Vivien Hoch a interrogé Monseigneur Lantheaume, premier conseiller de nonciature à
Washington, membre de la communauté Saint-Martin. Extraits :
"L’amer constat d’un vide dans l’Eglise en France, suite aux cinquante ans du 2ème
Concile du Vatican est un fait incontournable. Il faudrait être
vraiment stupide ou de mauvaise foi pour ne pas le constater. Mais la
question qu’on doit se poser est tout autre : à quoi cela est-il dû ?
Est-ce dû au concile en lui-même ou bien à une interprétation fausse qui
en est faite ? Avant de répondre, il faudrait se rappeler que « partim convenit, partim non convenit » le Concile de Trente a exigé plus d’un siècle avant d’être appliqué, car il devait non seulement être approuvé par les Parlements de France mais ensuite être diffusé et appliqué !!!Donc, pour ce qui nous concerne, nous
avons encore cinquante ans devant nous ! Et même si les moyens du XXème
siècle sont certes différents de ceux du XVIème, force est de constater
qu’on en est « au début », et que le 2ème Concile du Vatican
n’a pas encore été tout à fait « compris », car souvent peu appliqué
dans certains endroits. On s’aperçoit au fil des réactions, qu’il n’a
pas été lu et encore moins étudié. Ignoré par ceux qui le critiquent
dans un sens ou dans l’autre, le Concile demeure une « inconnue » pour
beaucoup de chrétiens qui n’en perçoivent que des apriori ou des idées
reçues. On a fait l’application d’une « interprétation » du concile,
mais pas du concile lui-même. A cela il faut ajouter une tendance
dénoncée par le Pape : celle de l’herméneutique de la rupture. Certains font naître l’Eglise au moment du Concile, d’autres la font disparaître à la même époque. Une saine compréhension du concile voulait au contraire qu’on le considérât dans la continuité de ce qui précède,
notamment des dispositions des autres Conciles Œcuméniques, dans un
ensemble de traditions ecclésiales et de la Tradition ininterrompue au
fil des siècles. Or, certains ne voient dans le 2ème concile
du Vatican que des « germes » d’hérésies, notamment dans la définition
de la « liberté religieuse ». Encore une fois, là aussi, il faut avoir
recours à la pensée analogique. Il faut tenir pour répondre à cette
critique, que l’enseignement des papes a toujours été circonstancié, il
s’inscrit dans la réalité d’une époque : la liberté religieuse
d’aujourd’hui n’est pas celle – plus violente et plus philosophique – du
XIXème siècle ; le concept, l’objet en sont radicalement différents ;
la liberté religieuse envisagée par les papes du XIXème siècle, menacée
de toute part à l’époque, n’a jamais été celle à laquelle les Pères du 2ème Concile Vatican II ont réfléchi ; d’autre part, en aucun cas le 2ème concile du Vatican n’a admis ni adopté le « syncrétisme » sous le nom de ‘la liberté religieuse’, ce serait un contre-sens ![…] Les Etats-Unis n’ont pas été épargnés par des conséquences regrettables dues à une fausse interprétation des textes du 2ème
Concile du Vatican ; mais les catholiques américains ont dépassé ce
stade, leur générosité et leur sens du sacré ont été conservés et ils
connaissent aujourd’hui un « renouveau » qui est à la fois paisible et
fécond. Ce renouveau s’inscrit aussi dans ‘l’herméneutique de la
continuité’ comme l’a si bien défini le Pape Benoît XVI.
[…] Tout cela est dépassé aujourd’hui car les
protagonistes du « printemps de l’Eglise » s’essoufflent, ils sont
désormais âgés et ils n’ont guère d’héritiers sinon de doux nostalgiques
d’une époque révolue. Leur agressivité politique de voir les choses fut
tellement stérile qu’ils n’ont pas d’héritiers. La mollesse dont vous
parlez et que le Pape a rappelée récemment sous le nom biblique de
« tiédeur chez les chrétiens » est la conséquence « logique » de la
dénaturation des vertus théologales. Cette tiédeur a été entretenue à
souhait par la médiocratie de certains clercs des années 70/80 (diacres,
prêtres, évêques confondus) qui considéraient l’ordre sacré dans lequel
ils étaient institués comme une sorte de fonction d’animation sociale.
Ces mêmes clercs ayant discrètement renoncé à leur visibilité,
persistaient à croire qu’il n’y avait pas « péril en la demeure » quand
bien même leurs églises se vidaient à vue d’œil ! Bien sûr, ils auraient
toujours pu évoquer la qualité par rapport à la quantité. Ils
affirmaient que les chrétiens, certes, il y en avait moins, mais ils
étaient « meilleurs ». Alors comme répond Frossard « … et quand il n’y
en aura plus, ils seront définitivement parfaits » !!! Certes la qualité
est plus importante que la quantité, et le texte du concile sur la
formation des prêtres (Optatam Totius) le répète à juste titre. Mais si
l’on analyse objectivement la vie de certaines Eglises particulières de
l’époque, on s’aperçoit qu’il n’y avait ni la qualité, ni la quantité !
Pour vous répondre : on ne peut pas lutter contre ceux qui nient toute
forme de transcendance. On ne « doit » pas non plus, c’est du temps
perdu. Le Cardinal Ratzinger l’a dit : « on n’attend pas qu’un idéologue
se convertisse, on attend qu’il meurt » ! Lorsque la foi est rabaissée
au rang d’idée, même à celui de conception philosophique et qu’elle
n’est plus vécue comme une vertu théologale (‘théologale’, c’est-à-dire
‘qui vient de Dieu et nous porte à Dieu’), l’on ne peut rien faire, car
il n’y a « rien » à faire ! le dialogue est impossible, on se situe sur
deux plans ontologiquement différents! On parle de deux choses
différentes…! L’adage paysan nous dit : « essayez de faire boire un âne
qui n’a pas soif ».[…] D’autre part, honnêtement, je n’ai
jamais compris le terme de « chrétiens de gauche ». Ce terme relève
d’une catégorie politique qui n’a rien de commun avec les promesses du
baptême, et encore moins avec le contenu de la Révélation. Il s’oppose
diamétralement à la mission du Christ. Car le Christ est venu sauver
tous les hommes et pas une catégorie politique. Il a ordonné de prêcher à
toutes les nations, et pas à une seule ! […] Il n’y
a pas des intégristes d’un côté et des progressistes de l’autre. Ce
disjonctivisme d’ordre politique (R.P. Pinckears, OP) est un non-sens.
Tout cela doit être dépassé. Il y a en réalité les fidèles catholiques
qui répondent aux engagements de leur baptême et qui constituent un seul
peuple, un seul troupeau, sous un seul Pasteur…Et il n’y a qu’un seul
Peuple de Dieu. Comme saint Paul dit qu’il n’y a qu’une « seule foi, un
seul baptême ». Affubler des chrétiens de titre politique, c’est déjà
tomber dans les divisions, dans l’idéologie semeuse de zizanie et c’est
quitter le domaine de la foi transcendante qui unifie et rassemble. […]"