Lettre ouverte des évêques d’Île-de-France aux députés et sénateurs de leurs départements :
« Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Vous êtes investis de la lourde mission d’écrire la loi, et cette charge commande pour vous le respect de toute la nation. Quant à nous, citoyens, dans ce respect dont nous vous assurons, nous ressentons l’impérieuse nécessité de porter aujourd’hui notre parole auprès de vous.
Au décours de la vie de notre société, nous comprenons qu’il y a de vrais appels, de vrais découragements et un vrai désespoir devant les douleurs des maladies et de l’approche de la mort. Mais nous ne pouvons pas, sans réagir, laisser dire que l’espérance réside dans ce que l’on veut appeler un progrès, celui prétendu d’une mort douce et choisie.
C’est en tordant le sens des mots qu’on veut nous faire accepter cette perspective et ce qui en découle : désigner une période comme fin de vie sur des critères impossibles à définir, en présentant cette « fin de vie » comme déjà hors de la vie. Invoquer un droit à mourir alors que la mort est un fait inéluctable. Appeler aide fraternelle le geste qui tue ou la parole qui y conduit. Envisager d’appeler mort naturelle celle qui résultera du geste volontaire qui l’aura provoquée. Ajouter un délit d’entrave à ce droit à mourir, alors que depuis des décennies on densifie la réglementation pour éviter les accidents mortels sur la route ou pour prévenir le suicide.
Commencer par dire que cette possibilité de demander la mort ne s’appliquerait que dans quelques rares cas de maladies incurables, pour avouer finalement que ce droit sera en réalité peu encadré. Assumer la stratégie revendiquée de ceux qui comptent, chaque année, demander à étendre progressivement le champ d’application de la loi pour permettre, demain, l’euthanasie ou le suicide assisté des mineurs, des personnes malades d’Alzheimer, etc.
Nous ne sommes pas seuls, nous croyants, nous catholiques, à dire haut et fort notre opposition la plus vive et la plus fondamentale à l’euthanasie et au suicide assisté. Nous entendons la voix des médecins et des soignants : la mort donnée n’est pas, ne peut pas être un soin. Des juristes aussi : l’équilibre législatif des lois précédentes sera bien rompu. Ceux qui sont proches des plus pauvres, des plus fragiles de notre société, y compris parmi vous, imaginent déjà que ceux-ci seront les premiers à se laisser persuader qu’ils sont de trop dès qu’ils seront âgés, malades.
Comment notre société va-t-elle gérer toutes ces contradictions, ces contre-vérités, ces faux-semblants d’humanisme, sinon en n’appelant plus les choses par leur nom ? Ne serait-ce pas le goût de vivre qui aurait disparu ? Ne serait-ce pas l’espérance que l’on voudrait cacher ?
Au contraire nous affirmons que l’espérance n’est pas morte, nous croyons que l’amitié qui tend la main pour vivre jusqu’à la dernière seconde entretient la paix de celui qui meurt comme de celui qui l’accompagne.
Nous savons, vous savez, que notre droit garantit depuis 25 ans l’accès aux soins palliatifs, mais que ceux-ci demeurent inaccessibles dans plus d’un département sur quatre. S’il s’agit de protéger les plus faibles d’entre nous de souffrances terribles, pourquoi ne pas se tourner résolument, d’abord, vers ces soins palliatifs ? Pourquoi ne pas en faire le préalable indispensable, et non l’alternative, de la mort donnée comme un soin ?
Nous savons, vous savez, que chaque jour, dans ces unités de soins palliatifs, des femmes et des hommes qui demandaient à mourir changent d’avis, parce qu’ils sont regardés non pas comme des « presque morts », mais comme des « toujours vivants » à écouter, à soigner, à soutenir et à soulager dans leurs douleurs et leurs angoisses. À chaque fois que cela se produit, c’est la dignité, la fraternité, l’humanité, qui gagnent du terrain.
Catholiques, avec d’autres nous sommes résolus à agir.
Par le témoignage, pour dénoncer avec force ce qui selon nous oriente toute une société vers la destruction du dernier lien humain qu’est le mouvement spontané, immédiat, gratuit, qui nous fait infatigablement et quoi qu’il nous en coûte porter secours aux malades et aux mourants. Ce mouvement qui nous fait, et nous fera toujours, choisir la vie.
Par le geste citoyen, pour vous présenter, à vous qui écrivez la loi, ce qu’en tant que membres du corps social nous estimons être une pente infiniment dangereuse et mortifère sur laquelle, une fois engagés, il sera impossible de ne pas glisser irrémédiablement vers toujours plus de permissivité.
Par la prière, pour ceux qui sont dans les angoisses de l’approche de la mort, et de sa solitude, pour ceux qui dans la paix se préparent à la fin de leur vie terrestre, pour ceux qui jour après jour accompagnent fraternellement les grands malades et les mourants, pour vous, qui avez la responsabilité de légiférer.
Mesdames, Messieurs les parlementaires, oui, notre société est bien inquiète, mais nous ne nous résoudrons jamais à penser qu’elle puisse calmer cette inquiétude au prix d’une rupture anthropologique qui créerait les conditions d’un crime contre la dignité, d’un crime contre la fraternité, d’un crime contre la vie. »
† Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris
† Mgr Benoît Bertrand, évêque de Pontoise
† Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil
† Mgr Luc Crépy, évêque de Versailles
† Mgr Guillaume de Lisle, évêque auxiliaire de Meaux
† Mgr Etienne Guillet, évêque de Saint-Denis-en-France
† Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris
† Mgr Jean-Yves Nahmias, évêque de Meaux
† Mgr Michel Pansard, évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes
† Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre
† Mgr Emmanuel Tois, évêque auxiliaire de Paris