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Culture de mort : Euthanasie

L’ADMD est directement issue des mouvements euthanasistes et eugénistes anglo-saxons

L’ADMD est directement issue des mouvements euthanasistes et eugénistes anglo-saxons

Le directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), Grégor Puppinck, décrypte dans Valeurs Actuelles l’histoire de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) :

L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) est le principal promoteur de l’euthanasie et du suicide assisté en France depuis plus de quarante ans, mais son histoire est peu connue. C’est ce voile que nous allons lever quelque peu, pour montrer que loin de l’image lisse et consensuelle qu’elle cherche à imposer aujourd’hui, l’ADMD est directement issue des mouvements euthanasistes et eugénistes anglo-saxons, ainsi que de l’“internationale humaniste”.

L’ADMD : un “produit d’importation” (1979-1980)

On ignore généralement que l’ADMD est un produit d’importation. Elle a été fondée en 1980 par un Américain, Michel Lee Landa, après que celui-ci eut publié dans le Monde une tribune faisant l’apologie de “l’auto-délivrance” [i] en prenant d’ailleurs pour exemple la pratique américaine. Il publia cette tribune de retour d’un congrès tenu à Londres. D’emblée, l’ADMD adopte le logo de l’association euthanasiste britannique Exit représentant la chaîne brisée de la vie, marquée par la mort. Le sigle ADMD figure à l’emplacement de cette brisure, c’est-à-dire de la mort. Le choix du nom “ADMD” est aussi emprunté à l’association américaine pour la légalisation de l’euthanasie, qui a adopté le nom Society for the Right to Die en 1974. Le programme de l’ADMD est aussi copié des associations britanniques et américaines. Il consistait initialement en la promotion des “testaments de vie” (ancêtre des “directives anticipées”), dont la diffusion a été initiée aux États-Unis dans les années 1970, puis en la traduction et diffusion en France du Guide de l’auto-délivrance publié d’abord par Exit au Royaume-Uni, et qui donna la matière au fameux livre Suicide, mode d’emploi publié en 1982.

L’ADMD-France s’inscrit ainsi complètement dans cette filiation anglo-saxonne ; celle-ci s’ajoute à sa filiation humaniste ou franc-maçonne qui est, elle, beaucoup plus connue. En effet, il est de notoriété publique que les principaux fondateurs de l’ADMD étaient fortement engagés dans la franc-maçonnerie. C’était le cas en particulier du sénateur Henri Caillavet et de Pierre Simon.

Au Royaume-Uni, la British Humanist Association s’engagea formellement en 1968 à œuvrer pour la légalisation de l’euthanasie. De même, la National Secular Society adopta une résolution reconnaissant « le droit naturel des individus à demander l’euthanasie pour eux-mêmes lorsque leur vie est devenue intolérable, et pour leurs médecins de pouvoir les aider sans risquer d’être poursuivis pour crime » [ii]. C’est ainsi toute la mouvance de la libre-pensée britannique qui s’engagea publiquement en faveur de l’euthanasie. Cet engagement conduisit à l’introduction, à partir de 1969, d’une série de propositions de loi par des membres de cette école de pensée ; mais sans succès.

En juillet 1974, l’American Humanist Association (AHA) publia un manifeste [iii]en faveur de l’euthanasie cosigné par les présidents des associations humanistes américaine et britannique, ainsi que par trois Prix Nobel. Ce manifeste fut traduit et publié le même jour par le Figaro, donnant le coup d’envoi de la campagne pour l’euthanasie en France. Il s’ensuivit une série de livres et de publications favorables à l’euthanasie, ainsi que le dépôt par les sénateurs Henri Caillavet et Jean Mézard d’une proposition de loi visant à obtenir la reconnaissance légale de « testaments de vie », en 1978. Ce n’est qu’après l’échec de cette proposition de loi que l’ADMD fut fondée en France, à une époque où le mouvement euthanasiste anglo-saxon entreprit de se diffuser dans le monde.

La revendication de l’euthanasie forcée des handicapés (1937-1945)

Le lien entre courants humaniste et euthanasiste est enraciné dans l’histoire pour des raisons philosophiques, car ce courant estime que le contrôle volontaire qualitatif de la vie (et donc de la mort) est une condition et un instrument du progrès de l’humanité. C’est la raison pour laquelle Henri Caillavet ou Pierre Simon se sont engagés non seulement pour l’euthanasie, mais aussi pour la contraception, l’avortement et la GPA. Comme l’écrivait Pierre Simon, la vie est un « matériau » qu’« il nous appartient de gérer ». Il ajoute : « Un respect absolu – ou plutôt aveugle – de la vie se retourne contre lui-même et, ruiné par les moyens qu’il emploie, dévore ce qu’il entend préserver : la qualité de la vie, l’avenir de l’espèce. » [iv]

C’est cette conviction “progressiste” et “humaniste” qui est la base idéologique de l’eugénisme, puis de la revendication de l’euthanasie.

Déjà en 1937, le fondateur de l’American Humanist Association (AHA), Charles Potter, était aussi le premier président de l’association américaine pour la légalisation de l’euthanasie, et favorable à ce titre à l’euthanasie forcée. Il avait ainsi déclaré « socialement désirable » l’euthanasie des enfants handicapés, des malades incurables et des déficients mentaux, et avait recommandé leur exécution compassionnelle dans des « chambres létales » [v], à gaz. Il justifiait alors leur euthanasie forcée au nom de la « responsabilité sociale » des individus concernés et de la subordination de la liberté personnelle au progrès social, ainsi que par mesure d’économie. Son mouvement humaniste se présentait comme une nouvelle religion ayant « foi en la valeur suprême et en l’auto-perfectibilité de la personnalité humaine, pensée socialement ainsi qu’individuellement » [vi]. On trouve dans les membres de cette “Église” des personnalités engagées pour l’eugénisme et l’euthanasie, des deux côtés de l’Atlantique, tel Julian Huxley, le premier directeur général de l’Unesco, qui fut aussi président-fondateur de l’Union internationale humaniste et éthique.

En fait, l’engagement de ces “humanistes” en faveur de l’euthanasie découle de leur adhésion à l’eugénisme, pour des raisons évidentes : l’euthanasie est un prolongement de la politique de stérilisation recommandée par les eugénistes. Il ne s’agit pas seulement d’éviter que les personnes jugées “inaptes” aient une descendance (par la stérilisation et l’avortement), mais aussi de libérer la société de la charge sociale et financière de l’entretien de ces personnes handicapées et malades (par l’euthanasie). Il s’agit de “gérer la vie” humaine comme un “matériau” pour le “progrès” de l’humanité.

En fait, si l’ADMD-France est issue du mouvement euthanasiste anglo-saxon, celui-ci est à son tour directement issu du mouvement eugéniste. En effet, le mouvement euthanasiste trouve son origine dans les années 1930 au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis dans le mouvement eugéniste.

Le recrutement dans les sociétés eugénistes (1907-1935)

C’est en 1935 qu’est fondée au Royaume-Uni la Voluntary Euthanasia Legalisation Society, première organisation dédiée à la légalisation de l’euthanasie, qui deviendra ensuite Exit. La plupart de ses cadres sont recrutés dans les rangs de l’Eugenics Society, une société eugéniste fondée en 1907 dans l’entourage de Darwin qui recommande la stérilisation – y compris forcée – des personnes “inférieures”. Julian Huxley en est aussi l’un des vice-présidents, de même que Havelock Ellis, fondateur de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle, et les écrivains H. G. Wells et George Bernard Shaw. Ce dernier estime, lui aussi, que l’eugénisme devrait « nous conduire à un usage extensif de chambres létales » [vii].

De même, aux États Unis, l’Euthanasia Society of America (ESA, renommée ensuite Society for the Right to Die), présidée par Charles Potter, réunit le gratin du milieu progressiste et eugéniste. On y retrouve encore Julian Huxley, H. G. Wells et Havelock Ellis, de même que Leon F. Whitney et Henry P. Fairchild de l’Eugenics Society, ou encore la fondatrice emblématique du Planning familial, Margaret Sanger. Lors de la fondation de la société en 1938, Charles Potter explique à la presse vouloir réorienter les efforts de son courant de pensée vers la légalisation de l’euthanasie [viii] après avoir mené, et déjà largement gagné disait-il, le combat pour le contrôle eugénique des naissances. C’est le même discours que tient l’ADMD aujourd’hui en France.

Une première traduction politique : la “grande bénédiction” du nazisme

Le successeur de Potter à la présidence de l’Euthanasia Society of America, le Dr Foster Kennedy, se déclare favorable à l’euthanasie forcée des « erreurs de la nature », sur avis médical, estimant que c’est seulement par sentimentalisme mal placé et absurde que la société s’abstient d’euthanasier « une personne qui n’est pas une personne » [ix]. En 1942, alors que la pratique nazie était connue, le Dr Kennedy recommandait encore l’euthanasie forcée des enfants déficients mentaux à la demande de leurs responsables légaux et après avis médical [x].

Certes, la “reductio ad Hitlerum” du mouvement euthanasiste est aisée, car elle est parfaitement justifiée. D’ailleurs, dans un courrier de 1940, Ann Mitchell, la fondatrice de la société euthanasiste américaine, décrivait au Dr Millard, de la société britannique, comme une « grande bénédiction » le fait que des docteurs nazis « ont donné de la morphine et ont ensuite tué les enfants malades de plusieurs asiles » [xi] en Pologne. En 1941, elle observait encore avec espoir que la guerre ferait entrer l’humanité dans un nouvel « âge biologique », révolutionnant les esprits de sorte que l’euthanasie et la stérilisation de masse deviendraient acceptables [xii].

La deuxième traduction politique : la posture libérale de l’ADMD

Ces associations euthanasistes britanniques et américaines n’ont pas été dissoutes après la Seconde Guerre mondiale ; elles ont seulement changé de nom pour effacer la référence à l’euthanasie, et ont adopté une posture “libérale”, défendant moins un “droit de tuer” qu’un “droit de mourir”. Mais le résultat est sensiblement le même. Voilà le terreau dont est issue l’ADMD.

Encore après-guerre, malgré les efforts du mouvement pour se recentrer et paraître “lisse”, des théoriciens et membres influents de ce mouvement, tel Joseph Fletcher, continuèrent à recommander l’euthanasie active et forcée de personnes handicapées. On retrouve aussi des propos extrêmes émanant de fondateurs et cadres de l’ADMD-France.

C’est le cas par exemple d’Odette Thibault, fondatrice et théoricienne de l’ADMD-France, qui écrit : « Tout individu ne possédant plus ces facultés [intellectuelles] peut être considéré dans un état sous-humain ou infra-humain, poussé à l’extrême dans le cas du débile profond [xiii]. » Dès lors, ajoute-elle, « beaucoup d’individus sont des morts-vivants, déjà morts à l’humain bien avant la fin de leur vie organique [xiv] ». Les tuer ne serait donc pas un meurtre, puisqu’ils seraient déjà morts à l’humanité. Elle ajoute : « Prolonger cette déchéance est, à mon avis, une des plus graves atteintes qu’on puisse porter à la dignité humaine [xv]. » Ce n’est pas différent de ce qu’écrivait Ann Mitchell.

Un même fondement philosophique

Malgré un changement d’approche plus libéral adopté à partir des années 1970, il y a une continuité du mouvement euthanasiste avant et après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi, et plus encore, une continuité idéologique.

L’euthanasie eugéniste tout comme l’euthanasie libérale conservent un même fondement philosophique : la réduction de la dignité humaine à la volonté individuelle, ce qui implique la domination de la volonté sur le corps, laquelle est un corollaire de la domination de l’esprit sur la matière. Un corps sans esprit ne serait que matière et peut donc être euthanasié (cas du malade mental ou du fœtus), tandis qu’un esprit enfermé dans un corps malade peut s’en “libérer” par la mort volontaire. Dans les deux cas, la volonté doit dominer le corps, l’esprit la matière, comme exigence de la dignité humaine.

L’euthanasie eugéniste, tout comme la libérale trouvent ainsi leur justification ultime dans la volonté de puissance. Pour la première, au plan collectif, par la volonté de puissance des sujets supérieurs sur les inférieurs (handicapés et malades). Pour la seconde, au plan individuel, par la volonté de l’individu de rester maître de lui-même, de se supprimer avant de déchoir. Le malade demandant la mort s’applique à lui-même ce que la société eugéniste applique à la portion “malade” de sa population. La mort volontaire – qu’elle soit infligée (euthanasie) ou choisie librement (suicide assisté) – est vue comme une affirmation de puissance de la volonté sur la vie, comme une expression de la dignité de l’homme émancipé du respect de la vie.

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