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Culture de mort : Euthanasie

“Laisser partir, ce n’est pas la même chose que provoquer la mort”

“Laisser partir, ce n’est pas la même chose que provoquer la mort”

Le docteur Patricia Jourdain, médecin de l’équipe mobile de soins palliatifs dans le Cotentin depuis plus de 20 ans, a été interrogée sur France Bleu :

Est ce que dans vos services, chez vos patients, il y a une attente par rapport à l’aide au droit à mourir ?

Alors sincèrement, ça fait 20 ans maintenant que je suis médecin des équipes mobiles de soins palliatifs que j’arpente tout le Cotentin. Je n’ai pas forcément de nombreuses demandes d’euthanasie. Je pense sincèrement que le développement des soins palliatifs a permis justement d’éviter ce genre de demande. Alors certes, nous avons, avec la loi Léonetti, la possibilité de faire une sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est ce que nous faisons de temps en temps, et il n’y en a pas tant que ça. En gros, j’en fais à peu près cinq 5 à 6 par an, ce qui n’est pas énorme étant donné la population que nous avons à notre charge, en tout cas que nous rencontrons. Donc c’est vrai que c’est quelque chose de compliqué et je ne doute pas qu’il y ait des situations complexes pour lesquelles nous n’avons pas forcément de réponse. Mais c’est vrai que dans notre quotidien, je n’ai pas l’impression, en tout cas dans le mien, que ce soit vraiment quelque chose de si si important, si imposant en tout cas. Peut être quand on est bien portant, ce qu’on veut, c’est pouvoir maîtriser sa fin de vie, et ça, je l’admets tout à fait. Et c’est vrai que je pense que c’est important qu’on puisse se dire si un jour je suis dans telle situation, je peux agir. Mais quand on arrive en fin de vie, quand on sent que la mort se rapproche, eh bien les choses parfois sont un peu plus compliquées et les certitudes s’effondrent. Et nous, notre rôle de soignant, c’est d’être là justement pour accompagner ces patients, cheminer avec eux, les accompagner jusqu’à leur départ pour leur vie soit le plus sereine possible. Et puis surtout aussi accepter, écouter leurs doutes et et les accompagner et les laisser partir. Laisser partir, ce n’est pas la même chose que provoquer la mort.

Alors provoquer la mort, justement, c’est ce que prévoit le texte en tout cas d’aider à mourir dans des cas très précis : dans le seul cas d’une infection grave et incurable qui engage le pronostic vital en phase avancée ou terminale. Ce sont des notions assez claires pour la soignante que vous êtes ?

Ce n’est pas si clair que ça : phase avancée ou terminale, qu’est ce qu’on entend par là? Moi, mes patients, ils sont tous là pour une maladie incurable avancée dont la fin est sans doute le décès. Quand? Je ne sais pas toujours. Parce que c’est très difficile d’évaluer finalement quand est ce qu’arrive la fin de vie. Parfois, il y a des rebondissements. Je suis un patient depuis 2019. En 2019, les choses étaient compliquées. Et puis, grâce à certains traitements, il est toujours en soins palliatifs. Mais pour l’instant, il a plus besoin de mes services parce qu’il continue son traitement. Il reste plus ou moins stationnaire. Si à un moment donné, de nouveau, certaines problématiques arrivent les symptômes, l’inconfort de la douleur, de l’angoisse. Je serai là et pour l’instant il va mieux. Alors qu’à une période il allait moins bien.

La Haute Autorité de Santé dit d’ailleurs que plutôt que d’évaluer cette quantité de vie qui reste, il faudrait pouvoir évaluer la qualité du reste à vivre.

Qualité que nous, on essaye d’évaluer à chaque fois. C’est notre travail justement, cette qualité de vie. Plus un patient est pris en soins palliatifs tôt dans sa maladie, plus on essaie de préserver cette qualité de vie et parfois plus il vit plus longtemps parce que justement, on est toujours dans cette démarche. Qu’est ce qui nous paraît le mieux pour lui aujourd’hui en fonction de ses souhaits

Quand il y a une situation difficile, en tout cas, cette responsabilité, elle revient, elle retombe un peu sur le dos des soignants ?

Et ça, c’est une question extrêmement délicate. Donner la mort pour un soignant, c’est aller contre toute sa vocation quelque part. Et encore une fois, j’insiste beaucoup, accompagner, cheminer, laisser partir, ce n’est pas la même chose que de dire aujourd’hui à telle heure je permets à quelqu’un de mourir et je provoque cette mort. Ce n’est pas la même chose. Il faut vivre après avec ça. Je vais vous parler de sédation profonde et continue. A chaque fois, c’est un moment émotionnel très fort pour le patient et sa famille, mais aussi pour les soignants. Je me souviens de chacune des sédations que j’ai accompagnées, donc ça reste quand même quelque chose de délicat, qui ne doit pas être quelque chose d’anodin et quelque chose que l’on fait, enfin en tout cas que l’on garde avec soi, c’est sûr, parce que chaque heure, chaque événement, on le gardera avec soi. Et pour un soignant, je pense que c’est délicat par la suite, oui. […]

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