Le philosophe et historien de la philosophie française Rémi Brague, spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive, connaisseur de la philosophie grecque, membre de l’Institut de France, vient de publier un ouvrage publié initialement en allemand (Rémi Brague parle anglais et allemand, et lit le latin, l’hébreu et l’arabe) intitulé Après l’humanisme. L’image chrétienne de l’homme.
Le concept paraît presque désuet, tant est consommé ce qu’il convient d’appeler une « crise de l’humanisme ». Son essoufflement ne se traduit pas par la profusion de discours dédaigneux vis-à-vis de l’homme, ne nous méprenons pas. C’est par « compassion» que cet humanisme, vide de sa substance, envoie ses métastases. C’est de vouloir être mieux humain, seul humain, trop humain que l’homme moderne engendre des chimères. L’homme nouveau rêve par les différents régimes fascistes ou soviétiques fut un avant-goût de l’homme augmenté rêvé par les transhumanistes ; de même l’Untermensch trouve aujourd’hui ses avatars dans la foule de ceux qui ne ressemblent pas au projet voulu pour l’humanité. La tentation de définir l’homme à partir de lui-même (c’est-à-dire, en pratique, à partir de soi-même) conduit invariablement à reléguer une partie des hommes au rang de « sous-hommes ». Seule une image de l’homme qui le sauve empêche ce clivage idolâtre. Pourquoi?
L’auteur sen prend à la tentation de l’humanitarisme
d’autant plus dangereuse qu’elle l’imite à l’envers, selon cette imitatio perversa dénoncée par Augustin. Le penseur colombien Nicolas Gomez Davila, qui se qualifie lui-même de “réactionnaire”, l’a très bien noté dans ses Scholies à un texte implicite : “Le rival de Dieu n’est jamais la créature concrète que nous aimons. Ce qui finit toujours en apostasie, c’est la vénération de l’homme, le culte de l’humanité.”
L’humanitarisme repose sur un autoportrait flatteur. Tout le monde est conscient des tâches ou des objectifs qu’il doit surmonter : la satisfaction des besoins matériels, la paix par la justice, la reconnaissance mutuelle des personnes, une vie pourvue de sens, une haute culture, le développement des arts… Chrétiens et non-chrétiens sont d’accord, mais ils diffèrent sur le choix des moyens.
L’humanitarisme part du principe que “l’homme” est fondamentalement bon, c’est-à-dire pacifique et disposé à accueillir les autres.