Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale à l'université Paris Sud, a écrit dans Le Figarovox :
"Le 21 octobre 2015, la commission des affaires sociales du Sénat examine en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Elle sera présentée en séance plénière le 29 octobre et selon toute vraisemblance si le gouvernement et les rapporteurs refusent tout amendement (comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale les 6 et 7 octobre dernier), cette loi considérée comme transitoire créera les conditions de recevabilité d'une dernière étape légalisant l'euthanasie. Il aurait été politiquement imprudent, dans le contexte idéologique présent, de conclure la concertation nationale lancée le 17 juillet 2012 par François Hollande avec une loi qui reconnaîtrait explicitement comme «nouveau droit» l'euthanasie. Le texte actuel institue notamment la mise en œuvre d'«une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie». Les plus avisés dans ce domaine si complexe des soins en fin de vie, évoquent désormais à ce propos la notion de sédation euthanasique.
La sédation en tant que telle doit être distinguée de la sédation euthanasique. Elle est caractérisée par trois critères: l'intentionnalité, la proportionnalité et la réversibilité. L'intentionnalité légitime une pratique concertée attentive à la décision de la personne malade et à son intérêt direct. La sédation a pour seule visée de soulager le patient, tout en intégrant le risque de provoquer ou de hâter le décès. Il s'agit là du «double effet». La sédation tient compte de la volonté de la personne, de l'évolution de sa position ne serait-ce qu'au regard de la situation clinique. Cet ajustement proportionné permet d'adapter le traitement et d'éviter une partie des effets secondaires indésirables. Contrairement à l'euthanasie ou au suicide médicalement assisté, la sédation préserve la possibilité de réversibilité. La personne peut ainsi confirmer son consentement à la poursuite ou non de la sédation. Elle demeure également en capacité de décider de sa durée s'agissant du temps d'éveil qui lui importe de maintenir afin de favoriser sa vie relationnelle.
En ce qui la concerne, la sédation profonde et continue (SPC) abolit intentionnellement les critères de réversibilité et de proportionnalité incompatibles avec son caractère constant et irrévocable. L'acte médical a dès lors pour fin d'altérer de manière irréversible la conscience de la personne en vue d'une mort «apaisée». C'est pourquoi certains spécialistes de l'éthique l'assimilent à une euthanasie.
[…] Considéré comme de l'obstination déraisonnable, l'arrêt systématisé de l'alimentation et de l'hydratation en phase initiale de SPC pourrait être assimilable à une pratique d'euthanasie passive. En effet, abolir la conscience d'une personne et ne plus l'hydrater a pour conséquence directe l'anéantissement de son existence cognitive et l'extinction de sa vie biologique. Une dérive possible est dès à présent évoquée par les soignants, celle ne plus accorder l'attention nécessaire aux approches antalgiques alternatives, ne serait-ce que dans le cadre d'une sédation «classique», et opter d'emblée, sur simple demande de «la personne malade ou en fin de vie», pour une SPC. […]"