De Cyril Brun, dans la lettre de Saint Maur :
"Peut-être trouvons-nous ici la clef du dilemme dans lequel l’adhésion au Christ nous place : ‘Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde.’ En effet, suivre le Christ, c’est d’abord et avant tout changer d’étalon. C’est ne plus regarder le monde avec le regard du monde, mais avec celui du Christ. Devenir chrétien ce n’est pas simplement recevoir l’adoption filiale par le baptême, c’est également accueillir l’Esprit qui modifie notre regard. Se convertir n’est pas uniquement se tourner vers le Christ, mais c’est aussi regarder le monde avec les yeux du Christ. […] Changer son regard sur le monde, ce n’est rien moins que renverser son système de valeurs. C’est laisser illuminer en soi le regard même du Christ. Ici de nouveau, ‘ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi’, car mon regard et ma pensée sur le monde, ne sont plus les miennes ou celle du monde, mais celles-là mêmes du Christ.
‘Ne prenez pas pour modèle le monde présent’. Être chrétien dans le monde, n’est pas simplement vivre d’une certaine manière au milieu du monde, c’est regarder le monde avec un autre oeil, celui de Dieu. Le chrétien qui veut rester dans le monde ne peut garder la pensée du monde sans se mettre au service du monde et s’attacher à lui. Être chrétien dans le monde cela signifie avancer dans le monde en portant sur lui le regard même du Christ. Les tentations du monde ne peuvent être déjouées, les chutes ne peuvent être évitées que si les obstacles et les tentateurs sont clairement identifiés comme tels. Pour cela, il faut ne pas épouser les valeurs de ce monde, sans quoi nous courons le risque de ne plus voir la distance qui sépare le monde du Royaume. Cela ne signifie pas qu’il faille condamner le monde, s’enfermer dans des couvents. Mais cela exige, avant d’évangéliser le monde, d’évangéliser son esprit, son regard, de sorte que ‘ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi’. Combien de fois sommes-nous des demi-convertis, parce que nous composons avec le monde, parce que nous nous laissons dicter par lui notre conduite, parce que nous opérons un savant syncrétisme entre ses valeurs et celles du Christ ? Ce qui fait un saint, avant tout autre chose, outre son amour pour Dieu, c’est précisément l’absence de toute confusion entre le monde et le Royaume. C’est cette pureté de regard qui lui permet de discerner les pièges mondains. C’est bien parce qu’il regarde avec les yeux du Christ qu’il peut évoluer au milieu du monde sans aucune crainte. C’est à ce prix qu’il peut alors être pour les autres une lanterne sur la route. C’est parce qu’il voit les obstacles avec les yeux du Christ et qu’il peut les identifier comme que tels qu’il sait, avec le Précurseur, aplanir les routes. Le meilleur des chrétiens engagés trouve là la source même de son engagement, la fontaine des grâces qu’il peut répandre. […]
Combien de fois, dans notre quotidien, dans nos choix professionnels ou civiques, donnons-nous à voir un faux Christ fait à notre ressemblance ? Le monde et nous les premiers, n’avons pas besoin de christs éventés, mais DU Christ. Lui seul changera la face du monde, pas nos christs galvaudés que nous imaginons parce que nous nous croyons meilleurs que l’Esprit Saint. Chercher à manipuler le monde en manipulant la Parole de Dieu ne conduira pas le monde à la Vérité du Christ, mais l’enfoncera toujours davantage dans le mensonge et nous qui, sous couvert d’ouverture et de tolérance, bafouons Dieu et le droit du monde à la vérité, nous sommes responsables devant Dieu et le monde de ces obstacles supplémentaires que nous rajoutons sur les routes, au lieu de les aplanir. Voilà le fondement le plus profond de l’agir des chrétiens dans l’univers politique, social et économique. La conversion de nos contemporains passe, à n’en pas douter par la conversion de notre propre rapport au monde.
Vouloir vivre de la doctrine sociale de l’Eglise, sans chercher à convertir notre regard sur la société, revient à appliquer un pansement sur une jambe de bois. L’éthique que contient la doctrine sociale de l’Eglise n’est pas d’abord un ensemble de permis ou d’interdits. La doctrine sociale n’est pas un livre de recettes toutes faites qui solutionneraient tous les problèmes. Elle n’est pas, en effet, un pensum extérieur à celui qui agit. Bien au contraire, pour être active, vraie et donc réellement efficace, elle doit devenir l’âme de tout apostolat social, politique et économique. C’est se leurrer que de chercher dans la doctrine sociale des réponses abouties. La pensée sociale de l’Eglise ne vient pas donner des solutions. Mais au contraire, elle permet de poser des questions éclairées face aux problèmes concrets du monde. Véritable spiritualité sociale, elle invite bien, d’abord, à modifier son regard sur le monde avant et afin de convertir son propre agir dans le monde."
francis De Ville Souchet
Un grand merci pour cette belle lettre,tout d’abord par son contenu,son enseignement,mais aussi par sa clarté dans la rédaction:elle pose des questions concrètes,donne des pistes sans imposer une solution miracle. Aujourd’hui dimanche,le 8ème aprés la Pentecôte(missel de 1962),où la parobole de “l’économe infidèle”,qui doit rendre compte de sa gestion auprés de “cet homme riche”,me donne un bel enseignement dans la continuité de ce post. Merci SB!
pg
Chaque catholique ne peut qu’approuver ces mots de Cyril BRUN.
Cependant, si la DSE ne se confronte pas aux théories économiques, politiques, voire de management d’aujourd’hui, elle demeure une forme de moralisme en l’air qui fait des catholiques des spectateurs critiques ou des acteurs désabusés sans doctrine commune.
Les catholiques sociaux du début du XIX ème qui ont appliqué la morale évangélique à la réalité sociale et économique issue des Lumières et de la Révolution de 1789 ont préconisé et ensuite mis en oeuvre des solutions concrètes ; et c’est depuis que que les catholiques refusent de proposer des solutions concrètes, sous l’influence de l’esprit du SILLON et démo-chrétien d’ouverture au monde, que précisément la DSE est devenue un gadget pour intellectuels, et rien n’en sort d’autre qu’une opinion parmi d’autres.
Un exemple : si la justice sociale consiste à faire du fiscalisme et de la redistribution pour instaurer une ”troisième voie” entre capitalisme et socialisme, comme le préconisent les ”Semaines Sociales” depuis qq décennies, et hélas la plupart des catholiques au nom de la justice confondue avec l’égalité, alors où se situent la pertinence et l’originalité de la DSE ?
Ce que dit la DSE, c’est que la vie en société examinée sous l’angle du message catholique, doit condamner et refuser les pensées et modèles contraires à la dignité de l’homme, mais aussi proposer le contre-modèle concret dans chaque situation et moment de la vie des sociétés.
La DSE désincarnée est une utopie parmi d’autres, un humanisme niais et bénisseur comme tant d’autres.