Extrait de l’homélie prononcée lors des obsèques de Jean Madiran, le lundi
5 août à Notre-Dame des Armées à Versailles, par Dom Louis-Marie de
Geyer d’Orth, père abbé du Barroux (intégralité dans Présent) :
"Saint Bernard disait dans une homélie que les yeux sont ce qu’il y a
de plus excellent dans le corps, malgré leur petitesse. Il disait cela
en pensant à la vision béatifique. Mais il aurait pu le dire aussi en
voyant les yeux de Jean Madiran, parce que Jean Madiran avait des yeux
assez exceptionnels. Non seulement à cause de leur charme, joyeux et
pétillant – un regard d’enfant – mais aussi à cause de cette crainte
révérencielle que l’on ressentait devant l’acuité de son regard. Jean
Madiran était fait pour la lumière, mais c’était aussi un homme qui
faisait la lumière, sans compromis.Très tôt, il s’est tourné vers la lumière. Car, avant de devenir un
maître, comme l’ont salué nombre d’hommages dont celui de Philippe
Maxence, d’Yves Chiron et plusieurs autres dizaines, Jean Madiran fut un
disciple attentif. D’abord de Maurras qu’il a lu tous les jours, à
partir de ses quinze ans, et cela pendant sept années, jusqu’à ce qu’il
rencontre le maître de Martigues.Puis ce fut l’autre maître intellectuel qu’il eut la grâce de
rencontrer en la personne d’Henri Charlier. Il faudrait dire : les
Charlier, la famille Charlier, à travers laquelle la tradition vivante
de Péguy et du père Emmanuel du Mesnil-Saint-Loup est venue jusqu’à lui.Madiran disait : « C’est André Charlier qui m’a appris à lire
Chesterton et Claudel et Pascal. C’est lui qui m’a appris ce qu’est le
grégorien, qui m’a montré la France, qui m’a enseigné le silence. C’est
lui qui m’a fait comprendre ce que je savais déjà et c’est lui qui m’a
disposé à ce que je ne devais comprendre que plus tard. L’essentiel est
l’éducation de la liberté. »Et si Jean Madiran a su et pu se mettre à l’école de ces géants, c’est que lui-même avait du génie.
Maurras le lui a dit dans la préface de son livre sur La Philosophie politique de saint Thomas d’Aquin.
André Charlier affirmait que seul Péguy avait poussé aussi loin et avec
pareille finesse l’art de lire. Et si Jean Madiran a pu se jucher sur
les épaules de géants, c’est qu’avec son intelligence il avait reçu de
son éducation la piété filiale qui donne à la connaissance de la vérité
une acuité spéciale, ce qui lui a permis d’interpréter en toute fidélité
ce qu’il avait reçu, et de pouvoir à son tour ajouter de la lumière à
la lumière. […]Dans le domaine de l’engagement chrétien en politique, il accompagna
l’aventure de la Cité catholique, participant activement et intervenant
au premier Congrès de Lausanne, dénonçant dans certains écrits, tels La laïcité dans l’Eglise, la déviance envers notre action catholique.Dès le lendemain du Concile, Jean Madiran combattit contre la
gabegie qui s’installait à divers niveaux dans l’Eglise universelle,
mais notamment dans la portion qui en réside en France.Qui ne se souvient de cette constance, jusqu’à sa mort, contre la
démobilisation des catholiques en matière d’engagement politique, ou
contre certains de leurs engagements erronés.En matière religieuse, Jean Madiran a appliqué ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique
au numéro 907, qui dit : « Selon le devoir, la compétence et le
prestige dont ils jouissent, les fidèles laïques ont le droit et parfois
le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche
le bien de l’Eglise et de le faire connaître aux autres fidèles, restant
sauve l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux
pasteurs, et tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des
personnes. »[…] Chose incroyable, avec des moyens extrêmement limités, Jean Madiran ose lancer avec quelques amis, en 1982, le quotidien Présent,
sans l’appui d’aucune publicité, et dont il dirigera la publication. Il
y écrira jusqu’à ses derniers jours contre le déferlement de
l’immoralité, du laïcisme agressif, de l’impiété, du libéralisme, du
relativisme maçonnique ou du marxisme militant, destructeurs de la
civilisation chrétienne dans tous ses aspects. […]"