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Institutions internationales

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe soutient les proxénètes

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe soutient les proxénètes

De Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), dans Valeurs Actuelles :

Ce 3 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe votera sur un projet de résolution recommandant la dépénalisation et la normalisation de la prostitution, intitulé “Protéger les droits humains et améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs du sexe et des victimes d’exploitation sexuelle”.

Ce débat parlementaire est un nouvel épisode d’une controverse opposant les tenants de la dépénalisation de la prostitution (comme en Belgique), à ceux qui veulent obtenir son abolition par la pénalisation des clients et des proxénètes (comme en France et en Suède).

Ce projet de résolution du Conseil de l’Europe prend le contrepied de l’action de deux autres institutions européennes : le Parlement européen, qui a adopté une résolution abolitionniste en septembre 2023, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a rendu un jugement le 25 juillet 2024. Elle avait été saisie par 56 associations demandant la condamnation du modèle pénalisant les clients en France. La CEDH a rejeté la requête, permettant ainsi à la France de conserver son modèle abolitionniste pénalisant les clients.

Cette controverse traverse également l’Organisation des nations unies (Onu). La figure de proue de la libéralisation de la prostitution est Tlaleng Mofokeng, rapporteure spéciale de l’Onu sur le droit à la santé, qui se présente elle-même comme une « travailleuse du sexe ». Elle a notamment publié en mars 2024 un Guide sur les droits de l’homme des travailleurs du sexe. Un des objectifs de ce texte était de devancer et prévenir la publication d’un rapport abolitionniste, intitulé Prostitution et violence contre les femmes et les filles, présenté par Reem Alsalem, la rapporteure spéciale de l’Onu sur la violence contre les filles et les femmes.

Alors que l’Assemblée parlementaire  du Conseil de l’Europe se prévaut de l’autorité de Tlaleng Mofokeng et ignore Reem Alsalem, celle-ci a adressé un communiqué demandant au Conseil de l’Europe de rejeter le projet de résolution, car elle le considère « dangereux pour les femmes ».

Cette controverse s’articule autour de trois prémisses sur lesquels reposent le discours favorable à la libéralisation de la prostitution. Ils sont de nature économique, philosophique et sociologique.

Cette idée renvoie à l’argument économique et suppose que la prostitution serait un métier pouvant être exercé dignement, selon les termes de la résolution, et permettant de sortir de la pauvreté. Le Guide de Mme Mofokeng parle d’« industrie » et de « chaîne de service » pour désigner le proxénétisme de manière prétendument neutre.

Cette affirmation repose sur une conception ultralibérale de l’être humain qui transforme les personnes, et en particulier la sexualité des femmes, en simple marchandise pouvant être mise en location. Elle va frontalement à l’encontre de la dignité sur laquelle sont fondés les droits de l’homme, notamment la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949). Celle-ci reconnaît en effet que

« la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ».

Cette idée renvoie à l’argument philosophique suivant lequel la prostitution serait une expression du « libre arbitre », de l’« autonomie corporelle » et de l’« autodétermination » des personnes prostituées, selon les termes de la résolution, c’est-à-dire du droit à disposer de son corps. Selon cette idée, la transaction financière suffirait à établir le consentement de la personne prostituée, faisant de la prostitution une relation sexuelle consentie entre adultes. Concernant la prostitution forcée, le projet de résolution ne la condamne pas vraiment, mais invite seulement les États « à prendre des mesures préventives pour décourager le travail forcé du sexe ».

Cette affirmation est totalement hypocrite, car les études démontrent que la prostitution est presque systématiquement subie, contrainte par la violence, la manipulation, la misère ou la drogue et qu’elle concerne essentiellement des femmes pauvres d’origine étrangère et de plus en plus de mineures. Ainsi, justifier la prostitution au nom du « droit à disposer de son corps » permet en fait de justifier le droit à disposer des corps des personnes prostituées.

Réduire le consentement à la transaction financière revient à nier la vulnérabilité des victimes de la prostitution et les phénomènes de soumission et de dépendance. C’est pour cette raison que le droit national et européen prévoit que le consentement d’une victime de la traite n’a pas à être pris en compte lorsqu’il est obtenu par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages.

Cette idée renvoie à l’argument sociologique suivant lequel c’est la loi pénale qui causerait le crime, car la condamnation de la prostitution reposerait sur une considération morale illégitime, discriminerait les personnes prostituées, les rendrait vulnérables et réduirait leurs ressources financières. Même l’encadrement de la prostitution, tel que pratiqué en Allemagne, serait néfaste selon le Guide, car il poserait des conditions trop strictes à l’accès à cette activité. Selon cette idée, il suffirait donc de dépénaliser la prostitution pour assainir cette profession et améliorer la condition des personnes prostituées. Le projet de résolution invite donc les États à suivre « l’exemple » de la Belgique et à normaliser la prostitution en luttant contre « la discrimination »« la stigmatisation et les préjugés » à l’égard des personnes prostituées.

Pourtant, aux Pays-Bas et en Belgique, où la prostitution a été légalisée, le nombre de victimes de l’exploitation sexuelle continue d’augmenter. Il y a 36 fois plus de personnes prostituées en Allemagne qu’en Suède pour 1000 habitants, preuve que le modèle abolitionniste fonctionne. En outre, la dépénalisation va à l’encontre du droit international, qui condamne clairement le proxénétisme comme forme de traite des êtres humains (protocole de Palerme de 2000), de même qu’il condamne l’achat d’actes sexuels. Ainsi en est-il de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée à Varsovie en 2005, qui incite les États à incriminer les clients, pour décourager la demande, tout en reconnaissant « que la personne concernée est victime de la traite d’êtres humains ».

Le concept clé qui résume et contient à lui seul ces trois prémisses est celui de “travail du sexe” ; le slogan de Tlaleng Mofokeng est précisément « sex work is work ». Il a été introduit pour distinguer abusivement la prostitution volontaire, qui serait respectable, de la prostitution forcée, qui serait seule condamnable.

C’est précisément cette distinction trompeuse que le projet de résolution du Conseil de l’Europe diffuse jusque dans son titre. Intitulé initialement “La réinsertion des personnes prises au piège de la prostitution ou soumises à la traite des êtres humains”, il a été modifié en “Protéger les droits humains et améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs du sexe et des victimes d’exploitation sexuelle”. Le texte de la résolution souligne d’ailleurs péremptoirement que « le travail du sexe ne doit pas être confondu avec la traite ». L’acceptation de cette notion de “travail du sexe” implique celle de sa distinction d’avec la “prostitution forcée” et par suite de ses trois prémisses. Une fois encore, tout le débat est contenu dans le vocabulaire. Certes, le projet de résolution contient aussi quelques dispositions, mais elles servent surtout à faire accepter cette notion de “travail du sexe”.

Ces arguments ne sont toutefois pas nouveaux ni spécifiques à la prostitution. Les mêmes sont employés au soutien de la légalisation de la gestation par autrui (GPA) dont les promoteurs prétendent aussi distinguer GPA éthique et GPA forcée. Derrière ce discours, il y a la même réduction de la moralité à la volonté, la même marchandisation du corps humain, les mêmes lobbys et, dans les deux cas, un immense marché que la légalisation de ces pratiques permettrait d’exploiter ouvertement. Selon l’Organisation internationale du travail, la prostitution génère plus de 170 milliards de dollars de profit par an ; elle alimente aussi l’industrie de la pornographie.

Enfin, cette controverse sur la légalisation de la prostitution est un cas d’école d’action de plaidoyer international (lobbying). Quelques grandes fondations jouent un rôle central en suscitant la création d’associations et en les finançant. Ce sont elles qui sont intervenues à la Cour européenne des droits de l’homme et qui ont été auditionnées au Conseil de l’Europe au soutien de la prostitution. C’est le cas par exemple de l’Alliance européenne pour le travail du sexe (ESWA), qui est financée, comme d’autres, par l’Open Society.

Ces mêmes fondations financent aussi certains experts et rapporteurs spéciaux des Nations unies, comme cela fut démontré dans un rapport de l’ECLJ de 2021. C’est le cas notamment de Tlaleng Mofokeng, qui a reçu 200 000 dollars en 2020 et encore 75 000 dollars en 2023 de l’Open Society. Ce dernier versement visait à financer son rapport officiel sur la drogue ; rapport dans lequel elle recommande, sans surprise, la dépénalisation de la drogue, au motif, entre autres, que « la criminalisation de la consommation et de la possession de drogues à des fins d’usage personnel est susceptible de menacer la santé et le bien-être »… un argument aussi employé pour la dépénalisation de la prostitution.

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