Deux articles récents mettaient en garde contre cette LPM décevante malgré une forte ambition : l’article de Michel Goya (la loi de programmation militaire (LPM) ne tient pas compte des enseignements de la guerre en Ukraine ) et celui du général de La Chesnais qui dénonçait les manque d’ambition et la faiblesse des effectifs de la transformation des armées.
L’analyse du général d’aviation (2S) Bruno Clermont est sans appel. Et quand un aviateur défend l’armée de terre, c’est que c’est vraiment catastrophique pour cette dernière :
Cette LPM est du Canada Dry de réarmement. Rien n’est clair sauf une annonce de 413 Milliards dont on ne sait rien si ce n’est que les 13 milliards supplémentaires sont hypothétiques. Pour le reste on a compris qu’on ne touchait pas au modèle des 200 000 combattants (je rappelle qu’il y a en plus 75 000 non combattants; une proportion jamais vue) sauf à ajouter 100 000 réservistes eux aussi virtuels sans un accord fort et coûteux avec les entreprises.
Par contre on a compris que l’armée de terre serait sacrifiée faute de scénarios de guerre de haute intensité qui la concernerait. Ah bon? D’ailleurs le terme haute intensité n’est plus à la mode dans l’AdT. Place à la Marine et à l’aviation. Les fantassins doivent se reconvertir en cyber guerriers pour être utiles. Et pour les autres il y aura l’encadrement du SNU qui doit sauver les banlieues du séparatisme. Les drones et les munitions rôdeuses suffiront. On gardera quand même un échantillon de toutes les capacités de l’AdT, au moins pour le 14 juillet (…)
Tout cela n’a aucun sens, si ce n’est celui d’être obligé de mettre des priorités pour cause de budget des armées encore insuffisant. Car 400 ou 413 milliards c’est pas assez d’autant plus qu’on ne sait ni quand ni comment ils arriveront. Personne ne sait ce dont demain sera fait. La France a besoin de ses 3 armées de terre de l’air et de mer puissantes, en quantité et en qualité. La réalité est que tous les militaires sont frustrés par cette LPM mais qu’ils sont obligés de s’en contenter et surtout de faire en sorte qu’elle soit exécutée en totalité. Car les vautours tournent déjà en cercle à la recherche d’un cadavre.
Depuis, deux autres articles viennent appuyer cette analyse. Tout d’abord, le Monde relaie les propos tenus devant la presse par le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT), le général Pierre Schill. L’exercice est forcément difficile pour le CEMAT tenu par des engagements vis-à-vis du président de la république. Il ne faut pas non plus être expert pour comprendre la très grande frustration de l’armée de terre et son sombre avenir à travers ces lignes :
“Le chef d’état-major de l’armée de terre a annoncé, lundi, la mise en place d’une nouvelle organisation dans laquelle les régiments de « mêlée » (chars, infanterie) seront réduits, au profit, notamment, de ceux spécialisés dans le cyber et les drones. L’armée de terre devrait entrer, dans les prochaines années, dans une vaste transformation (…)
Si le nombre total de régiments (environ 80) sera préservé, certains devraient subir des évolutions importantes. Les régiments de « mêlée » (chars, infanterie) pourraient être en partie dégraissés, tandis que ceux spécialisés dans le cyber et les drones pourraient être renforcés. « Il n’y aura pas de dissolution de garnison » , a toutefois assuré le général Schill (…)
Derrière ce plan de transformation, se cache un vrai souci de redonner à l’armée de terre des capacités d’intervention au-delà de sa seule culture expéditionnaire, qui s’est globalement achevée avec la fin de l’opération « Barkhane », en novembre 2022. Rien ne garantit, à ce stade, que la future LPM le permette, en raison de l’explosion des coûts de l’énergie, des matériaux, ainsi que de multiples arbitrages encore en cours, mais l’affichage est là.
Pour donner le change, l’armée de terre devrait se doter de deux nouveaux commandements : un consacré aux guerres de demain, et un autre relatif à la guerre hybride et aux actions spéciales. Tous les deux seront hiérarchiquement au même niveau que le commandement des forces terrestres, qui a la main sur les 77 000 hommes du cœur opérationnel de l’armée de terre (…)
L’exercice du général Schill, lundi, a pour beaucoup consisté à tenter de se montrer « satisfait » des arbitrages en cours de la future LPM. « L’armée de terre fera son affaire » de cette nouvelle loi-cadre, a-t-il assuré (…) L’armée de terre a toutefois encore à s’assurer, en interne, que le financement de cet acquis de principe se fasse vite : c’est-à-dire en début de LPM et pas en fin, comme certains scénarios l’envisagent. Le général Schill a aussi précisé que la nécessité de renforcer la défense sol-air pourrait impacter le programme Scorpion, qui vise à muscler les capacités de combat numérique de l’armée de terre. Des choix d’armement différents pourraient également être faits pour le Griffon et le Serval, ces nouveaux véhicules qui arrivent au sein des régiments, dont un certain nombre, prévus pour transporter de l’infanterie, seront convertis à l’appui et au soutien.”
Fin connaisseur et bien introduit dans les milieux parisiens, Jean-Dominique Merchet ne dit pas autre chose dans son article “Défense: les frustrations de l’armée de terre” :
L’armée de terre s’attend à souffrir de la prochaine loi de programmation militaire (LPM 2024-2030). Le grand large cher aux marins, plutôt que le centre-Europe des biffins (*). Toujours en cours d’élaboration, la LPM ne semble pas retenir l’hypothèse d’un net renforcement des capacités de l’armée de terre, comme la guerre de « haute intensité » en Ukraine avait pu le lui faire espérer. Au contraire, la priorité pourrait être donnée à d’autres domaines, comme la défense de l’outre-mer français, le service national universel, le cyber, l’espace ou l’« influence ». En clair, il n’y aura pas plus de blindés, de canons ou de régiments, malgré la forte hausse des crédits militaires.
Un proche du dossier résume le raisonnement sur lequel se fonde l’exécutif : “Parce qu’elle a une dissuasion nucléaire, la France ne craint rien face à la Russie et n’a donc pas besoin d’une grosse armée de terre (…) Ils [les généraux] n’ont pas plus aimé que ça…
L’armée de terre a toutefois l’assurance de conserver ses effectifs avec une FOT de 77 000 hommes. Elle devrait être très sollicitée pour la sécurisation des JO. Et c’est en grande partie sur ces effectifs que seront pris les renforcements dans le domaine cyber, influence et renseignement (…) Quant aux équipements, “Je n’ai pas de problème à ce que l’on puisse un peu dilater le calendrier des acquisitions” explique le ministre Lecornu (…). Autant dire que l’ambiance s’en ressent dans les popotes.
“Une nouvelle fois, les marins vont être les grands gagnants” soupirent les terriens. Quant aux aviateurs, ils espèrent préserver leur flotte d’avions de combat, ce qui n’est pas gagné (…) (…) La reprise en main de la hiérarchie militaire par le cabinet du ministre Sébastien Lecornu tend l’atmosphère. Les futurs généraux et amiraux doivent, par exemple, paser un entretien avant d’obtenir leurs étoiles (…)”
F. JACQUEL
Déjà dans les années 90, avant même la (criminelle) suspension de la conscription, le leitmotiv du haut commandement de l’Armée de terre était déjà :
“Faire autant avec des moyens resserrés”.
Nihil novi sub sole.
zongadar
La dernière phrase de l’article évoque-t-elle le retour des fiches ?
Esteban
“Les marins les grands gagnants” …avec des nouvelles “frégates de premier rang” sous armées qui ressemblent plutôt à des grosses vedettes garde côtés ??
Nous sommes mal barrés !