Le thème du Camp Chouan de l’été 2025 était celui de l’Identité, son origine dans la tradition et son destin dans la modernité.
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La question de l’identité est une préoccupation moderne : elle n’apparaît qu’au XIXe siècle et ne cesse de devenir de plus en plus pressante jusqu’à aujourd’hui. En effet, la disparition progressive des coutumes, des traditions et des rites, amorcée dès la Révolution française, suscite immédiatement une profonde inquiétude identitaire. En réponse, un vaste mouvement s’étend à toute l’Europe ce même siècle, qui voit émerger de nombreux collecteurs animés par le souci de préserver le patrimoine culturel menacé. Ceux-ci parcourent les campagnes, recueillent traditions, contes, chants, musiques et pratiques religieuses, témoignant de la singularité et de la richesse des sociétés traditionnelles.
Pour tenter d’expliquer pourquoi les identités disparaissent avec l’avènement de la modernité politique, il convient, au préalable, de comprendre comment elles se créent. Sont-elles le fruit d’une construction historique, le résultat d’une volonté collective, ou l’expression d’un ordre naturel, donc divin ?
Les Cahiers du Camp Chouan 2025 exposent une réponse traditionnelle : L’identité d’un peuple ne s’impose pas arbitrairement, mais s’enracine dans la loi naturelle. En effet, les besoins fondamentaux de la nature humaine engendrent des coutumes, qui varient selon les contextes, la religion, le climat, et bien d’autres circonstances. Lorsque la raison reconnaît l’utilité et la justesse de ces usages, ceux-ci, éprouvés par le temps, s’intègrent progressivement aux lois et aux institutions. C’est ainsi que se forgent les civilisations, qui sont autant de manières originales d’appréhender le monde et de bien se comporter.
Héritée d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin, cette conception identifie l’homme comme un animal rationnel et politique. La réalisation d’un être humain achevé repose sur une vie sociale organisée autour de la quête du juste — c’est-à-dire du droit naturel. C’est en effet le rôle de l’autorité de chercher le juste et de promulguer des lois conformes à la loi naturelle pour préserver le bien commun compte tenu des circonstances. L’autorité y réussit en valorisant chaque personne dont elle est responsable, en lui trouvant la place qui lui convient selon ses compétences dans le service du bien commun ; ce qui lui communique une part importante de son identité.
L’identité collective n’est pas une abstraction, mais le produit d’une histoire, d’une langue, d’une foi et d’un droit commun entretenus par l’effort continu d’autorités au service du bien commun. Ainsi, la France traditionnelle, forgée par la monarchie capétienne, incarne cette unité organique, où chaque province, chaque métier, chaque famille trouve sa place dans un tout harmonieux.
Pourtant, la modernité bouleverse cet équilibre. Avec les Lumières, puis la Révolution française, l’homme se proclame autonome, et rejette toute autorité supérieure à sa propre volonté. La vie sociale n’est plus organisée par le devoir de servir le bien commun, mais l’individu est valorisé quand il lutte pour ses droits, pour sa liberté à l’égard d’autorités désormais considérées comme aliénantes. La Déclaration des droits de l’homme de 1789 marque ce tournant : l’individu, libéré des hiérarchies traditionnelles, est devenu la mesure de toute chose. L’autorité abolie, la quête de l’égalité devient le corollaire de la liberté et le paradigme de la nouvelle société.
Mais cette émancipation se paye au prix d’un déracinement. En abolissant les privilèges — ces lois particulières qui structurent la société d’Ancien Régime —, la Révolution uniformise les hommes, les réduisant à des citoyens interchangeables. Les personnes deviennent alors des individus, et les peuples des masses d’individus formant des sociétés individualistes, sans ciment, sans liens, sans amour, autrement-dit : des dissociétés.
Rousseau avait cru résoudre le paradoxe de la liberté dissolvante par un contrat social, mais sa « volonté générale » n’a fait que remplacer une autorité légitime par une tyrannie, celle de l’État, de la majorité, ou de l’opinion. Comme le montre Louis de Bonald, le peuple n’est qu’une « fiction » : sans un principe supérieur qui l’anime (l’autorité de droit divin fondée sur la loi naturelle), il n’est qu’une foule sans cohésion, ballottée par les passions et proie des idéologies.
Pour juguler cette dissolution, la modernité érige la nation en nouveau cadre identitaire. Renan tente de la fonder sur un « plébiscite de tous les jours », Herder sur un « génie national », Maurras sur une « substance » quasi-organique et douée de volonté.
Mais ces constructions restent fragiles. La nation contractualiste de Rousseau mène à l’individualisme, la nation historiciste de Renan à un roman national artificiel effaçant les identités locales, et la nation essentialiste de Maurras à un culte païen et idolâtre de la nation. Aucune ne peut se substituer à la transcendance de Dieu et de sa loi naturelle.
La monarchie traditionnelle, en revanche, incarne un principe d’ordre vivant, très souple et non pesant, car elle trouve sa justification hors d’elle-même, dans la Divinité. Le roi, « lieutenant de Christ » — son ministre pour appliquer Sa loi naturelle —, unit les peuples sans les uniformiser. Robert le Fort, Hugues Capet et leurs successeurs bâtissent la France non par la contrainte, mais par la légitimité, en respectant les identités locales tout en les rassemblant sous une même couronne. Leur œuvre, patiemment construite sur huit siècles, fait de la France une nation à la fois multiple et unie.
Cependant, le XIXe siècle voit l’Église elle-même vaciller sur le principe de légitimité, cette nécessaire reconnaissance de la loi naturelle et de son origine divine par l’autorité. Le Ralliement de Léon XIII à la République (1892) marque, en effet, un compromis douloureux. Pour éviter une rupture totale, le Pape accepte la République pourtant fondée sur l’autonomie de l’homme et sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il espère ainsi préserver l’influence catholique. Malheureusement ce pragmatisme, non seulement ouvre la porte au modernisme d’un concile Vatican II, mais il précipite les catholiques dans les griffes des partis, tous imbus d’idéologie où Dieu est chassé : Libéralisme, Nationalisme et Socialisme. Saint Pie X et Pie XI condamneront plus tard les dérives trop manifestes du Sillon et de l’Action française, rappelant que la politique ne peut se passer de Dieu, Souverain de la Création.
En particulier, le nationalisme maurrassien, bien que séduisant par son apparente défense naturaliste du bien commun, se révèle un piège : en faisant de la nation une idole, il exige des catholiques de renoncer au droit divin — à l’autorité politique représentante du Christ-Roi — au profit d’un pouvoir représentant la nation.
Aujourd’hui, la France est plus que jamais tiraillée entre deux modèles.
– D’un côté, la modernité propose une identité fluide, fondée sur les droits individuels et le relativisme de l’autonomie humaine, dans une société principe d’elle-même.
– De l’autre, la tradition rappelle que seule l’hétéronomie de la loi naturelle — et la reconnaissance de Dieu son Auteur — peut fonder une société juste, durable et pérenniser, à la fois l’identité personnelle et l’identité sociale héritée.
Face aux crises contemporaines — individualisme, mondialisme, invasion migratoire, perte de repères —, cette voie offre une solution alternative ; non pas le repli nostalgique, mais la restauration de la société traditionnelle, où chaque homme, chaque famille, chaque province retrouve sa place et une identité dans un tout harmonieux au service du bien commun.
Le vrai changement, la véritable espérance ne se situe donc pas dans la course sans fin à l’égalitarisme des socialistes, ni dans l’instauration d’un pouvoir fort, cher aux conservateurs et aux nationalistes, ni dans le libre échange capitaliste — tous, en effet prônent l’autonomie de l’homme —, mais dans la restauration de la légitimité, naturellement garante des identités et de la justice qui sont ses raisons d’être.
Aussi, les Cahiers du Camp Chouan appellent-ils à un retour aux sources : une monarchie légitime, une Église fidèle à sa doctrine, et une identité enracinée dans l’histoire, la raison et la foi ; alors nous retrouverons notre identité. Le philosophe Blanc de Saint-Bonnet le rappelle magnifiquement avec cette phrase inspirée : « la légitimité des rois est l’anneau par lequel les nations se rattachent à Dieu pour demeurer vivantes et honorées ».
Olivier Cerverette et Marc Faoudel, pour campchouan.fr et viveleroy.net
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