Le 19 septembre 2025, le Conseil d’Etat a décidé de sanctionner d’un blâme un médecin ayant signé en 2018 une tribune pour s’opposer à l’arrêt des « traitements » de Vincent Lambert. Pour le Conseil d’Etat, il aurait failli à son obligation de « bonne confraternité ». Le médecin est également condamné à verser 3000 euros au plaignant.
Cette tribune de 70 signataires indiquait :
« Nous, médecins et professionnels spécialisés dans la prise en charge de personnes cérébro-lésées en état végétatif ou pauci-relationnel (EVC-EPR), tenons à exprimer, en notre âme et conscience, notre incompréhension et notre extrême inquiétude au sujet de la décision d’arrêt de nutrition et hydratation artificielles concernant M. Vincent Lambert ». « Un tissu d’incertitudes et d’hypothèses, ainsi que des jugements contradictoires concernant le niveau de conscience, les capacités de relation et de déglutition, le pronostic, fondent une sanction dramatique, incompréhensible. »
Il est « manifeste » que Vincent Lambert « n’est pas en fin de vie », affirmaient ces experts. Qui plus est,
« sa survie dans les conditions et le contexte qui l’entourent – déchirement familial, procédures juridiques interminables, déchaînement médiatique, absence de projet de vie avec abandon de toute rééducation ou sortie ou mise au fauteuil, isolement sensoriel et relationnel dans sa chambre où il est enfermé à clé depuis quatre ans… – témoigne même, à nos yeux, de sa pulsion tenace de vie ». « Comment ne pas tenir compte du fait que M. Lambert a survécu en 2013 à trente et un jours sans alimentation avec une hydratation réduite au minimum, alors que, dans notre expérience unanime, ce fait est incompatible avec une volonté de mourir ? Quand ils ne veulent plus vivre, ces patients meurent en quelques jours, voire quelques heures. »
Dès lors, les signataires de la tribune entendaient dénoncer
« les conditions de vie imposées à M. Vincent Lambert : alitement permanent, absence de mise en fauteuil adapté, absence de sortie, enfermement à clé dans sa chambre, absence de prise en charge rééducative d’entretien, absence de rééducation de la déglutition, limitation des visites, toutes mesures s’opposant au maintien d’une vie sociale et affective, primordiale pour ces personnes ».
« Nous n’arrivons pas à comprendre qu’à aucun moment de cette terrible histoire l’avis d’une équipe expérimentée n’ait été sollicité devant une décision aussi grave. Grave car n’ayant pas d’autre finalité que de provoquer la mort d’un homme qui n’est pas en fin de vie et dont l’état de handicap paraît stabilisé, même sous couvert d’une procédure collégiale ».
« Là où nous entendons dire : «arrêt des traitements», nous ne voyons que provocation délibérée de la mort, une euthanasie qui ne dit pas son nom. »
Vincent Lambert est décédé en 2019, après avoir été placé dans un état de sédation profonde et continue, sans nutrition ni hydratation artificielles pendant 9 jours. Par une décision du 9 décembre 2020, la chambre disciplinaire de première instance d’Ile-de-France de l’ordre des médecins a rejeté la plainte à l’encontre du médecin. Une décision confirmée en appel mais renvoyée devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins le 3 novembre 2022 par le Conseil d’Etat. Par une décision du 14 mars 2024, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a, à nouveau, rejeté l’appel contre la décision du 9 décembre 2020 de première instance. Mais le Conseil d’Etat a été saisi d’un second pourvoi en cassation, il lui incombait de régler l’affaire au fond. Jugeant les termes de la tribune « très agressifs », il a décidé de condamner le médecin.
Le professeur Xavier Ducrocq, neurologue, qui avait également signé cette tribune de professionnels, se dit « sidéré » par cette décision qui « ravive une colère, de fait non vraiment éteinte ». « Je suis révolté et je ne suis pas le seul », explique-t-il, se faisant l’écho du point de vue de plusieurs confrères ressentant un sentiment d’injustice face à cet arrêt du Conseil d’Etat.
« On veut ligoter la parole des médecins ». « Il ne serait donc pas confraternel de dire à un confrère qu’il commet une erreur ? » « Comment réagira la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins dont la décision a été récusée ? ».
Alors que la proposition de loi visant à instaurer un « droit à l’aide à mourir » attend d’être examinée par le Sénat, cet arrêt du Conseil d’Etat sonne comme une alerte supplémentaire pour les personnes handicapées. Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a d’ailleurs épinglé la France à ce sujet.
Les longues années de procédure qui se sont terminées par la mort de Vincent Lambert en sont une preuve supplémentaire : il n’était pas en fin de vie. Le professeur Ducrocq observe douloureusement :
« La mort de Vincent était bien un argument, et les prémices de ce qui allait se passer. A savoir, ouvrir « un droit à la mort pour tous », selon les termes de Jean Leonetti, et non plus accompagner une vie qui prend fin ».
Source : Gènéthique