Du Père de Blignières sur Claves :
[…] Contrairement à des imputations récurrentes, cet attachement à la messe traditionnelle ne se réclamait pas (ne se réclame toujours pas) du bénéfice du pluralisme. Il ne relève pas seulement d’une sensibilité esthétique. Il s’appuie sur un jugement théologique et pastoral, certain à nos yeux. Ce jugement est fondé sur la genèse révolutionnaire, sur les déficiences liturgiques du Nouvel Ordo Missæ et sur ses fruits.
Mais attention ! Ce jugement est une conclusion de théologiens qui ne prétend évidemment pas avoir l’autorité d’un texte du magistère. Il est formulé ainsi par le Bref Examen critique :
Le Nouvel Ordo Missæ […] s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les « canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du mystère.
On parle d’un éloignement et non d’une contradiction ; et cet éloignement est dit être par rapport à la théologie et non à la foi.
Donc ce jugement n’autorise pas à considérer comme hérétiques ou schismatiques la hiérarchie qui a promulgué le Nouvel Ordo Missæ, les prêtres qui le célèbrent, ou les fidèles qui le pratiquent. Il autorise encore moins, pour maintenir le rite traditionnel, à abandonner une vérité de foi qui est la nécessité de la communion hiérarchique.
En refusant les sacres de juin 1988, ce que nous affirmions, avec notre ferme volonté de rester fidèles à la liturgie traditionnelle, c’était la décision arrêtée de la pratiquer dans le sein de l’Église catholique, dans la communion hiérarchique avec le Souverain Pontife et avec les évêques qui lui sont soumis.
Je pourrais prendre une analogie qui, peut-être, jettera une certaine lumière sur la double exigence de cette démarche. Aucun pape, si profondément anti-thomiste qu’on le suppose, ne serait en droit de faire abandonner la doctrine de saint Thomas d’Aquin (qui n’est pourtant pas une vérité de foi définie…) aux thomistes ; de même (ou plutôt a fortiori), ni Paul VI ni ses successeurs, quelque persuadés qu’ils aient été de la valeur de la réforme postconciliaire, ne sont en droit de contraindre des prêtres de rite latin à abandonner la messe traditionnelle. Mais, en retour, ces prêtres, qui formulent les réserves mentionnées sur le Nouvel Ordo Missæ, doivent restent en communion avec ceux qui le pratiquent, tout comme les thomistes ne peuvent rompre leur communion avec les théologiens qui ne suivent pas la doctrine de saint Thomas.
Est-ce que les « ralliés » cherchaient des avantages dans une reconnaissance canonique ?
La démarche des « ralliés » à l’été 1988 ne fut aucunement intéressée. Lorsque je me suis rendu à Rome au début de juillet avec les abbés Denis Coiffet, Philippe Tournyol du Clos et Bruno de Blignières (nous y avons été rejoints par l’abbé Patrick du Faÿ et les futurs fondateurs germanophones de la FSSP), nous ignorions si nous obtiendrions quoi que ce soit. L’abbé Bisig en a clairement témoigné récemment :
J’avoue que j’étais très pessimiste en allant à Rome pour essayer de fonder une société de prêtres avec le privilège de maintenir la liturgie traditionnelle. […] Mais, après les sacres d’évêques du 30 juin 1988 contre la volonté du pape, nous n’avions pas le choix. Du point de vue purement humain, j’étais assez désespéré. […] Le motu proprio faisait certainement naître quelques espoirs, mais je restais très critique. Je n’excluais pas du tout l’hypothèse, défendue par Mgr Lefebvre et de nombreux anciens confrères, que le motu proprio ne fût qu’un piège de Rome pour diviser et affaiblir la FSSPX, et que la nouvelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) serait supprimée au plus tard après trois ans. Mais je pensais qu’il fallait essayer ; notre but n’était évidemment pas la destruction de la FSSPX ; notre but était et est toujours de travailler pour l’unité de l’Église et pour la fidélité à la tradition dans l’Église.
Non ! nous ne cherchions pas une solution de facilité dans notre démarche romaine de l’été 1988 ! La magnanimité de l’accueil reçu et la vitesse avec laquelle ont été réglées les questions liées à notre reconnaissance canonique nous ont au contraire surpris… Nous étions aussi conscients des difficultés et des oppositions qui allaient rapidement surgir. D’une part, du côté de Mgr Lefebvre et de la FSSPX, qui ne nous ont pas ménagé les critiques parfois acerbes, allant jusqu’à parler de « trahison » et prédisant notre passage à court terme au nouveau rite. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous les avions quittés, et leur attitude franchement hostile nous était d’autant plus sensible que le lien avec le prélat consécrateur reste indélébile, et que nos confrères prêtres avaient été durant des années nos compagnons de combat. Une étonnante attitude de la FSSPX depuis 1988 est le recours fréquent (et parfois systématique) à la critique des « ralliés », comme si cela était devenu un élément constitutif de cette tendance : « Il faut que les “ralliés” aient tort pour que nous ayons raison. »
Cette critique n’est pas toujours très regardante pour la véracité, comme le montrent quelques exemples qui me concernent, aux deux extrémités de la période écoulée depuis les sacres. En avril 1989, le bulletin de Saint-Nicolas, Le Chardonnet (n° 45) écrit en première page que le père de Blignières « de source sûre, vient d’être chargé (avec rémunération, s’il vous plaît) par le cardinal Mayer, de reprendre tous les actes du concile, afin d’en établir une meilleure critique ». Le droit de réponse à ces calomnies farfelues ne sera publié, après démarches d’avocats, qu’en juin 1992… Lors du dernier colloque de la FSSPX sur Traditionis custodes, le 15 janvier 2022, l’un des prêtres conférenciers a avancé que « tous les responsables des Instituts Ecclesia Dei avaient concélébré » selon le Nouvel Ordo Missæ. Averti de son erreur, notamment pour la FSSP et la FSVF, le conférencier n’a pas annoncé l’intention de la rectifier.
De l’autre côté, s’est réalisé ce que nous prévoyions de façon réaliste dès cette époque. Le 30 octobre 1988, j’écrivais au cardinal Ratzinger pour l’informer
de la triste situation où se trouve en France le « petit troupeau » de ceux qui, après le 30 juin, ont choisi la fidélité au Siège de Pierre. […] L’épiscopat français, pour une grande part, semble méconnaître le drame spirituel que nous vivons. Les fidèles n’ont pas retrouvé confiance dans la hiérarchie, et celle-ci, bien souvent, ne part pas à la recherche de la brebis perdue. Les réponses faites à ceux qui demandent des messes accessibles selon le rite tridentin sont évasives ou dilatoires. Elles sont parfois le contraire de « l’application large et généreuse » de l’indult de 1984, demandée par le pape dans le motu proprio du 2 juillet.
Presque sans interruption jusqu’à aujourd’hui (avec une nette accalmie de 2007 à 2013), les prêtres et fidèles « ralliés » ont eu beaucoup d’ennuis, et ils ont rencontré une opposition persistante de la part des éléments progressistes des diocèses et de l’épiscopat. Dans la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, nous l’avons tout de suite éprouvé avec le désistement du cardinal Mayer pour nos ordinations presbytérales prévues le 3 décembre 1988 à Fontgombault. Dans une réunion avec le Saint-Père, sous la pression de deux présidents de Conférences épiscopales (dont la française), en dépit de la défense en notre faveur présentée par le cardinal Ratzinger et un autre cardinal de curie, le pape a demandé au cardinal Mayer d’annuler sa venue…
Ensuite, les difficultés pour les Instituts Ecclesia Dei ont continué à être variées et nombreuses. Cela n’a pas empêché nos Instituts de se développer. Mais, sachant que ces difficultés étaient prévues et assumées par nous, cela enlève tout fondement à l’accusation d’avoir cherché le confort dans la reconnaissance canonique obtenue !