Suite aux débats électoraux sur l'euro, nous avons interrogé Pierre de Lauzun, économiste, auteur d'un ouvrage récent sur la question, mais aussi d'un guide de survie pour les années qui viennent.
1. Est-il possible de sortir de l'euro sans sortir de l'UE ? Si oui, comment ?
Juridiquement la sortie de l’euro n’a pas été prévue comme telle, et donc les défenseurs de l’euro expliquent que le seul moyen pour cela est la sortie de l’Union européenne. On peut en débattre, et on voit mal en tout cas un texte contraindre la volonté claire d’un pays de sortir d’une telle union. Mais en pratique la question se poserait autrement. De toute façon la sortie de l’euro suppose une forme de négociation avec les autres pays membres (ne serait-ce que pour régler le sort des engagements pris en commun, les créances et dettes réciproques dans ce cadre etc.). Si un Etat membre de la zone euro voulait en sortir sans sortir de l’Union, il poserait le problème aux autres pays en ces termes, une négociation s’engagerait, et on peut estimer assez probable que les autres pays ne l’acculeraient pas à la sortie pure et simple de l’Union. D’autant qu’un tiers de ses membres n’ont pas l’euro pour monnaie.
Ce n’en serait pas moins une négociation assez rude, au-delà même des sommes en cause. Car vouloir sortir de l’euro, c’est aussi remettre en question radicalement le mythe fondateur de l’Europe : celui d’une « union toujours plus étroite » comme disent les traités fondateurs. Surtout si le sortant était un pays par nature au centre de tout le processus comme l’est la France. En outre cette renégociation ne s’arrêterait pas à l’euro : car précisément ce qui serait en cause serait cette « union toujours plus étroite », et l’ensemble des règles qui dans les traités encadrent ou suppriment l’autonomie de choix national au nom de ce projet fédéraliste.
2. Une sortie de l'euro est-elle nécessairement synonyme de déflation ?
Un tel changement de monnaie serait une opération délicate, demandant une préparation soigneuse et un étroit contrôle, à accompagner de signaux clairs qu’on veut maintenir la valeur de la nouvelle monnaie – après la dévaluation relative qui est un des buts de l’opération. Il serait alors hors de question de faire marcher la planche à billet comme certains en rêvent : l’autonomie économique et monétaire, ce n’est pas un gouvernement qui dépense à tout va au détriment de sa monnaie et donc de sa population. Car en cas de fonte de la monnaie c’est toute la population française qui serait lésée, puisque ses salaires, retraites et économies seraient menacés par la fonte de la monnaie. Le laxisme et la démagogie seraient alors tout à fait hors de propos, et il faudrait au contraire une période de plusieurs années de rigueur relative (sans aller jusqu’à la déflation). D’autant que l’accès aux marchés internationaux se fermerait pendant un temps. Ce n’est qu’ensuite que les fruits seraient perceptibles.
3. Si la France sort de l'euro, la dette publique va-t-elle exploser ?
Si la dette reste libellée en euro, et que le franc se déprécie, mécaniquement la dette exprimée en francs augmenterait d’autant. Mais il y a une parade, car la dette publique française est pour l’essentiel sous loi française. Il est généralement reconnu qu’un pays a le droit souverain de changer sa monnaie. Et donc de libeller dans la nouvelle monnaie les contrats conclus sous droit local. Mais bien entendu les créanciers étrangers y perdraient d’autant, et chercheraient à attaquer la mesure en justice, y compris à l’étranger. En outre les agences de notation pourraient considérer qu’il y a là une forme de défaut partiel (rupture de contrat). Et donc même si cette bataille serait tout à fait jouable, il y aurait une période d’incertitude relative, peu favorable économiquement.
4. Une sortie de l’euro est-elle inéluctable à court ou moyen terme pour la France, et pour les pays « du sud » ?
Tant qu’il n’y a pas de crise majeure nouvelle de l’euro, la monnaie n’est pas menacée comme telle. Et on l’a vu la sortie est difficile ; elle suppose notamment une volonté politique forte, accompagnée d’un important effort sur plusieurs années. Or cette volonté politique n’existe pas dans les populations (dans aucun pays d’Europe du Sud pas plus qu’en France), qui craignent naturellement au contraire de perdre beaucoup dans l’opération, car ce sont leurs salaires, retraites et économies qui pourraient en souffrir. Bien sûr le maintien dans la zone a des inconvénients forts : notamment l’impossibilité d’ajuster la parité de la monnaie pour compenser les déséquilibres accumulés, la stagnation relative que cela induit, les ajustements plus douloureux etc. Mais pour la population ces inconvénients sont diffus, en regard des risques de l’opération de sortie et de ce qui suivrait.
Tant que cette situation prévaudra la priorité nationale ne doit donc pas être à la sortie de l’euro mais à la réforme : réforme économique en interne, réforme de l’Union européenne pour en desserrer les carcans et la transformer de projet fédéraliste utopique en confédération de nations.
Ceci dit, la situation peut évoluer à terme : non pas tant par prise de conscience à la base (même la Grèce aux abois ne sort pas de l’euro ; et son peuple ne le veut pas). Mais par progressive réalisation du fait que le fédéralisme est une impasse. Ou, bien sûr, à l’occasion d’une crise majeure. Il y a en a d’ailleurs régulièrement… Autre scénario : une évolution de l’opinion allemande ; car pour elle le risque de baisse de valeur de la monnaie en cas de sortie de l’euro n’existe pas, c’est le contraire qui se produirait. Or cette opinion allemande est attachée à une monnaie forte, et se méfie de l’euro. Peut-être un jour souhaitera-t-elle en sortir (même si sa compétitivité en souffrirait).
5. La fin de l’euro monnaie unique est-elle donc inéluctable ? Et par quoi la remplacer, avec quelles conséquences pour la France ?
Une double monnaie n’est pas beaucoup d’intérêt. Si les deux monnaies sont en concurrence, l’une disparaît assez vite car tout le monde réclamera l’autre. Ou alors, l’une seule est la vraie monnaie nationale, l’autre n’est qu’un outil pour certains opérations commerciales et financières. Ce qui ne change pas grand-chose pour la politique économique.
Mais au fond et surtout, la question prioritaire qui se pose n’est pas monétaire : elle est nationale. Un pays dont la classe politique dominante se réclame de l’utopie fédéraliste européenne (malgré les démentis que la réalité présente chaque jour) continuera à chercher des solutions dans cette direction. Mais elles deviennent de plus en plus irréalistes. Car qui croit sérieusement qu’il y a une base politique à la mise en commun paneuropéenne de pans entiers des budgets nationaux, et de la sécurité sociale ? C’est pourtant ce que l’Europe fédérale supposerait pour exister vraiment. En outre, qui peut croire qu’on jugera un jour indifférent d’aller vivre en Saxe comme on peut envisager d’aller de Bourgogne en Bretagne ?
Un pays qui aura progressivement pris conscience du fait que la véritable solidarité de destin, celle qui fait la vie réelle de l’écrasante majorité des gens, est d’abord nationale, pourra voir les choses autrement. Mais à nouveau il devra commencer par se réformer, et par réformer l’Europe pour la transformer à nouveau en communauté de nations. Sauf crise, la monnaie ne viendra qu’ensuite.