Le Père Matthieu Dauchez mène une action depuis de nombreux années, à Manille, auprès des enfants des rues avec l’association ANAK-Tnk. Il vient de publier un nouveau livre,
“Osez l’espérance ! anti-manuel de résilience“, dans lequel il revient sur ce concept de résilience, recours de la psychologie et du développement personnel. La faiblesse est-elle une force ? Le risque est de se bercer d’illusions, de tout attendre de nos propres forces, et surtout de désespérer celui qui souffre…
Le Père Matthieu Dauchez côtoie la souffrance au quotidien et l’aperçu qu’il en donne dans son ouvrage sont suffisamment abominables pour réduire à néant nos concepts occidentaux… Mais il expérimente aussi combien, mystérieusement, ce sont eux, les plus pauvres, les préférés du Bon Dieu qui nous enseignent à la lumière des exemples édifiants de leur courte existence.Tout en examinant la fécondité propre de la résilience, le Père Matthieu Dauchez nous entraîne ici dans un cheminement spirituel pour (re)découvrir l’unique source de guérison : l’espérance. Elle seule peut permettre, au coeur de nos doutes, nos désespoirs, nos épreuves, que la souffrance n’ait pas le dernier mot.
Nous avons interrogé le père Dauchez :
Vous évoquez les concepts de résilience et d’espérance, mais est-ce que cela parle aux enfants des rues de Manille ?
Les concepts, non… la réalité, oui ! Et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la résilience m’agace, comme elle doit certainement vous agacer aussi. Nouvelle notion très à la mode – ce qui n’est pas bon signe – la résilience est brandie inconsidérément pour exorciser le mal et la souffrance. J’ose même penser que le principe est apparu pour occulter l’Espérance, la cacher, voire l’inhumer. On a voulu tuer Dieu, on veut désormais enterrer l’Espérance ! La résilience, comprise comme capacité à rebondir après un traumatisme, apparaît comme un remède miracle. Elle est donc désormais sur toutes les lèvres et Orwell l’aurait probablement mis en bonne place dans le dictionnaire de sa Nov-langue. Toutefois, comment oser parler de résilience aux victimes les plus innocentes, à des enfants laissés-pour-compte, maltraités, abusés?
Je suis pourtant intimement convaincu que si des stratégies de résilience, telles qu’une atmosphère aimante, un cadre protecteur ou une vraie compassion, sont nécessaires pour qu’un enfant à terre se remette debout, il faut cependant rendre à ce concept sa vraie place : la résilience n’est que le fruit de l’Espérance
Le caractère parfois abominable des souffrances endurées par ces enfants n’est-il pas un obstacle à l’espérance ?
Plus encore qu’un obstacle, le scandale du mal est une impasse. Tous les philosophes et les théologiens, aussi brillants soient-ils, sont démunis devant cette question, impuissants quand on voudrait qu’ils nous nous donnent la solution du mystère. Mais justement, c’est bien là, au seuil du désespoir, que resplendit l’Espérance. Au cœur des ténèbres, une petite flamme vient tout enluminer… C’est le fameux « contra spem in spe » de saint Paul, espérer contre toute espérance (Rm 4,18). Si notre monde, si sombre, ne laisse entrevoir aucun espoir ici sur terre, ou tout du moins qu’une lumière bien fragile et incertaine, l’Espérance quant à elle est une victoire certaine : c’est la réponse du Christ sur la Croix, le « j’ai soif » qui terrasse le Mal, inexorablement. Au péché, le Christ répond par l’amour. Entrer dans l’Espérance, pour reprendre l’expression de saint Jean-Paul II, c’est donc se mettre à sa suite, comme nous l’enseignent les plus pauvres, nos maîtres.
Glyzelle, enfant de la rue, a demandé au pape François lors de son voyage aux Philippines en 2015 : « Mais pourquoi Dieu permet-il cela ? », avant de fondre en larmes. Le Saint-Père a répondu : « Tu as posé la seule question qui n’a pas de réponse ». Ne peut-on donc rien répondre à ces enfants ?
Je vais être terriblement présomptueux, pardonnez-moi, mais le Saint-Père n’emploie pas le bon mot, à mon avis. Il faudrait dire, je crois : Glyzelle, tu as posé la seule question qui n’a pas d’explication. En revanche, au scandale du mal, nous pouvons – et nous devons – opposer une réponse ou plutôt des réponses puisqu’elles sont nombreuses et les enfants des rues nous offrent chaque jour ces leçons édifiantes : la joie, la compassion, l’innocence, le pardon sont autant de ripostes foudroyantes au mal qui leur est fait. Le monde ne cesse de leur dire qu’ils ne sont pas dignes d’aimer et d’être aimé, ces petits cœurs assoiffés prouvent chaque jour qu’ils sont, au contraire, les porte-étendards de l’Espérance, victoire incontestable de l’amour.
Finalement la terrible question du mal et la prodigieuse vertu d’Espérance sont intimement liées sur la Croix, elles se résument toutes les deux par les quelques mots prononcés par Jésus : J’ai soif.