De Marion Duvauchel, Professeur de lettres et de philosophie :
C’est l’été : il faut sauver la planète et pendant que le petit peuple est sur les plages, on a publié les nouveaux programmes. La spécialité « Humanités » est désormais proposée aux lycéens en vue de
«contribuer au développement des compétences orales à travers notamment la pratique de l’argumentation qui conduit à préciser sa pensée et à expliciter son raisonnement de manière à convaincre, et permet à chacun de faire évoluer sa pensée, jusqu’à la remettre en cause si nécessaire, pour accéder progressivement à la vérité par la preuve ».
Qui peut gober que dans des classes de trente élèves, le merveilleux dialogue socratique qui semble l’horizon transcendantal de cet objectif dément, a une quelconque chance de se voir réalisé.
L’enseignement de cette spécialité se répartit sur « quatre semestres centré chacun sur une grande thématique » (les pouvoirs de la parole en classe de Première, au premier semestre, de l’Antiquité à l’Âge classique). La sèche phraséologie blanquérienne propose bien quelques développements et une bibliographie, mais la question demeure : comment la philosophie et la littérature vont-elles se partager ce programme édifiant ?
Le deuxième semestre propose les représentations du monde à la Renaissance, à l’Âge classique et aux Lumières qui sont proposées aux lycéens comme thématiques. Trois thèmes là encore : Découverte du monde et pluralité des cultures – Décrire, figurer, imaginer – L’homme et l’animal.
Contrairement à ce que prétendent les IO, le statut de l’animal est loin d’être un enjeu majeur au XVIIème siècle. Quelques pages de Montaigne et un texte de Descartes, même d’anthologie, c’est un peu juste pour nous en convaincre. La philosophie a interrogé la question de la différence entre le genre humain et les espèces animales sans résoudre la question. Il serait juste et bon de la laisser ouverte et de rappeler que dans toutes les sociétés qui n’ont pas perdu la tête comme les nôtres, on aime bien les animaux, on ne les torture pas inutilement, on leur tord le cou quand ce sont des poulets avant de les rôtir sans en faire tout un foin.
Le programme de Terminale ne sera mis en œuvre qu’en 2020. Il est donc réduit au squelette : premier semestre, la recherche de soi, du romantisme au XXème siècle, avec trois thèmes : Éducation, transmission et émancipation – Les expressions de la sensibilité – Les métamorphoses du moi. Au deuxième semestre, la notion d’Humanité, avec pour période de référence les XXème et XXIème siècles. Trois thèmes là encore car on reste hégélien dans l’âme : Création, continuités et ruptures – Histoire et violence – L’humain et ses limites.
Pour qu’apparaissent de la continuité et des ruptures, il faut ce que Braudel appella l’histoire de la longue durée. Il est absurde et contradictoire de prétendre aborder la « création » de cette idée d’humanité en s’en tenant à la seule période contemporaine. Car l’idée de nature humaine n’est pas née n’importe où, elle est née avec le judaïsme et le christianisme, comme l’a rappelé Lévi-Strauss. Elle vient d’un texte révélé, l’Ancien Testament dont le christianisme a été l’héritier. Les limites de l’humain, on les voit venir : le réchauffement climatique, le bien être animal et la barbarie générale. Ça va leur donner des raisons d’espérer !
Cette formation s’adresse
« à tous les élèves désireux d’acquérir une culture humaniste qui leur permettra de réfléchir sur les questions contemporaines dans une perspective élargie » ; elle doit constituer un précieux apport pour des études axées sur les sciences, les arts et les lettres, la philosophie, le droit, l’économie et la gestion, les sciences politiques, la médecine et les professions de santé. Elle sera particulièrement recommandée aux élèves souhaitant s’engager dans les carrières de l’enseignement et de la recherche en lettres et sciences humaines, de la culture et de la communication ».
Qui peut croire qu’un jeune qui a l’ambition de devenir avocat, juriste ou médecin va choisir cette spécialité ? Quel jeune rêvant de devenir vétérinaire va gober que le thème de l’homme et l’animal en terminale va le préparer à accoucher des vaches ou à soigner des chiens, des chats ou des poulets ? Quel futur enseignant de philosophie peut croire qu’il va s’initier ainsi à une matière exigeante et souvent mal comprise. Quel lycéen a tout simplement déjà prévu à 16 ans de faire de la recherche en littérature ou en sciences humaines?
A qui s’adresse cette spécialité ? En vrai ? Aux futurs journalistes (qu’elle prépare à leur futur métier : la propagande d’Etat) ; aux futurs animateurs de show télévisés, aux hordes de sociologues, psychologues et politologues dont deux bons tiers sont inscrits au pôle emploi ; aux métiers de la communication : ceux qui font le buzz ou de l’événementiel. Elle s’adresse aux jeunes de la filière SMS (sciences médico-sociales) : ceux qui vont s’occuper des vieillards ; aux futures assistantes sociales qui vont affronter les migrants, les femmes battues, les alcooliques, et toute l’immense détresse largement fabriquée par une société qui se défait, et dont la matrice chrétienne et l’anthropologie qui la sous-tendait est démolie. Les lycéens de la filière « Humanités », dûment formés au cours de ces deux années de la nouvelle propédeutique entreront dans les universités de sciences humaines résolument préparés à écrire des masters sur les droits des animaux ou des thèses sur les devoirs des politiques post-modernes envers les communautés de toute obédience.
La filière Humanités est une entreprise de reprogrammation de la culture et la pensée de demain : celles de la République post-moderne, de ses fantasmes et de ses impuissances, de ses cultes du moi et de ses fictions fantasmatiques. C’est une pensée d’eunuques et une épistémè châtrée : de la mémoire culturelle de la France, de sa langue en tant que langue de culture, de sa longue histoire religieuse et du socle anthropologique et religieux qui l’a portée et formée.
L’épistémè nouvelle qu’on entend bien imposer à notre jeunesse dispose désormais d’un nouveau cadre, plus performant encore s’il est possible et formidable instrument pour reprogrammer les esprits en vue de les convaincre que la nature humaine n’a aucune spécificité, que nous sommes des animaux comme les autres et que le bien-être animal vaut largement l’existence des enfants soudanais ou des chrétiens d’Orient qu’on assassine.
Un cadre nouveau pour la même culture de mort de l’humanité nouvelle, qui entend bien se faire tout en tous et gouverner le monde.