Mgr Livio Melina, doyen de l’institut pontifical Jean-Paul II, est interrogé dans Famille chrétienne. Extraits :
"Certains Pères synodaux semblent prendre une distance avec la vision de Jean-Paul II sur la famille. Pourquoi ?
Le point de départ peut être le rejet de l’encyclique Humanae vitae dans beaucoup de secteurs de l’Église après 1968. C’est vrai que le message de l’Église apparaît très exigeant, à contre-courant de l’opinion. En réponse à la crise, Jean-Paul II a voulu montrer les fondements de l’amour humain intégral et manifester l'importance d'une anthropologie adéquate. Il suit ainsi en cela le meilleur de la Tradition, qui a cherché une authentique valorisation du corps. Le développement de la théologie du corps est capital !
Pour autant, la rébellion ou l'incompréhension souterraine n’a pas cessé. La raison de ce refus dépasse aujourd’hui la simple ignorance ou l’absence de traduction pastorale de son enseignement. Il peut s'agir d'une volonté manifeste de ne pas voir fructifier cette œuvre de Jean-Paul II.
Humane vitae reste une fracture en 2015 ?
Le Synode butte toujours sur Humanae vitae. Il y a cette question radicale qui hante le monde contemporain. Quel est le lien entre la sexualité, la procréation et le mariage ? Cette question centrale demeure entière. Il ne faut pas la réduire à la contraception seule. Il convient de développer cette question selon le sens et la signification de l’altérité sexuelle. Face à cette réflexion, la révolution sexuelle des années 60, qui perd le lien entre la sexualité, la procréation et le mariage, peut aboutir aujourd’hui à l'idéologie du gender.
Si on veut être chrétien aujourd’hui, il faut avoir l'audace d'aller à contre-courant ! On ne peut pas être d’accord avec la conception mondaine de l’amour et de la famille. Le rejet du message de l’Église par une telle conception ne se limite pas à celui de l’enseignement de Jean-Paul II. Cela va plus loin. Par conséquent, l’Église a un choix à faire : veut-elle être fidèle à son Magistère de toujours, ou suivre la conception mondaine ?
L’opposition dont nous parlons n’est pas une chose étrangère à la vie de l’Église. La frontière entre la vie de foi et la vie du monde passe en chacun de nous. Nous devons décider de suivre l’Esprit de Jésus ou celui du monde. Dans l'impossibilité d'une telle décision, on pourrait verser dans une religion new age qui promet un bonheur superficiel, ou une conception subjectiviste de la foi qui retient seulement ce qui lui plaît. Mais l’Église est appelée à se convertir à une vérité plus grande, bien éloignée des idéologies actuelles. Elle doit annoncer la nécessité d’un changement et d’une conversion qui va jusque dans notre propre chair. Elle est en mesure de le faire, en accueillant toujours plus la puissance salvifique du Verbe qui s'est fait chair, Celui qui est le « Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14,6). […]
Doit-on changer la discipline de l’Église au nom de la miséricorde ?
La miséricorde constitue le cœur de l’Évangile. Mais il convient de distinguer la miséricorde de ses contrefaçons. Par exemple, la compassion et la tolérance n’ont pas grand-chose à voir avec la miséricorde. La compassion est un sentimentalisme qui n'arrive pas à l'action. Par contre, la tolérance se base sur une indifférence et permet donc le mal sans le juger. Pour cette raison, elle ne peut pas régénérer le cœur du pécheur.
En revanche, la miséricorde a l’espoir de changer, de relever et de guérir celui qui est blessé. Dans cette œuvre, il ne faut pas oublier que la première œuvre de miséricorde est d'enseigner (aux ignorants) la vérité. Saint Thomas d’Aquin note que la miséricorde des païens se limite à la compassion, alors que le chrétien voit sa misère intérieure. C’est le péché qui est la racine de la misère ! La miséricorde veut préserver autrui de la damnation et vient déraciner le péché. Saint Grégoire conclut : « Le vrai pasteur dénonce les péchés, il ne cherche pas à gagner les faveurs avec un silence complice. Il risque une parole de vérité pour le salut de l’autre ! »"