Alexandre Soljénitsyne (1918-2008) est le plus célèbre dissident soviétique : homme et écrivain d’une envergure exceptionnelle, il est l’un des géants du XXe siècle. Le centenaire de sa naissance est l’occasion de revenir sur cet immense personnage avec Véronique Hallereau qui lui consacre une bonne partie de ses travaux. Extrait d’un entretien paru dans La Nef :
L’essayiste a parfaitement analysé les failles de nos sociétés modernes libérales-capitalistes : quelles sont-elles pour lui ?
La faille essentielle qu’il voit dans nos sociétés est d’avoir mis l’homme au centre : Soljénitsyne est un critique de l’humanisme. De plus, cet homme moderne est un être dont le regard ne quitte pas les horizons terrestres ; c’est un rationaliste, tourné vers l’acquisition illimitée de biens matériels et la volonté de maîtriser la nature pour son seul intérêt – ou ce qu’il croit être son intérêt. Soljénitsyne s’est beaucoup intéressé aux travaux du Club de Rome pendant les années 70, qui confortaient une certitude acquise dans les camps : les nations, comme l’homme, devaient se modérer et privilégier la vie spirituelle. Il en fera le titre d’un de ses plus célèbres articles, « Du repentir et de la modération comme catégories de la vie des nations ». Il a critiqué le complexe de supériorité des sociétés occidentales, que l’indéniable avance technique et la plus grande richesse matérielle conduisent à se poser en exemple de développement humain. Il le dira dans son discours de Harvard, Le déclin du courage : il ne pouvait faire des sociétés occidentales un modèle à suivre : l’homme y était amoindri, il perdait de sa fermeté morale. L’abondance matérielle, le bruit continu de la publicité, du divertissement, de la palabre, étouffaient l’âme aussi sûrement que dans les pays communistes – et plus insidieusement, en s’appuyant sur le bien-être du corps.