Reem Alsalem, rapporteur de l’ONU sur la question des violences faites contre les femmes et les filles, était présente à Strasbourg les 27 et 28 janvier, pour présenter son prochain rapport sur les nouvelles formes de violences sexuelles contre les femmes et les filles. Valeurs actuelles raconte :
« La prostitution et la pornographie constituent aujourd’hui une véritable pandémie. » Les 27 et 28 janvier, Reem Alsalem était présente à Strasbourg pour rencontrer des députés, des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), des associations ou encore des diplomates. Organisé par le European Center for Law and Justice (ECLJ), son séjour avait pour but de célébrer une victoire politique remportée au cours du mois de décembre : l’abandon par le Conseil de l’Europe d’un projet visant à libéraliser la prostitution au niveau européen. Mais également de présenter son prochain rapport, intitulé “Formes de violence sexuelle contre les femmes et les filles : nouvelles limites et problèmes émergents”, qui paraîtra en juin 2025.
« Il faut bien comprendre que l’offensive visant à libéraliser la prostitution est quelque chose d’organisé. C’est le travail de lobbies ». C’est en ces termes que Priscille Kulczyk, chercheur associé à l’ECLJ, introduit le sujet avant la présentation de Reem Alsalem. L’association chrétienne conservatrice, qui a organisé cette rencontre, soutient ouvertement la rapporteure de l’ONU dans son travail de protection des femmes contre la marchandisation des corps. Car le projet des partisans de la libéralisation du “travail du sexe” est bien de banaliser et de faciliter toujours plus le travail des industries de la prostitution et de la pornographie. Au motif que « le travail du sexe serait un travail comme un autre »…
La CEDH ambigüe ?
Dans la salle, des diplomates venus de partout en Europe, ainsi que des députés : Caitríona Doyle, ambassadrice d’Irlande, Monseigneur Ganci, représentant permanent du Saints-Siège, Harry Alex Rusz, ambassadeur de Hongrie, mais aussi deux députés du Rassemblement national, Sylvie Josserand et Pierre Meurin. Certains, déjà convaincus du bien-fondé du combat de Reem Alsalem, d’autres, toujours en questionnement.
Si la CEDH a envoyé un signal positif en juillet 2024, en confirmant la pénalisation des clients de la prostitution en France, l’ECLJ appelle à rester prudent. « La juridiction internationale a tout de même demandé aux pays de réexaminer constamment leur réglementation sur la prostitution », explique Priscille Kulczyk. Le chercheur explique également que l’argument selon lequel la prostitution serait un choix libre est, la plupart du temps, fallacieux. En réalité, les femmes victimes dans cette situation sont exploitées, la plupart d’entre elles venant de milieux socio-économiques défavorisés, voire de pays en guerre.
Des preuves accablantes
« Lorsque j’ai été confrontée à des preuves aussi accablantes, il m’a été impossible de tirer des conclusions différentes. » La rapporteure de l’ONU débute son intervention en expliquant la façon dont elle a été amenée à travailler sur le sujet épineux de la prostitution, quand elle a été nommée à ce poste en août 2021. « J’ai abordé le sujet avec une grande ouverture d’esprit. Je n’avais aucun agenda politique en tête. Mais j’ai pris conscience de la violence qui caractérisaient la prostitution et la pornographie » , confie-t-elle. Les conclusions de Reem Alsalem sont l’aboutissement d’un travail de fond et de très nombreuses rencontres : d’anciennes victimes de la prostitution, de psychologues, d’agences de l’ONU et d’experts en tout genre. Cette fameuse conclusion ? « Le travail du sexe est violemment rejeté par les victimes », rapporte-t-elle. Les victimes, dont les traumatismes sont tus et mis sous le tapis, parlent même de « manipulation visant à vous faire douter de vous-même et de votre ressenti » .
Reem Alsalem se bat contre l’idée selon laquelle ces femmes pourraient être consentantes à cette situation dégradante. « Est-ce que quelqu’un a déjà osé suggérer l’idée qu’un esclave aurait pu consentir à son sort ? », s’insurge-t-elle. Les contours actuels du débat sur la prostitution ignorent plusieurs dimensions de la réalité de ces femmes. D’abord, le fonctionnement du traumatisme est totalement ignoré : le lien entre une prostituée et son proxénète est toujours déséquilibré et contraint. Ensuite, « la prostitution prospère sur la conception patriarcale selon laquelle les hommes sont en droit d’acheter des femmes » , poursuit la rapporteure. Ce sont, selon elle, exactement les mêmes mécanismes et modes opératoires qui sont à l’œuvre dans la pornographie. « Saviez-vous que de nombreuses vidéos mises en ligne sur les plateformes X sont d’authentiques agressions et non le fait d’acteurs ? » , interroge-t-elle l’audience avec un air grave. Et Only Fans ? « le nouveau Netflix » , « de la prostitution glamourisée » , dénonce-t-elle.
Alors, quelles sont les solutions dont disposent les États pour protéger les femmes ? En premier lieu, « les politiques doivent mettre en place des stratégies de sorties pour ces femmes » , énonce Reem Alsalem. C’est-à-dire, leur proposer des soins, physiques et psychologiques, leur donner des papiers et les aider à se réinsérer dans la société. Ensuite, il faut inviter ces femmes, ces victimes, à parler et les placer au centre des discussions sur le sujet. Car aujourd’hui, ce sont principalement des associations qui mènent le débat, bien loin de la réalité du terrain. Et la rapporteure de conclure : « Le discours libéral, selon lequel la prostitution est un choix libre et une source de pouvoir pour les femmes, est bien policé et attrayant, mais il est faux. »