Lu sur le Metablog :
"[…] ce n’est plus le Rhin qui se jette dans le Tibre, et depuis 3 ans, son débit s’est continuellement affaibli. Malgré les offensives de l’épiscopat allemand, présidé par le cardinal Marx – dont on peut se demander s’il ne gère pas la plus grosse ONG du monde -, l’affaiblissement continu des épiscopats européens dans le processus synodal est flagrant. Les paragraphes 84, 85 et 86 pourraient être les ultimes vestiges de ces tentatives occidentales, comme le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio de 1964 faisait encore référence à l’encyclique Humani generis de 1950 en mentionnant le « faux irénisme » dans les relations avec les chrétiens séparés. La comparaison entre la relation finale du 24 octobre 2015 et l’instrumentum laboris de 2014 (je ne parle pas de l’Instrumentum laboris de juin de 2015, mais du premier Instrumentum sur lequel planait déjà des ambiguïtés avant même que le premier synode ait eu lieu…) est assez éloquente. À tire d’exemple, la disparition d’une quelconque appréciation positive des unions homosexuelles ou d’un « cheminement pénitentiel » pour l’accès des divorcés remariés à la communion sont suffisamment révélatrices. En revanche, il y a un net refus de la théorie du genre ou une affirmation, sans ambages, d’Humanae vitae. Le « cheminement pénitentiel » s’est, au mieux, transformé en « coaching », où le prêtre peut très bien dire au divorcé dit remarié sa situation réelle, en lui faisant comprendre que s’il souhaite communier, ce sera à ces risques : l’Église vous aura prévenu et si vous communiez, vous devez en subir les conséquences (l’Église ne se substitue pas à notre relation à Dieu, mais elle nous éclaire). On ne vous empêchera pas physiquement de communier (vous pouvez vous noyer dans la foule ou aller dans une autre paroisse), mais il vous appartiendra d’en subir les conséquences étant donné que vous êtes en concubinage et que le premier mariage n’a pas été reconnu nul…
On peut se demander si, en réalité, le changement d’accent ne traduit pas le nouveau rapport de forces au niveau ecclésial : nord-sud, mais aussi est-ouest, voire atlantique-outre-atlantique.
On peut dire que Vatican II avait été marqué par une certaine prédominance intellectuelle des Eglises allemande, belge, hollandaise et française. Ces Églises rayonnaient, non seulement théologiquement, mais également au niveau missionnaire. Certains se souviennent de ces prêtres ou religieux aux noms imprononçables, finissant par « ein » ou « gue »… Sauf que ça, c’était avant. Il y a belle lurette que les missionnaires ne sont plus belges, allemands ou néérlandais. Maintenant, s’ils viennent d’Europe, ils peuvent venir de Pologne, sinon ils viennent même des territoires d’évangélisation, comme l’Afrique. Certes, il y a la légitimité de l’argent et des moyens : est-elle, pour autant, tenable à long terme? Si l’Église allemande est riche, elle n’est guère rayonnante. Va-t-on imaginer qu’elle puisse, dans les décennies à venir, continuer à peser dans les débats ecclésiaux des années à venir et les prochains synodes ? Il est peu probable qu’il en soit toujours ainsi. Au dernier synode sur la famille, il en est allé un peu différemment : d’autres forces épiscopales se sont révélées.
L’épiscopat africain a pu se faire entendre au synode 2015 et s’y est même mieux préparé (en 2014, les évêques ne s’attendaient pas au raffut synodal : en 2015, ils étaient prévenus). Outre le cardinal Sarah, la figure du cardinal Napier a marqué la salle. L’Église polonaise a tranché avec l’Église allemande, révélant, en Europe, un clivage Est-Ouest, que l’on a déjà vu dans les affaires de migrants. Quant aux Églises sud-américaines, leur trop forte dépendance théologique à l’égard d’un Occident moribond atteste qu’elles sont moins rayonnantes nonobstant le fait qu’elles soient situées dans l’hémisphère sud… Enfin, les pays de vieille Chrétienté que sont la France, le Royaume-Uni et la Belgique ont pu être secoués par l’épiscopat américain, dont certaines figures (le cardinal Dolan ou Mgr Chaput) ont marqué les séances synodales : un clivage entre les deux rives de l’Atlantique. Enfin, le Canada a révélé sa faiblesse et surtout le fait de ne pas être sorti de la « Révolution tranquille » qui eut lieu, au Québec, dans les années 1960 : on a pu assister à un contraste entre l’épiscopat américain et l’épiscopat canadien. Pourtant, l’épiscopat américain semblait sinistré dans les années 1980 et Jean-Paul II dut affronter une Église délabrée. Or, à partir du débat des années 2000, on constate un relèvement dans l’Eglise américaine : preuve que la crise d’une Église peut parfaitement être surmontée.
Au concile Vatican II, un évêque africain, Mgr Zoa, avait l’impression d’assister à des querelles entre européens. Au synode de 2015, on peut se demander si la véritable marque de l’actuel pontificat n’aura pas été un déplacement flagrant du balancier en direction de pays plus rayonnants. C’est peut-être l’aspect le moins relevé qui pèsera le plus lorsque les historiens se pencheront sur ces années houleuses. La désoccidentalisation de l’Église est peut-être un aspect encore passé sous silence, mais on ne voit pas comment les décennies à venir ne pourraient pas en être marquées. Et si la véritable révolution du processus synodal avait été la perte du poids de l’Église occidentale au profit des forces vives et rayonnantes ? C’est aussi en termes de géopolitique ecclésiale qu’il faut raisonner par-delà l’accouchement de certains textes et de leurs querelles d’interprétations."
Le pape François se rendra du 25 au 30 novembre au Kenya, en Ouganda et en Centrafrique.