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France : L'Islam en France

La fabrique de l’islamisme : l’islam

La fabrique de l’islamisme : l’islam

Reçu d’un lecteur :

Après la publication, en 2016, du rapport Un islam français est possible, après celle, en 2017, de Nouveau monde arabe, nouvelle « politique arabe » pour la France, Hakim El Karoui publie ce mois de septembre un troisième rapport La fabrique de l’islamisme (Institut Montaigne). L’auteur est considéré comme ayant l’oreille du Président de la République.

Ce troisième rapport existe en deux versions, complète (617 pages) ou abrégée (90 pages) avec le même plan : La généalogie d’une idéologie, Au cœur des usines de production de l’islamisme (Frères Musulmans, Arabie Saoudite, turco-islamisme, l’Iran), Comment l’islamisme se diffuse et enfin la situation de l’islamisme en Europe (dont la France). Il est documenté, clairement organisé, bien écrit, pour traiter les thèmes retenus : la dynamique endogène, les lieux d’où est issue cette idéologie (et en particulier la « maison-mère égyptienne » et l’Arabie Saoudite) ses « machines administratives » (les confréries, les entités mondiales islamiques dont l’OCI –Organisation de la Conférence Islamique), ses circuits de diffusion.

Pour la France, où le salafisme est aujourd’hui en position d’hégémonie et où il est rappelé que –d’après une étude précédente-  28% des musulmans français sont proches d’une façon ou d’une autre d’un système de valeurs opposé aux valeurs de la république,  sont en particulier étudiées les modalités du glissement de la « communauté au communautarisme », ainsi que la « halalisation » de la vie quotidienne : :

«  Les idéologies frériste et salafiste en Europe partagent des symboles communs, comme la question halal ou celle du voile. Ces particularismes du quotidien sont des marqueurs de distinction qui peuvent servir de leviers identitaires, car ils impliquent un surcroit de visibilité. Ce sont donc plus que des obligations ou des pratiques religieuses, comme elles sont fréquemment présentées puisqu’elles recouvrent à la fois des intérêts religieux, communautaires, et parfois économiques. » [1].

Enfin, si le rapport évoque déjà la radicalité meurtrière des salafo-djihadistes, il réserve néanmoins l’étude du djihadisme et de la radicalisation pour un travail ultérieur.

Des premières réactions au dit-rapport d’« officiels » musulmans français apparaissent plutôt négatives, comme la dénonciation, par M.Dalil Boubakeur, de « l’amalgame entre Islam et islamisme », ou  celle de « ses contours incertains et ses objectifs hasardeux » par M.Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon.

Trois aspects me semblent à ce stade particulièrement dignes d’intérêt :

  • L’auteur définit l’islamisme dans son introduction, comme « au-delà de la croyance religieuse et de la spiritualité personnelle, une interprétation du monde, une vision de l’organisation de la société, y compris dans le monde profane, et un rôle donné à la religion dans l’exercice du pouvoir ». Mais en quoi cette définition permet-elle de distinguer ce que l’auteur appelle « islamisme » de l’ «islam » (confirmant d’ailleurs l’interprétation de M.Boubakeur) ? Mme Souâd Ayada, professeur de philosophie et présidente du Conseil supérieur des programmes, née au Maroc, décrit ainsi « la division interne qui affecte l’islam comme tel et détermine en lui deux formes de religion : une religion juridique et politique, une religion intérieure et spirituelle. La première a peu de chances de s’acclimater au monde moderne auquel elle livre en vérité un combat sans concession. [2] » Et quelle est cette « interprétation du monde », cette vision du monde musulman ? « Un des devoirs fondamentaux |de l’islam| est d’étendre le territoire du Dar el Islam, le territoire où règne la Loi, aux dépens du Dar al Harb, ou territoire de guerre (sainte). [3]». Alors, islamisme défini par M.El Karoui comme une idéologie politique d’un côté et religion juridique et politique d’un autre côté, où est la différence ?
  • Cette idéologie (interprétation du monde, organisation sociale, relation au pouvoir) est qualifiée par l’auteur de « contemporaine ». Contemporaine ? Mais quid des califats ? Quid de l’Occident chrétien confronté à la conquête musulmane (Poitiers, Constantinople, Lépante, sièges de Vienne) ? Quid de ces pays où pouvoirs politique et religieux s’interpénètrent depuis longtemps ? Ce qui peut paraitre contemporain dans la mise en œuvre de cette vision du monde, ce sont les conditions favorables à son expansion rapide : des millions de musulmans installés dans une Europe occidentale largement dévitalisée par la recherche du bien-être, l’appui de puissances financières gigantesques (les pétro-dollars) et l’usage mondialisé des nouveaux moyens techniques (ayant débuté par les paraboles d’accès aux satellites TV) : « L’islamisme, qu’il soit politique ou purement théologique, utilise massivement internet et les réseaux sociaux pour diffuser son idéologie et mobiliser ses sympathisants. Sur internet, les islamistes, et plus particulièrement les salafistes, se placent en situation de monopole pour toutes les questions relatives à la foi musulmane, à l’échelle mondiale comme à l’échelle française ». [4]
  • Le troisième aspect tient à la conclusion, commune aux deux formats du rapport. Après ce constat essentiel : « Au terme de ce parcours, une évidence s’impose : l’islamisme n’est pas le sous-produit d’un Occident imparfait mais une idéologie, un récit global qui vise à donner une explication au monde, un sens à la vie, un destin collectif aux musulmans », elle fait référence, comme plan d’action, aux « Pistes de recommandations » contenues dans le rapport de 2016. Toute la question est de savoir si, après avoir démontré une mouvement mondialisé dont tous les centres d’influence, de décision et de dynamisme sont externes à la France et dont la théologie est sans marge d’interprétation possible, un islam français est autre chose qu’une chimère. Parce que si la visée est hors d’atteinte, les moyens déployés pour y parvenir seront de toutes façons inopérants.

Dans un autre ouvrage, Alain Besançon s’interrogeait sur la conversion au nazisme jugée étonnamment rapide aussi d’une grande partie de la population allemande. Précision nécessaire : il ne s’agit pas de comparer la doctrine de deux idéologies, mais le processus de diffusion, voire d’adoption, d’une idéologie dans et par une population donnée.  « L’envahissement matériel avait été précédé de longue main par l’envahissement, à tout le moins la paralysie des cerveaux, par l’idéologie qui avait peu à peu imposé ses classifications, son langage et sa manière de poser les questions. » [5]  Or, il est facile de constater que « nous voici devenu incollables sur l’oumma, la charia, la fitna, la jahiliya, le salafisme, le wahhabisme, le hidjab, le niqab, l’abaya et bien sûr le djihad » [6]. La citation était de 2016. L’ouvrage La fabrique de l’islamisme ajoute encore son propre glossaire…

[1]Format abrégé, p.64

[2]Causeur, septembre 2018

[3]A.Besançon, Problèmes religieux contemporains, in Contagions, p.1386

[4]Format abrégé, p.70

[5]A.Besançon, Trois tentations dans l’Eglise, in Contagions, p.914

[6]Alain Finkielkraut, Figarovox, 9/09/2016

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