Jacquier (1906 – 1942, Religieux de St Vincent de Paul), L’ordre social chrétien par le règne social de Marie, 1939
Il y a dans l’âme une phagocytose ; tout ce qui est menacé par le temps sécrète du mensonge pour ne pas mourir, et à proportion du danger de mort. C’est pourquoi il n’y a pas d’amour de la vérité sans un consentement sans réserve à la mort. La croix du Christ est la seule porte de la connaissance.
Simone Weil (1909 – 1943, Philosophe), La pesanteur et la Grâce, ouvrage posthume publié en 1948
Pour que le dialogue s’établisse, il faut que les hommes puissent sortir de leurs cachettes, qu’ils se rapprochent les uns des autres et n’aient plus peur de simplement se parler.
Józef Tischner (1931 – 2000, Prêtre, membre du Bureau du syndicat polonais Solidarność), éthique de Solidarité, 1983
Le chrétien doit avoir l’esprit combatif contre le mal, il doit travailler en sachant ce qu’il veut dans sa profession, il doit soigner sa formation morale et religieuse.
Le rôle du chrétien est de faire passer dans son milieu l’enseignement de l’Eglise. Pour cela, il doit être attentif à ses collègues comme un frère pour les aider et les secourir. Il doit être de bon conseil.
R.P. Jean Reynaud (1912 – 1997, Religieux de St Vincent de Paul, Aumônier du MJCF), Conférences données à des salariés de Renault Billancourt en 1986 et 1987
L’anti-évangélisation ébranle les bases mêmes de la morale humaine, impliquant la famille et propageant la permissivité morale : les divorces, l’amour libre, l’avortement, la contraception, la lutte contre la vie dans sa phase initiale comme dans son déclin, sa manipulation. Ce programme se développe avec d’énormes moyens financiers, non seulement dans chaque nation, mais aussi à l’échelle mondiale. Il peut en effet disposer de grands centres de pouvoir économiques, par lesquels il tente d’imposer ses conditions aux pays en voie de développement. Face à tout cela, on peut légitimement se demander si ce n’est pas une autre forme de totalitarisme, sournoisement caché sous les apparences de la démocratie.
Jean-Paul II (1920 – 2005), Mémoire et Identité, publié en février 2005
[[1]] Selon le quotidien Le Monde du 28 juillet 1977, l’archevêché de Paris avait répondu à un étudiant venu chercher de la documentation pour préparer un exposé sur le catholicisme social : « La doctrine sociale de l’Eglise ? Ça n’existe pas »
La même année, en juillet 1977, la déclaration du Conseil Permanent de l’Episcopat intitulée : Le marxisme, l’homme et la foi chrétienne présente l’analyse marxiste de la société en lui opposant la foi chrétienne, sans dire que l’Eglise possède une doctrine sociale
[[2]] Jean Ousset (1914 – 1994) est le fondateur de la Cité catholique, devenue ICHTUS (rue des Renaudes), auteur notamment de Pour qu’Il règne, Fondements de la Cité, et en collaboration avec Michel Creuzet de Le Travail
[[3]] Dom Prosper Guéranger (1805 – 1875), ordre de St Benoit, refondateur de l’abbaye de Solesmes
[[4]] Le pape François a été élu le 13 mars 2013, Evangelii Gaudium a été publiée le 24 novembre 2013
[[5]] Jean-Madiran (1920 – 2013), Une civilisation blessée au cœur, 12 mai 2002
[[6]] L’Eglise n’a pas attendu les 20 ans de la révolution d’octobre 1917, ni les 90 ans du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels publié en 1848 pour condamner le communisme. En 1846, Pie IX portait déjà une condamnation solennelle