Sur la place d’un marché fréquenté,
Vidé de la criée,
S’affrontaient pied à pied
Deux vendeurs patentés.
La première, matrone à la voix éraillée,
Tenait une auberge nouvelle.
Elle offrait à souper des plats traditionnels
En petit comité.
« Le menu est frugal mais la quantité belle », dit-elle,
« Les invités sont protégés.
La liste est longue encor de qui voudrait s’assoir :
Mieux vaut l’ordre que le grand soir. »
Le second était un fringant courtisan.
Il n’avait, disait-il, pas d’établissement
Mais un lieu de rassemblement.
Glanant, de ci, de là, au milieu de la foule,
Quelques ventres en boule,
Il promettait un grand banquet
Où chacun se rassasierait.
Il décrivait si bien le festin à venir
Que le menu chacun brûlait de découvrir.
L’imagination a, quand la faim domine,
Les pleins pouvoirs sur la famine.
La musique, payée, accompagnait d’archets
Le courtisan zélé.
Au récit, à la danse, à la démarche vive
De cette assemblée neuve,
Les autres commerçants,
Qui pliaient leurs bagages,
Firent leur ralliement,
Sans ambages.
La procession parvint au lieu de campement.
C’était une pelouse vide, remplie d’écrans et de slogans.
Au centre siégeait, ventru et nonchalant,
Le roitelet d’avant.
Autour de lui pouffaient les autres courtisans :
« Et te voilà enfin, coquet !
Crois-tu que nous avons donné à ta livrée
Ses moyens sans recouvrer nos frais ?
Notre banquet privé commence :
Que tes invités le financent !
Quant à vous autres, gros niais,
N’avez-vous pas compris qu’un courtisan se targue
De vous convaincre puis vous largue ?
Vous avez faim ? Rentrez chez vous :
Les rêves n’ont rien à manger.
Ou mangez nos feuilles de chou :
C’est un plat vide à partager. »